Lac-Mégantic : les calculs du gouvernement Harper

Publié le 24 juillet 2013 | Temps de lecture : 10 minutes

Musi-cafe
 
Rappel d’une autre catastrophe

Le 20 avril 2010, une explosion survenue sur une plateforme pétrolière appartenant à la compagnie British Petrolium fait 11 morts. Ce n’est qu’au mois de septembre suivant que BP réussira à colmater la fuite.

Entretemps, 780 millions de litres de pétrole brut seront répendus dans le golfe du Mexique, provoquant le plus important désastre écologique de l’histoire des États-Unis.

Le 16 juin, BP cède aux pressions de l’administration Obama et crée un fonds d’indemnisation de 20 milliards$. Il est à noter qu’à ce moment-là, la fuite n’avait pas encore été colmatée et conséquemment l’ampleur du désastre ne pouvait pas encore être estimé précisément.

L’enfer

Dans la nuit du 5 au 6 juillet dernier, un train est stationné à Nantes, un village situé à 12 km de Lac-Mégantic. Plus tôt dans la soirée, sa locomotive a pris feu sans qu’on sache pourquoi. Laissé sans surveillance, le convoi se met spontanément en branle et dévale la pente dans laquelle il se trouve. Après une course folle qui dure 18 minutes, le train déraille au centre-ville de Lac-Mégantic. Sa cargaison de millions de litres pétrole brut prend feu et déclenche un immense brasier.

À quelques pas de là, quelques dizaines de jeunes sont réunis au Musi-Café (photo ci-dessus). Dès la première explosion, les verres suspendus au dessus du bar s’entrechoquent bruyamment. En dépit de la musique ambiante, la plupart des personnes réunies soupçonnent que quelque chose d’anormal vient de se produire. Un petit nombre de fêtards tentent de calmer l’inquiétude des autres en plaisantant.

Seuls Christian Lafontaine et sa sœur Josée — dont c’est l’anniversaire — ont le réflexe de se précipiter vers la sortie : ils seront les seuls à avoir la vie sauve parmi tous ceux présents dans l’établissement.

Déjà, la rue Frontenac s’est transformée en un immense couloir de flammes et de suie tourbillonnantes qui lèchent les grandes vitres de la façade. Craignant l’éclatement de celles-ci, ceux qui pensaient se sauver par l’avant réalisent qu’il est trop tard et sont obligés de rebrousser chemin.

Ceux qui ont l’idée de sortir par l’issue de secours doivent y également renoncer; non seulement la poignée de métal est brulante mais, dès qu’on s’approche de la porte, on sent déjà la chaleur.

Gaétan Lafontaine, qui avait préféré aller chercher sa copine (Joanie Turmel), plutôt que de suivre immédiatement son frère et sa sœur, réalise qu’il est pris au piège.

Ceux attablés le long du mur nord n’ont que quelques instants pour quitter leur place alors que le revêtement commence à dégager de la fumée. L’assistance se déplace en panique du côté opposé, renversant sur son passage des chaises et quelques tables.

Pendant que quelques-uns textent nerveusement sur leurs téléphones portables, d’autres tentent de respirer au travers leurs vêtements afin de se protéger vainement de la fumée.

Quelques secondes plus tard, le mur nord s’enflamme spontanément, aux cris de l’assistance. Des débris tombent du plafond. Tout autour du comptoir du bar, les bouteilles de spiritueux répandent au sol la lumière bleutée de leur contenu enflammé.

Des personnes se mettent à pleurer. Bientôt les flammes jaillissent de partout tandis que crépitent les flammèches des courts-circuits.

En moins de deux minutes, la toux se généralise. Ceux qui n’ont pas encore perdu connaissance souffrent de l’air brulant qu’ils respirent. Bientôt chaque personne se transforme en torche vivante et se consume au milieu d’affreuses souffrances.

C’est ainsi, dans le Musi-café, que sont mortes la majorité des victimes de la tragédie de Lac-Mégantic.

L’inertie du gouvernement Harper

Le drame de Lac-Mégantic résulte de l’aveuglement bienveillant du gouvernement Harper à l’égard de l’industrie ferroviaire.

C’est le gouvernement Harper qui a permis aux compagnies ferroviaires d’opérer avec presque personne à bord. C’est lui qui a réduit le nombre d’inspecteurs de 215 à 204 entre 2011 à aujourd’hui alors que le transport de pétrole brut connaissait une croissance 2 800% en trois ans. C’est lui qui préfère laisser à chaque transporteur ferroviaire, le soin de s’assurer du respect des normes de sécurité. C’est lui enfin, qui a choisi de ne pas effectuer des vérifications aléatoires ayant pour but de s’assurer que les compagnies s’acquittent de leurs obligations.

Comme des parents qui veulent éviter d’afficher leur vulnérabilité devant des enfants revendicateurs, le gouvernement Harper veut éviter à tout prix de reconnaitre sa responsabilité. Cette catastrophe donnera naissance à des réclamations totalisant des centaines de millions$ : la priorité numéro un du gouvernement fédéral est de minimiser sa responsabilité dans ce désastre.

Il lui faut donc afficher de la compassion pour les victimes sans donner l’impression qu’il regrette quoi que ce soit. S’il se montre repenti, le gouvernement Harper devient vulnérable aux critiques de l’opposition. Sa priorité est donc de sauver la face.

Toutes les discussions à Ottawa depuis la tragédie concernent les aspects politiques de cette affaire. On ne sera donc pas surpris de la lenteur mise par le Fédéral à annoncer une aide de 60 millions$, ni de l’absence de précisions quant aux modalités.

