Lorsque le Parti québécois a été élu pour la première fois en 1976, les Québécois francophones étaient sous le choc d’un fait divers qui avait passionné l’opinion publique.
Dans les mois qui avaient précédé cette élection, on avait appris que la Canadian Air Transport Security Authority (c’est-à-dire la régie fédérale des transports aériens) avait émis une directive interdisant à un pilote et à un contrôleur aérien, tous deux francophones, de se parler en français entre eux. Les contrevenants s’exposaient à des pénalités et, ultimement, au congédiement. Je crois comprendre que, de nos jours, cette pratique est universelle : les communications dans le transport aérien international se font toujours en anglais, même en France. Je compte sur les lecteurs européens de ce blogue pour me corriger si je me trompe.
Mais à l’époque, ce sujet déchaînait l’opinion publique. Si bien que le PQ était alors porté au pouvoir sur la vague du mécontentement que cette « discrimination » provoquait.
Depuis quarante ans, la proportion de citoyens favorables à l’indépendance du Québec oscille entre le tiers et le quart de la population. Si le PQ a gagné plusieurs élections depuis ce temps, c’est que cette formation politique garantissait à chaque fois que le scrutin portait exclusivement sur sa compétence à gouverner et qu’elle promettait que tout projet d’indépendance serait soumis spécifiquement à l’approbation ou au rejet populaire.
En 1995, 49,5% des Québécois finissaient par voter « oui » à une question référendaire alambiquée, à la suite d’une période intense de propagande et de propos rassurants à l’effet qu’un « oui » ne donne le feu vert qu’à un processus de négociation qui, en cas d’échec donnerait suite à un deuxième référendum, décisionnel cette fois-là.
Depuis une décennie, le PQ stagne aux alentours de 33% dans les intentions de vote de toutes les élections générales.
Cette fois-ci, les sondages indiquent que le PQ est en tête tout simplement parce que le vote fédéraliste, très majoritaire, est divisé entre la CAQ et le Parti libéral en décomposition. Si les électeurs n’avaient le choix qu’entre le PQ et le Parti libéral, une majorité de Québécois voteraient probablement libéral en se bouchant le nez.
À l’heure actuelle, le PQ a fait le plein de tous les indépendantistes qui, par choix ou par dépit, votreront pour cette formation politique. À quelques jours du vote, le quart des électeurs sont indécis. Mais qui sont-ils ?
Ils sont fédéralistes, n’ont pas suivi les débats télévisés, sont peu instruits et craignent le changement.
Une minorité d’entre eux sont indécis parce que cela est dans leur nature. Dès leur réveil, on les imagine hésitants entre se lever ou rester couchés. Alors on peut imaginer le choix déchirant que sera pour eux d’aller voter.
Quant au reste, ils ont le profil du fidèle électeur libéral qui ne s’est pas encore résigné à changer de parti et qui se déclare indécis parce qu’il a honte d’avouer sa préférence. Si tel est le cas, on peut deviner que dans l’isoloir, ils auront tendance à voter pour le parti le plus près idéologiquement du Parti libéral, soit la CAQ. En effet, la CAQ, c’est le Parti libéral javellisé.
D’ici au scrutin, le Parti Québécois n’a pas grand chose à gagner à poursuivre ses appels à l’unité des indépendantistes : depuis quarante ans, il est impossible de prendre le pouvoir en ne s’appuyant que sur le vote indépendantiste.
Si Mme Marois veut devenir la première Première ministre, il lui faudra élargir sa base électorale aux fédéralistes et souligner ce que tout le monde devrait savoir — mais sur lequel Mme Marois n’a pas beaucoup insisté — soit qu’un vote péquiste est simplement un vote en faveur d’un gouvernement compétent et responsable. Si elle échoue, cette élection pourrait lui réserver des désagréables surprises.
En effet, il faut se méfier des sondages qui répartissent le vote des indécis comme s’ils allaient voter comme le reste de la population. Après les appels au vote caquiste d’à peu près tous les quotidiens du Québec (sauf Le Devoir), les indécis pencheront certainement plutôt vers la CAQ.
Les indécis qui songent à voter pour le Parti québécois constituent probablement moins du cinquième de l’ensemble de ceux qui hésitent encore. Mais dans la présente élection, chaque vote compte.
Motiver ceux qui pourraient voter péquiste à passer à l’acte est d’autant plus facile que s’il est élu, le PQ sera certainement à la tête d’un gouvernement minoritaire, c’est-à-dire d’un gouvernement dont les politiques seront mises en échec à chaque fois qu’elles ne réussiront pas à rallier l’un ou l’autre des deux autres grands partis que sont la CAQ et le Parti libéral.
Cette présence « rassurante » pourrait bien motiver certains indécis à voter péquiste mardi prochain si Mme Marois a l’habilité d’utiliser cet argument.
Sur le même sujet : Interprétation des résultats du scrutin québécois de 2012