Les droits et la liberté

Publié le 24 janvier 2013 | Temps de lecture : 3 minutes

Samedi dernier, le Devoir publiait une lettre de l’écrivaine Yolande Geadah dans laquelle celle-ci s’oppose refus de la mixité à une piscine publique de Montréal.

Rappel. Le quartier montréalais de Côte-des-Neiges est probablement le plus multi-ethnique de la métropole. Sa piscine publique, ouverte 22 heures par semaine, réserve deux heures exclusivement aux personnes de sexe féminin et deux autres exclusivement aux personnes de sexe masculin.

Cette mesure, mise en place minimalement il y a seize ans, faisait suite à des demandes de communautés religieuses, à une époque où la vocation religieuse était plus importante qu’aujourd’hui.

De nos jours, elle permet d’accommoder les personnes qui, pour des raisons de pudeur, sont réticentes à se monter peu vêtues devant des personnes du sexe opposé.

Depuis le début du mois, cela est le sujet d’une controverse qui oppose les partisans de la laïcité des services publics à ceux qui souhaitent qu’on réponde aux besoins spécifiques de communautés culturelles dans les limites du raisonnable (appelés « accommodements raisonnables »).

Les partisans de la laïcité soutiennent qu’on ne doit pas tolérer de discrimination reliée au sexe sans faire entorse au principe de l’égalité entre les hommes et les femmes. De plus, cela créerait un précédent qui pourrait nous entrainer vers une ségrégation religieuse plus poussée des services publics.

Je ne suis pas de cet avis. S’il s’agissait de réserver des heures de baignade aux croyants d’une dénomination religieuse particulière et de changer l’eau de la piscine au préalable parce que souillée par des gens d’autres religions, je comprendrais qu’on soit contre. Mais nous n’en sommes pas là. Et ce qu’on permet aujourd’hui n’est absolument pas un précédent qu’on peut évoquer pour exiger davantage. Juridiquement, chaque cas est un cas d’espèce.

Au contraire, cette mesure permet à des femmes de différentes religions de partager simultanément un espace public. C’est donc une mesure d’intégration à la société québécoise.

La pudeur ne se commande pas. Interdire la baignade aux femmes prudes ne les force pas à se montrer au regard de tous : cela les condamne à rester chez elles.

Or les droits visent à consacrer la liberté. Cette mesure rend les femmes libres. Libre de s’accepter en voyant d’autres femmes « ordinaires » plutôt que de les isoler chez elles à se jauger au physique avantageux des modèles présentés dans les revues féminines. Libres de parler entre elles de leur condition sans craindre d’être espionnées par un conjoint dominateur.

Bref, c’est se tirer dans le pied que d’interdire aux personnes prudes de se réunir entre elles. Du strict point de vue de l’intégration à la société québécoise, réserver quelques heures par semaine à la baignade non mixte est un pas vers cette intégration plutôt que le contraire.

Ceci étant dit, il ne s’agit pas de proposer cette mesure partout, mais de la permettre là où cela est justifié. C’est le cas dans le quartier de Côte-des-Neiges. Et les autorités qui l’ont permise doivent être félicitées pour cette initiative.

Références :
Baignade non mixte – Une pratique répandue
Contre les baignades non mixtes pour des raisons religieuses
Les dieux et la piscine

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Écrit par Jean-Pierre Martel