Introduction
Dans un article paru le 17 septembre 2014, j’écrivais : « En déstabilisant la Syrie, la Turquie devient le seul tampon qui protège l’Europe de l’invasion de centaines de milliers de réfugiés provenant d’une région mise à feu et à sang par des puissances étrangères. »
Tel que prévu (mais en sous-estimant l’ampleur du phénomène), presque trois millions de Syriens ont trouvé refuge principalement en Turquie et au Liban, sans compter les 8 à 12 millions de personnes déplacées à l’intérieur de la Syrie.
On peut se demander pourquoi cette crise migratoire vers l’Europe n’est pas survenue plus tôt.
La vie de réfugié
Sur les 2,2 millions de Syriens que la Turquie a accueillis, seulement 260 000 personnes vivent dans des camps de réfugiés installés le long de la frontière syrienne.
Ces camps sont dotés d’infirmeries, d’épiceries et d’écoles (où est enseigné l’arabe et non le turc). Ces camps sont même équipés d’un réseau WiFi.
Comment se fait-il que de ‘pauvres’ réfugiés aient les moyens de se payer un téléphone portable ? Parce qu’ils ont tout vendu et qu’un tel téléphone est pour eux le seul moyen pour eux de s’assurer que leurs proches sont encore vivants. Le réseau WiFi est accessible à l’aide de cartes SIM qu’ils doivent acheter.
Depuis 2011, la Turquie a dépensé 6,6 milliards d’euros (environ 9 milliards$) à l’accueil des réfugiés, une somme en grande partie commanditée par les pétromonarchies (qui ne veulent pas de réfugiés chez elles) et par les pays européens qui préfèrent eux aussi sédentariser les réfugiés dans des camps situés loin de leurs frontières.
Les 1,9 million de réfugiés syriens qui vivent en Turquie hors des camps habitent dans les villes du pays, dont 350 000 à Istanbul.
Généralement sans emploi, ces réfugiés vivent jusqu’à l’épuisement de leurs économies dans des logements souvent insalubres partagés à plusieurs familles.
Le prix des rares loyers disponibles atteint des records et sont parfois facturés à la semaine à ceux qui songent à quitter le pays incessamment.
Pendant ce temps, les enfants n’ont pas accès à l’éducation, accessible seulement à ceux des contribuables turcs.
Les rues de la capitale sont envahies de milliers de mendiantes à même le sol, leurs bébés dans les bras, tandis que les enfants pieds nus vendent des bouteilles d’eau aux passants ou des babioles aux touristes, au grand dam des boutiquiers de souvenirs.
82% des réfugiés éprouvent des difficultés à trouver du travail. Ceux qui en trouvent sont rémunérés au tiers ou à la moitié de ce que gagne un citoyen du pays. C’est ainsi qu’un manœuvrier syrien sur un chantier de construction gagnera environ 8 euros par jour (environ 12$).
56% des réfugiés se plaignent du manque d’accès aux services sociaux et 90% trouvent les loyers onéreux.
Une partie seulement des sommes promises par les pays donateurs a effectivement été versée à la Turquie, au Liban et à la Jordanie.
Avant qu’éclate la crise migratoire, l’austérité budgétaire avait incité les pays donateurs à diminuer de plus en plus l’importance des sommes promises. La vie des camps s’est donc détériorée, notamment au Liban, au point où de nombreux réfugiés ont décidé de quitter le pays.
En Jordanie, où vivent plus d’un demi-million de réfugiés syriens, les deux tiers d’entre eux vivent avec moins de 3 dollars par jour (le seuil de pauvreté dans ce pays), et un sur six avec moins de 1,30 dollar.
La fermeture des frontières
Après les espoirs provoqués le 26 aout dernier par la politique d’ouverture de la chancelière allemande, les réfugiés sont conscients des barrières que les pays balkaniques sont en train d’ériger sur leur chemin. Un à un, les pays qu’ils doivent traverser afin d’atteindre l’Allemagne leur sont de plus en plus hostiles.
D’où l’urgence de quitter la Turquie, le Liban et la Jordanie pendant qu’il est encore temps.
La conscription obligatoire
Pour remplacer les décès et les défections, les forces en présence utilisent des moyens de plus agressifs pour rechuter de nouveaux combattants.
Les rapts d’adolescents et des jeunes hommes dans les territoires nouvellement conquis par les rebelles, de même que la conscription obligatoire relevée à plus de quarante ans (42 ou 50 ans, selon les sources) par le gouvernement de Bachar el-Assad, incitent de nombreuses familles à quitter le pays plutôt que voir tous leurs hommes partir à l’abattoir.
Le désespoir
Après quatre ans de guerre, l’obstination des pays étrangers à poursuivre ce conflit par milices interposées laisse peu d’espoir aux Syriens que la vie dans leur pays pourrait reprendre normalement dans un avenir prévisible.
Selon certains experts, le chaos au Moyen-Orient — qui a débuté en 2003 avec l’invasion américano-britannique en Irak — pourrait se poursuivre une ou deux décennies de plus tellement sont nombreux pays producteurs d’armement qui ont intérêt à prolonger les hostilités.
S’il est possible de se résigner à partager temporairement le quotidien monotone et oisif de la vie de camp de réfugiés, il est normal pour n’importe quel parent de vouloir quitter cette vie sans espoir pour leurs enfants lorsqu’elle est appelée à se prolonger indûment.
Conclusion
Après 240 0000 morts, le conflit syrien semble toujours sans issue.
Seuls les pays d’Europe continentale ont intérêt au règlement de ce conflit. Même l’Allemagne, dont l’apport de réfugiés soulage la pénurie de main-d’œuvre non spécialisée, n’a intérêt qu’à une crise migratoire d’ampleur limitée.
Pour l’instant, la précarité des camps de réfugiés, l’impression que les portes de l’Europe sont en train de se fermer sur eux, l’enrôlement obligatoire dans un conflit de plus en plus meurtrier, et un avenir complètement bouché, détermine l’urgence pour des millions de réfugiés à chercher le bonheur sous d’autres cieux.
Références :
Accueil des réfugiés : les réponses aux questions que vous vous posez
Crise migratoire : pas d’issue sans paix
La guerre civile syrienne et ses enjeux
La Turquie a du mal à retenir les réfugiés venus de Syrie
Réfugiés : l’UE débloque plus d’un milliard d’euros
Parus depuis :
Fewer than 0.1% of Syrians in Turkey in line for work permits (2016-04-11)
From war to sweatshop for Syria’s child refugees (2016-05-06)
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