Dans l’édition d’aujourd’hui du Devoir, le professeur Daniel Turp (de la faculté de Droit de l’université de Montréal) signe un document intitulé « Un modèle authentiquement québécois de laïcité ».
En gros, le professeur Turp propose qu’au Québec, le port de signes ostentatoires d’appartenance religieuse soit interdit au personnel des institutions publiques, notamment aux enseignants. Cette interdiction s’appliquerait aux élèves des écoles primaires et secondaires (mais pas aux CÉGEPs — l’équivalent des lycées français — ni aux universités) afin, dit-il, de « mener à terme le processus de laïcisation au Québec ».
J’insiste sur le qualificatif « ostentatoire » : il concerne ici l’étalage jugé excessif d’une appartenance religieuse. Concrètement, cela permet de cibler le voile islamique sans interdire les pendentifs et broches en forme de crucifix, plus discrets.
À mon avis, cela ressemble beaucoup à de la discrimination déguisée. D’autant plus qu’il mentionne la possibilité d’invoquer la clause dérogatoire de la Constitution canadienne pour appliquer sa Charte de la laïcité.
Ce qu’il faut rechercher, c’est la neutralité religieuse de l’État. Pour le professeur Turp, cela exige qu’on ne puisse pas deviner l’appartenance religieuse de ses représentants.
Mais cette neutralité peut s’affirmer d’une autre manière, soit en laissant la liberté de chacun de vivre sa religion comme il l’entend, du moment que cela ne porte pas atteinte aux droits des autres de vivre selon leurs principes à eux. C’est donc une autre forme de neutralité : en n’intervenant pas.
En d’autres mots, cette neutralité, c’est l’indifférence totale des institutions publiques face aux croyances religieuses du citoyen. Ce dernier n’aurait donc pas à renier sa foi (ni aux manifestations extérieures de celle-ci) avant de recourir à un service public.
Le principe qui doit nous guider, c’est « vivre et laisser vivre ». Si quelqu’un est coiffé d’un turban ou d’une calotte juive, cela ne me regarde pas. Tant que cette personne n’exige pas que moi aussi, je porte sa coiffure, je ne vois pas où est le problème.
Cela signifie donc que les employés de l’État et les citoyens confiés à leurs soins (dont les élèves) reflèteraient la diversité de la Nation; plusieurs pigmentations de la peau, des sexes différents, des croyances religieuses diverses, des tenues vestimentaires variées, des colorations capillaires semblables à ce qu’on voit dans la rue, et des accents linguistiques qui reflètent mon pays. Voilà comment l’État peut être neutre sans imposer par la force de la loi une homogénéité artificielle.
Malgré tout, afin de refléter les limites de notre propre tolérance, il serait interdit aux serviteurs de l’État d’être masqués lorsqu’ils exercent leurs fonctions. De plus, la croix au sommet du Mont-Royal resterait là, de même que les grands crucifix qui décorent déjà nos routes de campagne. Quant au crucifix de l’Assemblée nationale (qui date des années 1930), à part les députés, personne ne remarquait son existence avant qu’on fasse un drame de la possibilité qu’il soit retiré. Il devrait donc être confié à un musée.
Bref, la Charte de la laïcité imaginée par ce distingué professeur ressemble trop à de la discrimination sublimée pour que je puisse y adhérer avec enthousiasme. J’inviterais donc le professeur Turp à poursuivre sa réflexion à ce sujet pendant que je poursuivrai la mienne, jusqu’à ce que nos avis se rejoignent finalement.