Le DVD de Persée, de Lully, par l’Opera Atelier de Toronto

Publié le 4 novembre 2014 | Temps de lecture : 4 minutes
Cyril Auvity (Persée) et Marie Lenormand (Andromède)

Il est toujours hasardeux pour un mélomane de jouer au critique musical puisque ce métier exige une compétence que je n’ai pas.

Il y a deux ans, j’ai eu le plaisir d’assister à Toronto, à une production d’Armide de Lully mise sur pied par l’Opera Atelier dont j’avais dit le plus grand bien sur ce blogue et qui devait triompher à Versailles quelques mois plus tard.

En fin de semaine dernière, j’ai écouté un des enregistrements que j’ai rapportés de Paris et qu’on peut obtenir facilement en Amérique du Nord : Persée de Lully, dirigé par Hervé Niquet, et présenté par l’Opera Atelier de Toronto en 2004.

Avant d’écrire le texte que vous lisez, j’ai consulté les critiques de l’époque. Celles-ci sont plutôt sévères. Sans être dénudées de fondement, elles passent à mon avis à côté de l’essentiel.

Le triomphe non seulement d’Armide à Versailles, mais également de Lucio Silla de Mozart à Salzburg — et l’invitation de présenter cette dernière production à la Scala de Milan — nous obligent à repenser le travail des codirecteurs artistiques de l’Opera Atelier, Marshall Pynkoski et Jeannette Lajeunesse-Zingg.

Se peut-il que ces artistes aient dérouté la critique de l’époque tout simplement parce que leur approche novatrice était en avance sur leur temps ?

De nos jours, on sait précisément comment la musique baroque était jouée et chantée à l’époque de Louis XIV. On sait relativement bien comment on dansait sur scène. Mais on sait peu de choses du jeu des comédiens-chanteurs.

Puisque les chanteurs étaient éclairés essentiellement par des chandelles placées à l’avant-scène, on chantait principalement tourné vers l’assistance et non vers le personnage auquel on s’adressait. Le reste, c’est le grand vide.

Et ce grand vide, c’est ce qu’essaient de combler un certain nombre de metteurs en scène. Guidés par leur intuition, ceux-ci proposent des solutions fort différentes dont personne ne peut juger avec certitude de la validité.

L’approche de l’École de Toronto (si on peut l’appeler ainsi) est d’unifier la gestuelle — et plus précisément le jeu de mains typique de la danse baroque — à tous les personnages sur scène, qu’ils soient danseurs ou chanteurs. De plus, lorsqu’ils sont immobiles, les chanteurs adopteraient les poses typiques des gravures de l’époque. En d’autres mots, ces poses ne seraient pas un lieu commun des graveurs, mais leur témoignage du jeu scénique auquel ils assistaient.

L’École de Toronto proposait au départ un langage corporel maniéré presque à outrance. D’Armide à Persée, ce langage s’est épuré et est devenu plus expressif. Si bien que le maniérisme originel s’est transformé en un langage corporel presque aussi codifié que l’était la musique baroque elle-même.

De plus, le montage « cinématographique » d’un opéra filmé, avec sa succession de plans rapprochés et éloignés, ne peut être qualifié d’authentique. En effet, un opéra était destiné à être vu que d’un seul point de vue; celui d’un spectateur immobile (aussi ennuyeux que ce point de vue puisse paraitre au téléspectateur d’aujourd’hui).

La mise en scène de Persée est composée d’une succession de tableaux; quand le DVD montre (trop brièvement) l’ensemble de la scène au théâtre Elgin de Toronto, cela est presque toujours meilleur que tous les gros plans qui l’ont précédé.

Les costumes, séduisants, ne pêchent pas ici par excès d’authenticité. Les décors sont simples (comme ils l’étaient généralement à l’époque). Toutefois, les chorégraphies sont assez réussies.

Je tiens à souligner que la production torontoise bénéficie de jeunes chanteurs dont la diction est généralement impeccable. Ce qui fait qu’on peut se passer de sous-titres.

Bref, si vous aimez l’opéra baroque, cette production de Persée devrait vous fasciner. J’ai beaucoup aimé.

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3 commentaires à Le DVD de Persée, de Lully, par l’Opera Atelier de Toronto

  1. sandy39 dit :

    UN DVD POUR UN OPERA…

    Voici donc, une jolie collection de DVD à partager, après l’Apéro, pour continuer les Extras tout au long de la saison !

    Et Moi, j’espère en profiter un peu, beaucoup, oh et puis, peut-être, sans Modération… quand vous téléversez (il se conjugue, ce verbe ?) certaines couleurs sur nos écrans d’ordinateur !

    Quelle gestuelle !

  2. Jean Poulin dit :

    Merci Monsieur Martel pour ce compte rendu. Jadis, j’avais repéré au programme de l’opéra Royal de Versailles cette production d’Armide de Lully à laquelle j’eus fort envie d’assister. Hélas! c’était accompagné d’un préjugé défavorable croyant que cette production d’origine Canadienne-Anglaise ne serait peut-être pas à la hauteur de ce que les arts de la scène du baroque français imposent comme subtilités au niveau de la gestuelle et de la déclamation.

    J’avais vu et entendu le sublime « Atys » des Arts Florissants à l’Opéra Comique de Paris et je craignais être mal servi par l’Atelier de Toronto.

    J’avais ainsi péché par ignorance puisque vous avez eu le bonheur d’assister à ces deux tragédies lyriques de Lully qui semblent vous avoir comblé.

    Je vais néanmoins tenter de me reprendre un peu puisque j’ai déjà réservé une place au théâtre Elgin de Toronto pour assister à leur spectacle de novembre prochain qui présentera « Actéon » de Charpentier et « Pygmalion » de Rameau. Je me réjouis déjà d’y être.

    Je voulais également ajouter que j’ai été ravi de faire votre connaissance pendant les pauses du « Acis et Galatea » de Haendel présenté dans le cadre du festival baroque de Montréal à l’Agora d’Hydro-Québec samedi 23 juin dernier.

    Vous m’avez remis vos coordonnées et c’est ainsi que j’ai pris connaissance de votre blog.

    Merci à vous.

    • Jean-Pierre Martel dit :

      Je suis bien heureux que vous ayez décidé de publier ce commentaire puisque j’ai oublié de vous faire une autre suggestion.

      Cette suggestion, c’est de surveiller la programmation du Brooklyn Academy of Music.

      Aux deux ou trois ans, les Arts Florissants viennent y présenter certaines de leurs meilleures productions. Je crois savoir que William Christie y a travaillé avant de faire carrière en France.

      C’est ainsi que j’ai y vu Médée de Charpentier (un des deux meilleurs opéras que j’ai vus de ma vie), Hippolyte et Aricie de Rameau et Atys de Lully (dont vous lirez mon appréciation en cliquant sur ceci).

      Je m’excuse de vous dire tout cela si vous le saviez déjà. Autrement, je suis soulagé d’avoir pu vous faire part de cette suggestion.

      Pour revenir à l’Opera Atelier de Toronto, soyez prévenu que le public torontois est très peu expressif. Même si leur production de Pigmalion devait être géniale (ce que je vous souhaite), sachez que le public applaudira poliment, sans plus.

      Leur Armide fit un triomphe à Versailles, mais à Toronto j’étais scandalisé du peu de réactions du public.

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