Comment le gouvernement Harper en est-il arrivé à cette somme de 60 millions$ ? Pourquoi pas 50 ? Pourquoi pas 100 ?

Cette somme n’est pas moindre que celle promise par le gouvernement provincial parce que le Fédéral ne peut pas laisser un gouvernement local, indépendantiste par surcroit, lui voler la vedette et paraitre plus généreux que lui.

Elle n’est pas supérieure parce que toute générosité « excessive » pourrait être interprétée comme un désir de réparer des torts passés.

Une telle générosité est d’autant plus inappropriée qu’elle est inutile. Si le gouvernement Harper se montrerait généreux dans le cas d’une catastrophe en Alberta, tous les Albertains lui en seraient reconnaissants.

Ici, peu importent les sommes dépensées par le Fédéral, cela sera considéré comme normal puisque c’est de sa faute. Bref, les Québécois retiendront moins les millions$ du gouvernement Harper que la cinquantaine de morts que sa négligence a causée.

Le 12 juillet dernier, un déraillement est survenu en France, près de Paris, faisait six morts. La réaction immédiate de la Société nationale des chemins de fer a été d’ordonner une vérification complète du réseau. En quelques jours, l’entreprise publique a réalisé une vérification de l’ensemble des 5 000 aiguillages et 100 000 éclisses du réseau national.

Au Canada, à peu près rien n’a été fait; tout au plus, il faudra dorénavant au minimum deux personnes à bord lorsque le train est en marche. Et on n’a à peu près rien fait parce qu’on ne veut pas donner l’impression d’une précipitation dictée par le repentir.

Ce souci d’éviter toute précipitation explique pourquoi les représentants conservateurs au Comité permanent des transports ont torpillé la rencontre convoquée d’urgence par les représentants du Nouveau Parti Démocratique. On ne veut même pas reconsidérer le refus obstiné de donner suite aux recommandations des experts, soumises à la suite de déraillements passés.

D’autre part, dans le cas de la catastrophe dans le golfe du Mexique, l’administration Obama a forcé BP à créer un fonds d’indemnisation en fidéicommis, ce qui a facilité le paiement des réclamations aux victimes. Toutefois, cette initiative présidentielle lui a attiré les critiques de l’extrême droite américaine; ceux-ci ont estimé que l’agressivité du président des Etats-Unis envers le pollueur n’était pas conforme aux traditions américaines.

Le gouvernement Harper veut éviter de commettre une telle « erreur ». Il ne veut pas être accusé de créer un climat hostile à l’entrepreneurship. Voilà pourquoi il se traîne les pieds, ce qui permettra à la compagnie ferroviaire responsable de cette catastrophe de déclarer faillite, si elle désire, échappant ainsi aux poursuites entamées contre elle en territoire canadien.

Contrairement à BP dans le golfe du Mexique, la compagnie ferroviaire a perdu à Lac-Mégantic du pétrole qui ne lui appartient pas : elle ne faisait que le transporter. Conséquemment, elle devrait, théoriquement, le rembourser à ses clients.

Au départ, on croyait que le convoi transportait 100 000 litres de pétrole brut. Or on apprend aujourd’hui qu’il s’agirait plutôt de 5,7 millions de litres, selon des données divulguées par le ministère de l’Environnement du Québec.

Afin de ménager sa clientèle, la compagnie mère américaine préférera sans doute que les assurances de sa succursale canadienne servent à rembourser prioritairement le coût du pétrole à ses précieux clients corporatifs, plutôt que de dédommager quelques habitants de la République de banane du Canada.

C’est ainsi que les experts embauchés par la compagnie et qui travaillent depuis deux semaines, n’ont pas reçu un seul sou de la compagnie. Et parce qu’ils ont menacé de débrayer, la ville de Lac-Mégantic a consenti à leur verser les salaires que la compagnie leur devait afin qu’ils poursuivent leur travail.

Plus on en apprend dans ce dossier, plus la faillite de la compagnie ferroviaire devient probable. En gagnant du temps, le gouvernement Harper permet à cette compagnie de filer à l’anglaise. Cela compliquera les recours judiciaires et retardera les compensions aux sinistrés puisque ces recours devront être entamés aux Etats-Unis contre la société mère.

C’est apparemment le calcul cynique auquel est parvenu le gouvernement Harper, estimant qu’avec le temps, le souvenir de cette tragédie s’estompera au point que les électeurs s’en rappelleront à peine lors du prochain scrutin.

Si c’est le cas, il ne soupçonne pas à quel point les Québécois de descendance française forment une société tricotée serrée qui a la mémoire longue. Très longue…

Références :
Un arrêt de travail a paralysé le site de la tragédie de Lac-Mégantic
Deepwater Horizon oil spill
Lac-Mégantic : camouflage de la vérité derrière l’échec de la réglementation
La responsabilité du gouvernement Harper dans la cinquantaine de décès au Lac-Mégantic
Le NPD demande une réunion du comité des transports
Réseau ferré : les aiguillages sont sûrs, selon la SNCF

Paru depuis : Explosion à Lac-Mégantic: j’accuse! (2013-07-25)

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Un commentaire à Lac-Mégantic : les calculs du gouvernement Harper

  1. M.Martins dit :

    Les Canadiens, ils ont démoli le parti conservateur à cause de la corruption!! Et puis pas longtemps après, ils les ont remis en place…

    Moi quand je vue  » pitou » embrasser charlie brown, je me suis dit:
    il va arriver de quoi!! N’est pas encore arrêté…ho que non…

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