Sauver Gentilly-2 : un combat perdu d’avance

Publié le 22 septembre 2012 | Temps de lecture : 7 minutes

Moins de 24 heures après son entrée en fonction à titre de Première ministre, Mme Pauline Marois a annoncé la fermeture de Gentilly-2, la seule centrale nucléaire en opération au Québec.

Alors que le cadre financier des promesses électorales du Parti Québécois prévoyait une somme de 13 millions$ consacrée au développement économique du centre du Québec afin compenser pour la fermeture de la centrale nucléaire Gentilly-2, c’est plutôt une somme de 200 millions$ que Mme Marois a décidé d’allouer à cette fin.

Considérations sanitaires

Cette semaine, le documentaire Gentilly or not to be provoquait une controverse relativement à la sécurité du nucléaire. En substance, le film prétend que la population qui habite à moins de plusieurs kilomètres d’une centrale nucléaire court un risque accru de développer des cancers.

Malgré le fait qu’il soit impossible de bloquer la radioactivité d’une centrale nucléaire, il est très douteux que la population environnante soit à risque.

Il est vrai qu’une paroi de plomb épaisse de 15 cm ne bloque que 50% des rayons gamma. Donc toute la centrale est radioactive et sa radioactivité est proportionnelle à la durée de son exploitation.

Toutefois, l’exposition à la radioactivité diminue avec le carré de la distance. En d’autres mots, lorsqu’on multiplie par 2 la distance d’exposition, on diminue de 4 fois la radioactivité. À 3 fois la distance, on a le 9e de la radioactivité. À 1 km, c’est un million de fois plus faible. À 2 km, c’est quatre millionièmes, etc.

En somme, une femme enceinte qui habite à 1 km de Gentilly-2 reçoit un million moins de radioactivité que n’importe quel employé de la centrale.

D’autre part, il n’existe pas de seuil sécuritaire. Théoriquement, toute radioactivité est néfaste. Toutefois, on doit prendre en considération le bombardement naturel que subit la Terre (d’origine cosmique) : nous sommes bombardés naturellement par une faible quantité de radioactivité. Sur mon compteur Geiger, ce dernier enregistre une dizaine de rayons gamma à la minute, ici même à Montréal.

Qu’une centrale ajoute un rayon gamma à l’heure, cela ne change pas grand-chose. Donc au-delà d’une certaine distance, la radioactivité d’une centrale devient insignifiante.

Considérations économiques

En 2009, l’électricité produite par la fission nucléaire ne constituait que 2,35% de tous les approvisionnements d’Hydro-Québec. Alors que le coût moyen de production d’Hydro-Québec s’élevait à 2,14 cents par kilowatt-heure (kwh) en 2010, un responsable de la division nucléaire d’Hydro-Québec affirmait en 2005 que le coût de production à la centrale de Gentilly-2 s’élevait à 6 cents le kwh — environ trois fois plus — soit d’avantage que le prix de vente au secteur industriel et à peine moins que le tarif résidentiel. En somme, Gentilly-2 n’est pas rentable et ne l’a jamais été.

Lorsqu’on prend en considération, non pas l’électricité de nos vieux barrages des années 1970, mais l’énergie qui sera produite par les barrages futurs d’Hydro-Québec, cette énergie reviendra à environ 10 cents du kwh. C’est davantage que le prix de ce qui est produit par Gentilly-2. Donc, sous cet angle, Gentilly-2 serait rentable (et même compétitive avec l’éolien, notamment).

Malheureusement, cela ne prend pas en considération les milliards$ que coutera la réfection de Gentilly-2, ce qui aura pour effet de faire augmenter considérablement les coûts unitaires de production du nucléaire au Québec.

On estime officiellement à 1,9 milliards$ le coût de réfection de cette centrale. Dans les faits, on s’attend à ce que la facture soit beaucoup plus élevée. Déjà, pour la seule année fiscale 2011-2012, l’État québécois (par le biais d’Hydro-Québec) a gaspillé 850 millions$ — soit presque autant que les revenus de la taxe santé — pour réparer cette centrale alors que presque rien n’a encore été fait.

Dernièrement on a rénové la centrale Point-Lepreau au Nouveau-Brunswick, une centrale CANDU en tous points semblable à Gentilly-2. Prévue à 1,4 milliards$, cette rénovation coûtera finalement au moins 2,4 milliards$, soit 1 milliard$ de plus que prévu.

Il faut savoir qu’Énergie atomique de Canada (ÉACL) a vendu tous ses réacteurs nucléaires ontariens à la firme québécoise SNC-Lavallin pour la modeste somme de 15 millions$. Dans les faits, les 1 200 membres du personnel d’ÉACL sont devenus des employés de SNC-Lavalin. Cette firme de génie-conseil a donc à son emploi à peu près tous les grands experts canadiens dans le domaine nucléaire.

