La responsabilité du gouvernement Harper dans la cinquantaine de décès à Lac-Mégantic

Le 11 juillet 2013

Dans la nuit de vendredi à samedi derniers, un train stationné dans une pente l’a dévalée pendant 18 minutes — personne à bord — puis, ayant atteint une vitesse de 101 km/h, a déraillé dans une légère courbe : sa cargaison de plus de 100 000 litres d’essence a pris feu, déclenchant un immense brasier qui a brulé vif une cinquantaine de résidents de Lac-Mégantic, au Québec.

Le transport ferroviaire est une responsabilité exclusive du gouvernement fédéral. C’est lui qui en dicte les règles et qui voit à son application.

C’est le gouvernement Harper qui a permis aux compagnies ferroviaires d’opérer avec presque personne à bord. C’est lui qui a réduit le nombre d’inspecteurs de 215 à 204 entre 2011 à aujourd’hui alors que le transport de pétrole brut connaissait une croissance 2 800% en trois ans. C’est lui qui préfère laisser à chaque transporteur ferroviaire, le soin de s’assurer du respect des normes de sécurité. C’est lui enfin, qui a choisi de ne pas effectuer des vérifications aléatoires ayant pour but de s’assurer que les compagnies s’acquittent de leurs obligations.

Bref, c’est lui qui a choisi de se fermer les yeux. C’est son choix.

Grâce à cet aveuglement bienveillant et grâce à l’autorégulation de l’industrie, le gouvernement fédéral sauve beaucoup d’argent. Mais cela ne fait pas disparaitre pour autant sa responsabilité de garantir la sécurité du transport ferroviaire au pays.

Quand une catastrophe survient alors qu’elle aurait été impossible si des normes plus sévères avaient été respectées, le gouvernement est alors responsable de ses choix.

Dans le cas des préjudices subis par la population de Lac-Mégantic, la première coupable est évidemment la compagnie ferroviaire. Normalement, les réclamations sont acheminées à la compagnie : celle-ci se tourne ensuite vers son assureur pour qu’il paye la note.

Mais si le transporteur fait faillite, les personnes lésées ne pourront pas s’adresser directement à l’assureur. Il leur faudra s’adresser à la société mère située aux États-Unis et possiblement intenter des poursuites contre elle devant des tribunaux américains.

Cela rend le tout extrêmement compliqué et coûteux.

Même si le gouvernement du Québec a pris l’excellente décision de débloquer une somme de soixante millions$ dans le but de venir en aide aux sinistrés, ce n’est pas à lui de le faire. C’est au gouvernement Harper de payer pour les conséquences de ces choix idéologiques, quitte à poursuivre le transporteur ferroviaire ou sa société mère par la suite.

Lors de la crise du verglas au Québec en 1998, le gouvernement fédéral avait très bien agit en mettant une partie de l’armée canadienne au service du gouvernement provincial, afin de porter secours aux victimes.

Mais il avait trouvé des prétextes pour ne pas payer les 421 millions$ que lui réclamait le Québec en dépit du fait que deux autres provinces ont été dédommagées par le Fédéral à la suite de tempêtes de verglas survenues chez elles en 1984. Nos règles ont changé, s’était-il contenter de dire.

Et il aurait très bien pu ajouter : après tout, ces pylônes électriques qui se sont effondrés, c’est quand même votre société d’État québécoise qui les a construits. Pas nous.

Dans ce cas-ci, c’est l’inverse : on affaire à une catastrophe dans un domaine de compétence exclusive du fédéral. Et ce n’est pas la première à survenir.

En fait, c’est le quatrième accident impliquant le transport du brut au Canada au cours des six derniers mois, et le deuxième déraillement au Québec : l’autre incident québécois est celui à Frontenac, il y a deux mois à peine, impliquait un train de la même compagnie, transportant lui aussi du pétrole.

À la suite des attentats du 11 septembre 2001, l’administration Bush n’a pas attendu des rapports d’experts pour déclencher la guerre en Afghanistan. Elle n’a pas attendu qu’un tribunal international trouve Al Qaeda coupable. Une petite vidéo de Ben Laden disant « Coucou ! C’est moi » avait suffit.

Alors ici, quatre trains déraillent. Des centaines de milliers de litres de pétrole sont déversés aux quatre coins du pays et que fait M. Harper ? Il visite les sinistrés et les réconforte, ce qui est très bien. Mais quoi d’autre ? Rien.

Ce qu’on attend du Premier ministre, c’est qu’il donne un grand coup de poing sur la table pour que les autorités fédérales révoquent sans délai le permis d’opération de la compagnie ferroviaire concernée. Deux déraillements et une cinquantaine de morts, ça suffit.

De plus, sans attendre une faillite éventuelle du transporteur, il doit immédiatement exiger que des centaines de millions de dollars soient placées en fidéicommis par l’assureur afin de garantir le respect des sentences qui pourraient être imposées à titre posthume au transporteur, le cas échéant.

Il doit exiger la vérification immédiate de l’état du réseau ferroviaire canadien. S’il ne faut quelques heures aux journalistes pour trouver des rails dont les clous de fixation sont inopérants, je suis certain que le Premier ministre peut faire vite.

À preuve, dès le début du scandale des appels électoraux frauduleux, M. Harper a immédiatement pris fait et cause en faveur de la pègre conservatrice. Nous lui demandons aujourd’hui la même promptitude à protéger la population canadienne.

