Le jambon de pétrole

Publié le 5 août 2013 | Temps de lecture : 3 minutes

Pendant des décennies, un litre d’essence importé du Moyen-Orient coûtait moins cher qu’un litre d’eau embouteillée localement.

En 1958, dans un restaurant marseillais, le microbiologiste Jacques-Charles Senez rencontre son patron, Alfred Champagnat, directeur scientifique de la filiale française de British Petroleum.

Le microbiologiste vient d’avoir une idée géniale. Dans le but de trouver un nouveau débouché pour le pétrole bon marché et abondant de la compagnie, il suggère à son patron de transformer cette ressource en protéines et ainsi combattre la faim dans le monde.

Étonné, le directeur scientifique demande : « Et tu vois ça comment ? ». Le chercheur répond : « Les levures sont des poches d’enzymes. Trouvons celles qui ont ce qu’il faut pour se nourrir et se multiplier à partir du pétrole : il nous suffira de recueillir les levures et de les laver. Et comme leurs enzymes sont toujours des protéines, celles-ci nourriront les affamés.»

En trois ans, BP isole des souches de levures et fait construire de gigantesques fermenteurs remplis de produits de raffinerie. Avec une tonne d’hydrocarbures, on obtient une tonne de levures, contenant jusqu’à 60% de protéines.

Après des tests d’innocuité concluants, on donne cette poudre à des porcs à la place de la moulée. Puis le directeur scientifique français apporte à ses grands patrons londoniens deux jambons : l’un au grain, l’autre aux protéines de pétrole. Ceux-ci ne parviennent pas à faire la différence.

Le jambon de pétrole est alors jugé digne de la gastronomie anglaise, aux côtés des chefs-d’œuvre que sont la Soupe de têtes de poisson à la cerise, le Potage de lichen écossais flambé, ou la célèbre Tourte de rognons et de sabots de bœuf.

Le feu vert est donné. En 1968, on construit près de Fos-sur-Mer, dans le midi de la France, une usine pilote capable de produire 16 000 tonnes de protéines de pétrole par an. Convaincu du potentiel économique énorme de l’entreprise, l’État français assure la protection militaire des lieux. Afin d’en interdire l’accès et d’en faciliter la protection, l’usine est construite sur un bras qui s’avance sur la Méditerranée.

Mais le choc pétrolier de 1973 plombe la rentabilité de l’entreprise. Quelques années plus tard, BP arrête son programme.

Référence : La manne pétrolière

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