L’ABC du pétrole d’Anticosti

Publié le 21 février 2014 | Temps de lecture : 7 minutes

Localisation du pétrole et des nappes phréatiques

Située dans le golfe du Saint-Laurent et faiblement peuplée, Anticosti est la plus grande île du Québec. Sa superficie est de 7 900 km² dont 572 km² constituent un parc national.

Parmi les formations géologiques que renferme son sous-sol, il y a une couche de schiste mesurant de 18 à 173m d’épaisseur. Cette couche n’est pas horizontale, mais est enfouie de manière oblique.

Quant à la couche de sol qui la recouvre, elle varie de 300m — soit 100m à peine sous les nappes phréatiques — et à 2 300m.

De manière générale, plus le schiste est près de la surface du sol, plus sa couche est mince : plus il faut creuser pour le trouver, plus sa couche est épaisse.

Selon le docteur et ingénieur en géologie Marc Durand, pour être sécuritaire, toute fracturation hydraulique devrait se faire au-delà d’un kilomètre sous les nappes phréatiques.

Nappes_Anticosti
 
Si on prend en considération que les nappes phréatiques de l’île sont situées de 100m à 200m sous la surface, la séparation entre cette nappe et les couches de schiste sous-jacentes n’atteint le kilomètre que dans moins de 20% de la surface de l’île.

Mécanisme de formation des hydrocarbures de schiste

Le schiste d’Anticosti est formé de la sédimentation d’argile qui s’est durcie au cours des siècles. Renfermant des débris de végétaux ou d’animaux marins, ceux-ci se sont transformés en hydrocarbures sous l’action de microorganismes. Ils occupent des milliards de pores dans la roche. Ces pores comptent pour 2 à 3% du volume de la pierre.

Selon les conditions de température ou de pression qui ont mené à la formation du schiste, ces pores ne contiennent parfois que du gaz naturel sous pression. À Anticosti, elles contiennent principalement un mélange de pétrole et de gaz naturel sous forme liquide.

La porosité du schiste d’Anticosti étant très faible, les hydrocarbures n’ont pas pu s’en échapper et y sont prisonniers depuis 450 millions d’années.

Extraction pétrolière à Anticosti

Les hydrocarbures de schiste sont intimement liés à la roche. Si on pouvait broyer le schiste en fine poudre pour en extraire la totalité du pétrole, on en obtiendrait 40 milliards de barils.

Malheureusement, les choses ne sont pas aussi simples. Réduire de la roche en poudre, cela demande des meules puissantes, qui requièrent des quantités colossales d’énergie. Conséquemment, cela n’est pas rentable.

La technique utilisée de nos jours consiste à fracturer la roche en injectant un mélange constitué principalement d’eau et de sable. On peut alors recueillir le pétrole et le gaz naturel libérés par ces fractures d’environ un millimètre de largeur. Entre elles, ces fractures sont distantes de plusieurs mètres.

On est donc très loin de la pulvérisation de la roche. Voilà pourquoi le taux d’extraction est extrêmement faible, de l’ordre de 1,2% dans le cas du pétrole.

Pour obtenir une exploitation complète de l’île — y compris les zones à risque de contamination des nappes phréatiques — il faudrait 12 000 à 18 000 puits au coût unitaire de dix millions$. Bref, un coût d’au moins 120 milliards$. Et ce, sans compter les royautés à payer aux pétrolières qui possèdent les brevets sur ce mode d’extraction, ni le coût des routes et des oléoducs nécessaires à l’acheminement de ce pétrole vers les marchés de consommation.

Or la ressource exploitable (le 1,2% du 40 milliards de barils), à 100$ le baril, ne vaut que 50 milliards$. En somme, on dépenserait 120 milliards$ pour en gagner 50, soit une perte de 70 milliards$ pour l’ensemble de l’île (et moins si on n’en exploite qu’une partie).

Quand au gaz naturel qui s’y trouve — et dont le taux d’extraction est de l’ordre de 20% — c’est un « déchet ». Présentement, le prix du gaz naturel est tellement bas, que cela ne vaut pas la peine de construite des gazoducs pour le transporter. Sur Anticosti, comme au Dakota, il serait brulé sur place par de hautes torches allumées jour et nuit.

Un investissement spéculatif du gouvernement

Il y a une semaine, le gouvernement Marois annonçait un investissement de 115 millions de dollars dans la recherche d’énergie fossile sur l’île d’Anticosti. Selon ce qui a été rendu public, l’entente serait un investissement de l’État dans le capital des entreprises qui ont obtenu des droits d’exploration sur l’île, en échange d’une promesse que cet argent servirait à la recherche d’hydrocarbures.

