Dans l’édition d’aujourd’hui du quotidien Le Devoir, on apprend que les dirigeants du syndicat qui représente les trois employés de la MMA accusés de négligence criminelle ayant causée la tragédie de Lac-Mégantic, réclament l’abandon des poursuites intentées contre eux.
Revoyons le cas du conducteur de la locomotive.
Le 10 juin 2013, un train de la MMA déraille à Frontenac. Un mois plus tard, un autre déraille à Lac-Mégantic et tue 47 personnes. Après que les trains de la MMA aient été de nouveau autorisés à circuler, le 18 décembre 2013, un troisième déraille à Nantes, 22 jours plus tard.
Après des années de manque d’entretien toléré par le gouvernement Harper — alors que la MMA a été condamnée à payer plus de 150,000$ d’amendes aux États-Unis — le réseau privé de la MMA est en ruine.
Le jour de la catastrophe, le conducteur de la locomotive, seul à bord, a une journée d’enfer. En raison de l’état des voies, il doit ralentir à 10km/h à certains endroits. À d’autres, monter à 25 km. Puis ailleurs, circuler normalement. Un moment d’inattention et son train déraille.
Sur son parcours, la locomotive perd de l’huile. Arrivée à Nantes, sa locomotive prend en feu parce que ces fuites atteignent la chambre de combustion, rafistolée tant bien que mal par des réparations hors-normes que les inspecteurs fédéraux, en nombre insuffisant, n’ont pas remarquées.
Arrivé tard cette nuit-là à Nantes, il devrait stationner son train sur une voie de desserte. Mais elle est déjà occupée. De plus, son train fait 1,4km de long. Simplement avancer, puis reculer sur cette voie, il en aurait eu pour une heure de plus. Or le lendemain, il devra se lever tôt car son train a pris du retard et sa précieuse cargaison est attendue au Nouveau-Brunswick.
Puisqu’il est contraint de laisser son train sur la voie principale, le conducteur applique sept freins manuels, soit sur chacune des cinq locomotives, sur le wagon de service et sur le wagon-tampon. Les procédures de la MMA exigeaient que deux freins de plus soient appliqués sur un convoi de 70 à 79 wagons-citernes et locomotives.
Malheureusement, même si le conducteur avait respecté scrupuleusement les directives de la compagnie, les tests réalisés par le Bureau de la sécurité des transports ont révélé qu’il aurait fallu serrer entre deux et trois fois plus de freins manuels pour retenir le train en place que ce que prévoyaient les normes de la compagnie.
En effet, afin de minimiser ses frais d’opération, celle-ci a négligé de remplacer le grand nombre de freins atteints de corrosion. De plus, les freins manuels qui fonctionnent correctement n’ont pas été suffisamment lubrifiés. Conséquemment, ils sont extrêmement difficiles à appliquer afin d’assurer un effort de freinage suffisant.
Aurait-il dû laisser le moteur de la locomotive en marche afin de profiter des freins électriques Westinghouse ? Non répondent unanimement les pompiers de Nantes, qui viennent d’étouffer l’incendie de la locomotive et qui ne veulent pas courir le risque d’un deuxième incendie susceptible de provoquer l’embrasement de toute la cargaison de ce train qu’on laisserait sans surveillance toute la nuit.
Alors oui, si on cherche bien, on trouvera des puces à ce conducteur.
Lui et ses collègues sont exactement dans la même situation que ces mineurs qui, à la fin du XIXe siècle, descendaient équipés de lampes au pétrole dans des trous où la moindre fuite de gaz naturel provoquait un coup de grisou.
Pour permettre à du pétrole américain explosif — en raison de sa forte teneur en gaz naturel — de se rendre au Nouveau-Brunswick parce que les raffineries américaines ne suffisent plus à en raffiner suffisamment, et inversement, pour permettre aux manufacturiers locaux de pouvoir exporter leur production aux États-Unis et faire travailler les gens de la région, les conducteurs de la MMA mettaient à chaque instant leur vie en péril.
À mon avis, ce sont des héros. Car les héros existent ailleurs que dans les films américains. Mais ce sont des héros imparfaits et sans gloire, parce que réduits à l’humiliation d’exercer un métier sale et dangereux pour faire vivre leur famille. Comme ces milliers d’êtres anonymes qui travaillent dans les mines d’or ou de diamants, et dont aucun bijoutier aux gants blancs ne connait le nom.
La sécurité du transport ferroviaire est une responsabilité exclusive du gouvernement fédéral. Les vrais coupables de la tragédie de Lac-Mégantic, ce sont ceux qui, gantés de blanc, ont abandonné leurs responsabilités et ont remis notre sécurité entre les mains d’aventuriers et de parvenus.
Les coupables, ce sont ceux qui bientôt se vanteront de faire économiser de l’argent aux contribuables canadiens alors que leur dérèglementation aveugle et stupide a effectivement sauvé quelques millions$ de salaires d’inspecteurs, au prix de 48 morts et d’une catastrophe environnementale dont le coût est estimé à 1,5 milliard$.
Le gouvernement Harper, trouvera-t-il un juge complaisant qui, en condamnant le conducteur de la locomotive, permettra à ce gouvernement de sauver la face ? C’est possible. Mais si tel est le cas, au tribunal de l’opinion publique, cette mascarade de justice ne trompera personne.
Référence : Lac-Mégantic : des accusations injustifiées?
Sur le même sujet, sur ce blogue :
La sécurité du transport ferroviaire (2013-07-09)
La responsabilité du gouvernement Harper dans la cinquantaine de décès au Lac-Mégantic (2013-07-11)
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La faillite de la dérèglementation ferroviaire du gouvernement fédéral (2014-08-20)
Paru depuis : Lac-Mégantic : les dessous de l’enquête technique du BST (2014-12-07)