Après quatre déraillements en six mois, après des années à se fermer les yeux sur la dégradation du réseau, il est temps de les ouvrir. Cette catastrophe a ébranlé la confiance des élus de nombreuses villes canadiennes traversées par une voie ferrée. Avant qu’on adopte ici et là une multitude de règlements municipaux destinés à garantir la sécurité de la population, il serait préférable que le gouvernement du Canada prenne ses responsabilités.

Et si jamais, il viendrait à l’idée de M. Harper — Oh miracle ! — d’établir un mécanisme de dédommagement pour les sinistrés, il devra éviter d’imposer aux fonctionnaires fédéraux des quotas secrets à ne pas dépasser (comme c’est le cas envers les travailleurs saisonniers).

Cette série de suggestions n’est pas limitative. Si M. Harper a d’autres bonnes idées, je l’encourage à les mettre en application. Vite.

Pendant que le Premier ministre poursuit sa réflexion, voici la liste des victimes dont les noms ont été rendus publics : Marie-Semie Alliance, Alyssa Bégnoche (4 ans), Bianca Bégnoche (9 ans), Talitha-Coumi Bégnoche, Diane Bizier (46 ans), Guy Bolduc (43 ans), Stéphane Bolduc (37 ans), Yannick Bouchard (36 ans), Marie-France Boulet (62 ans), Yves Boulet (51 ans), Frédéric Boutin (19 ans), Geneviève Breton (28 ans), Karine Champagne (36 ans), Sylvie Charron (50 ans), Kathy Clusiault (24 ans), Réal Custeau (57 ans), Denise Dubois (57 ans), Maxime Dubois (27 ans), Marie-Noëlle Faucher, Natacha Gaudreau (41 ans), Jacques Giroux (65 ans), Michel Guertin Jr (33 ans), David Lacroix-Beaudoin (27 ans), Gaétan Lafontaine (33 ans), Karine Lafontaine (35 ans), Stéphane Lapierre, Jo-Annie Lapointe (20 ans), Henriette Latulippe (61 ans), David Martin (38 ans), Roger Paquet (61 ans), Éliane Parenteau-Boulanger (93 ans), Mathieu Pelletier (29 ans), Éric Pépin, Louisette Picard, Marianne Poulin (23 ans), Wilfrid Ratsch, Martin Rodrigue, Jean-Pierre Roy (56 ans), Kévin Roy (29 ans), Melissa Roy (29 ans), Andrée-Anne Sévigny (26 ans), Jimmy Sirois, Élodie Turcotte (18 ans), Joanie Turmel (29 ans), Lucie Vadnais (49 ans), Jean-Guy Veilleux (32 ans) et Richard Veilleux (63 ans).

Post-scriptum du 22 janvier 2014 : À cette liste, on ajoutera le nom d’un pompier de 25 ans qui s’est enlevé la vie aujourd’hui, soit quatre mois après avoir combattu l’incendie et extirpé des décombres le corps calciné de son ex-épouse.

Références :
Lac-Mégantic : camouflage de la vérité derrière l’échec de la réglementation
La sécurité du transport ferroviaire
Québec n’espère plus l’argent d’Ottawa
Quotas à l’assurance-emploi : une dénonciatrice suspendue sans solde

Parus depuis :
Les limites de l’autorégulation (2013-07-12)
Lac-Mégantic: «Ça y est, c’est arrivé…» (2013-07-20)
Lac-Mégantic – Le pire déversement terrestre en Amérique du Nord (2013-07-24)
Explosion à Lac-Mégantic: j’accuse! (2013-07-25)
Lac-Megantic train explosion: a regulatory failure? (2013-07-29)
Lac-Mégantic – Ottawa doit payer (2013-08-15)
Lac-Mégantic – Des travaux d’excavation colossaux (2013-09-18)
Un assureur de MMA refuse indemniser les victimes (2013-09-18)
Les trains à la dérive beaucoup plus nombreux qu’on le croit (2013-12-03)
Sécurité ferroviaire : hausse constante des infractions (2013-12-04)
Triste fin pour un pompier de Lac-Mégantic (2014-01-22)
Fin des travaux d’identification des victimes de Lac-Mégantic (2014-04-08)

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3 commentaires à La responsabilité du gouvernement Harper dans la cinquantaine de décès à Lac-Mégantic

  1. pierre pinsonnault dit :

    Les faits, qui semblent bien étayés et que vous nous rapportez, M. Martel, font mal.

    Espérons que nous n’aurons pas, de la part de quiconque qui voudrait blanchir quelque responsable que ce soit de cette tragédie de Mégantic, à lire noir sur blanc la maxime qui veut — mais en référant aux profits, à la rentabilité ou à la productivité — qu’on ne fait pas d’omelette sans casser des œufs.

    En tous les cas, dorénavant, si les mesures adéquates ne sont pas prises pour assurer la sécurité de mise dans le transport ferroviaire, les autorités pourront difficilement miser sur le principe, appris dès notre jeunesse généralement partout en Occident, qui veut qu’on leur pardonne car elles ne savaient pas ce qu’elles faisaient.

  2. M.Martins dit :

    C’est la morale et le respect des autres qui manquent à ceux qui nous gouvernent, et à ceux qui pensent s’enrichir à l’outrance avec un mépris total pour la valeur humaine.

    Après, nous dictant pour intermède de religieux, avec la même sans vergogne pour prier Dieu pour nous faire pardonner les péchés qu’en fin de comptes ils ont eux-mêmes commis. Comme ce responsable de la NASA en réponse à journaliste qui demandait que pouvons-nous faire en cas d’un astéroïde qui tombe sur la terre?? Il a répondu: prier!!

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