Si on tient compte de l’appréciation boursière soudaine des deux plus grosses entreprises concernées (Pétrolia et Junex, qui valent maintenant 113 millions$), la somme investie par l’État correspond à la totalité de la valeur capitalisée de ces entreprises. En d’autres mots, on aurait pu les étatiser pour le même prix. Mais si on avait fait cela, on aurait acheté du vieux stock.

L’investissement servira plutôt à connaître de manière définitive, le potentiel pétrolier de l’île : plus précisément, l’investissement permettra de doubler le nombre de puits creusés.

Si nous avions affaire à du pétrole conventionnel, de nouveaux puits pourraient faire toute la différence. À titre d’exemple, au Texas, on peut percer un puits et ne rien obtenir, puis en percer un autre 1km plus loin et bingo : le pétrole jaillit.

La vingtaine de puits qui, jusqu’ici, ont permis de comprendre les caractéristiques de la couche de schiste, ont laissé de grandes zones inexplorées. Mais puisqu’on a affaire à une formation géologique relativement homogène, on peut déjà extrapoler à partir de ce qu’on sait. Il est donc hautement probable que cela ne nous apprendra rien d’important.

Cet investissement modifie toutefois l’acceptabilité sociale de l’exploitation pétrolière à Anticosti puisque grâce à lui, la collectivité québécoise recueillerait 60% des bénéfices d’une éventuelle exploitation… si cela devait être rentable.


Post-scriptum du 2016-01-30 : Un commentaire de l’ingénieur Marc Durand paru aujourd’hui dans le Le Devoir, apporte la correction suivante relativement aux engagements de l’État québécois :

Les engagements ne sont pas de 115M$, mais plutôt 56,7M$. Cent quinze millions c’était annoncé en 2014 pour l’ensemble des ententes possibles. Or pour la partie sud de l’île, Junex n’a jamais trouvé de partenaire et il n’y a donc pas eu de fonds affectés à une prise de participation de Ressource Québec.

Québec s’est engagé avec 56,7M$ pour sa part des dépenses (57%) d’exploration de 100M$. Ca ne lui donnait cependant que 35% des parts d’hydrocarbures Anticosti S.E.C. On ne sait pas combien des 100M$ ont été dépensés pour 12 forages (2014 et 2015).

Références
Conférence de Marc Durand : L’hypothétique gisement d’hydrocarbures non conventionnels d’Anticosti
Conférence de Marc Durand : Les risques et enjeux de l’exploitation du pétrole de roche-mère d’Anticosti
Feu vert à l’exploration pétrolière
Les hypothétiques gisements d’hydrocarbures non conventionnels d’Anticosti – Risques et enjeux
Pas de salut sans exportation pour le gaz de schiste
Pétrole de schiste: Marc Durand précise ses propos
Pétrolia, Junex et Corridor tirent un profit immédiat
Québec enclenche l’exploration pétrolière sur Anticosti
Québec investira 115 millions sur Anticosti
Québec, «penny stock»

Complément de lecture : Le pétrole québécois

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4 commentaires à L’ABC du pétrole d’Anticosti

  1. sandy39 dit :

    Je parie que le pétrole a mauvais caractère, en étant si difficile à extraire…

  2. Marc Durand dit :

    Monsieur Martel,

    Merci de donner les hyperliens vers les documents originaux; tous ne respectent pas cette règle et pigent parfois à tort et à travers des éléments dont je suis l’auteur initial. Les liens vers mes document sont essentiels, car il m’arrive parfois d’apporter des compléments à mes documents.

    Je suis, par contre, tout à fait d’accord avec le type de document synthèse que vous faites, constitué de vos propres réflexions; je suis heureux de votre contribution à la diffusion de ces informations.

    • Monsieur Durand,

      La plus grande partie du temps à rédiger mon texte, fut consacrée à écouter religieusement vos conférences du 30 janvier 2013 à l’UQUÀM et du 30 novembre 2013 au colloque Nature Québec.

      C’est en empruntant librement dans le bagage de connaissances d’un des plus grands experts québécois — c’est à dire dans le vôtre — que je peux me permettre de ne pas trop paraître stupide en traitant d’un sujet éloigné de mon domaine de compétence.

      Je suis donc très honoré de votre participation à ce blogue et je vous en remercie.

      • Marc Durand dit :

        Si la grande partie de votre excellent texte est dû à ce que vous avez pu comprendre de mes deux conférences, vous me faites alors le beau compliment d’avoir réussi à vulgariser ces données fort complexes en 30 minutes de cours -Pétrole d’Anticosti 101- !

        Tant mieux si le cours est bon, c’est une de deux composantes d’un échange; l’autre étant la capacité de celui qui l’écoute à bien apprendre. Si j’étais encore à l’Université, je dirais que votre composition vaut un A+.

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