Si le gouvernement Marois avait décidé de briser sa promesse électorale et décidé de rénover Gentilly-2, qui pensez-vous aurait obtenu le contrat de réfection de cette centrale ? La seule compagnie québécoise compétente dans ce domaine spécialisé, soit SNC-Lavalin.

Après avoir commencé les travaux, si cette firme devait informer l’État qu’on doit lui accorder des centaines de millions$ de plus pour effectuer d’autres travaux à la centrale nucléaire, travaux non-prévus dans l’appel d’offres, quel fonctionnaire pourra juger si ces travaux sont essentiels ou non ? Comment l’État aurait pu argumenter avec les plus grands experts du pays ?

Donc SNC-Lavalin aurait pu réclamer autant de rallonges qu’elle aurait voulu : l’État n’aurait pas eu d’autre choix que de payer ou de risquer une catastrophe nucléaire si elle avait ignoré les demandes successives de la firme de génie-conseil. Bref, la réfection de Gentilly-2 aurait été un grand bar ouvert.

Considérations politiques

Le syndicat des employés de la centrale mène depuis quelques jours une campagne contre la décision gouvernementale de fermer Gentilly-2. Les employés de cette centrale sont en bonne partie des diplômés universitaires extrêmement compétents. Ils reçoivent des salaires élevés qui sont amplement mérités. Toutefois, en travaillant pour une centrale nucléaire non-rentable, ce sont des assistés sociaux de luxe.

Il est inutile de prolonger la vie de Gentilly-2. Depuis toujours, cette centrale produit de l’électricité à un coût supérieur aux autres installations d’Hydro-Québec et cet écart s’accentuerait si on devait assumer les coûts de sa rénovation. Quant aux coûts de sa fermeture, ils seront encore plus élevés si nous attendons : plus une centrale nucléaire est en opération, plus elle est contaminée.

Les régions administratives de la Mauricie et du Centre du Québec représentent une population de près d’un demi-million de personnes. Si les élites locales veulent transformer Gentilly-2 en centrale privée, et rénover cette centrale à leurs frais — soit une dépense qui pourrait atteindre la somme de trois milliards$ — ou si SNC-Lavalin veut ajouter Gentilly-2 à sa collection actuelle de centrales nucléaires, pas de problème. Mais on pense que les contribuables vont continuer de payer pour cet éléphant blanc, on se trompe.

Conclusion

Après le Plan Nord, Gentilly-2 devait être le plus important gaspillage des fonds public du gouvernement de Jean Charest. Puisque celui-ci a été répudié, il faut féliciter le gouvernement de Mme Marois d’avoir promptement pris une décision qui non seulement rencontre le vœux de l’immense majorité des Québécois, hostiles au nucléaire, mais correspond à une saine gestion des finances publiques.

Références :
Faut-il réparer Gentilly-2 ?
Fermeture de Gentilly-2 – Le PQ défend une «sage» décision
Gentilly-2: des coûts imprévisibles
La campagne électorale au Québec : le jeudi 16 août 2012
La campagne électorale au Québec : les 23 et 24 août 2012
Le PQ veut toujours procéder au déclassement de Gentilly-2
Marois annule la hausse des droits de scolarité et ferme Gentilly-2
Réfection de la centrale Gentilly-2 – 275 millions bien embêtants pour le ministre Gignac

Parus depuis :
Hydro recommande de fermer Gentilly-2 (2012-09-29)
Gentilly-2 : remettre les pendules à l’heure (2012-10-11)
La fermeture de Gentilly-2 est inévitable, dit Vandal (2013-01-29)

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Un commentaire à Sauver Gentilly-2 : un combat perdu d’avance

  1. Pierre Pinsonnault dit :

    Vos considérations sont fort pertinentes, M. Martel.

    Il s’adonne qu’il y a plusieurs années j’ai suivi à la radio une discussion de plus d’une heure entre spécialistes de toutes sortes au sujet de l’énergie nucléaire. L’expérience de la France fut fort détaillée. À la fin, j’étais fort embrouillé car chacun des experts semblait très clair. Comme je changeais d’opinion à chaque expert qui venait de discourir, j’en suis arrivé à la conclusion que du côté scientifique je n’avais pas d’opinion.

    Cependant en ce qui concerne la pertinence de développer le nucléaire au Québec, notre situation diffère passablement de celle de la France qui a une population plus nombreuse mais qui ne dispose pas des ressources hydroliques et éoliennes immenses québécoises.

    Ici ce serait comme si un père de famille de douze garçons décidait de s’acheter douze tondeuses à gazon fonctionnant au gaz ou à l’électricité, plutôt que, à la suite d’un incendie, de faire reconstruire sa grange par un menuisier aguerri et ce, au cas où un des mâles de la famille tombait malade et ne serait pas en mesure de couper le gazon avec un simple moulin à gazon fonctionnant sans moteur mais à merveille aux dernières nouvelles.

    On ne peut douter qu’avec leurs intelligences les gens de cette région sauront trouver ce qu’il faut faire avec les 200 millions promis.

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