Plus tôt cette année, le gouvernement du Québec a annoncé son intention de majorer les frais de scolarité universitaire de 325$ par année pour les cinq prochaines années. En supposant une formation universitaire de trente crédits, cela signifie que les frais annuels de scolarité passeront de 2 168$ à 3 793$ dans cinq ans, soit une majoration totale de 75%.
En présumant que cette hausse n’aura pas de conséquence sur le nombre d’étudiants inscrits à l’université, le dégel des frais de scolarité représente pour les étudiants une dépense supplémentaire de 658 millions$ pour les quatre prochaines années : 90 millions$ en 2012-2013, 144 millions$ en 2013-2014, 193 millions$ en 2014-2015, et 231 millions$ en 2015-2016. Par la suite, la hausse des droits rapportera aux universités 265 millions$ par année.
Depuis quarante ans, les frais de scolarité universitaire ont varié par paliers; des augmentations brutales mettant fin à de longues périodes de gel. Si les intentions gouvernementales se matérialisent, les frais dans cinq ans rejoindront ceux qu’ils seraient si on les avait indexés depuis 1968.
Invoquant la nécessité de démocratiser l’accessibilité aux études supérieures, les étudiants manifestent depuis leur opposition à ce projet, opposition qui recueille la sympathie de la moitié de la population québécoise.
Aussi importante soit-elle, cette augmentation doit toutefois être replacée dans le contexte global de l’ensemble des dépenses auxquelles doivent faire face les étudiants universitaires d’aujourd’hui.
Le niveau de vie des étudiants
Une dépense supplémentaire de 1 625$ n’a pas le même impact si on est millionnaire que si on est pauvre. D’où l’importance de connaitre le coût de la vie à Montréal (où sont situées la majorité des universités québécoises).
À l’intention des étudiants étrangers, l’Université de Montréal a préparé un document qui fait la liste des déboursés annuels auxquels ceux-ci doivent s’attendre en effectuant leurs études dans la métropole canadienne. De ce budget-type, j’ai retranché les frais médicaux qui sont gratuits pour les citoyens québécois.
Tableau du coût de la vie étudiante à Montréal
Frais d’arrivée et d’installation
300$ : Arrivée (déplacements, logement temporaire, restaurant)
600$ : Installation (équipement pour logement, caution du téléphone, etc.)
600$ : Vêtements d’hiver
Frais de subsistance
6 000$ : Loyer et charges
4 200$ : Nourriture
720$ : Transport
1 800$ : Divers
Autre
1 000$ : Livres et fournitures scolaires
Droits de scolarité et couverture médicale
2 168$ : Frais de scolarité (30 crédits)
120$ : Assurance pour soins dentaires
17 508$ : Total
Évidemment, certains étudiants vivent à Montréal dans la maison de leurs parents et n’ont pas à débourser pour se loger, se nourrir, pour s’habiller, etc. Dans ce cas, à l’exception du loyer, leurs parents paient le reste pour eux, ce qui revient au même.
On voit donc que cette majoration de 325$ par an représente une hausse annuelle de 1,86% de leur train de vie, ce qui est insignifiant. Toutefois, en ignorant l’inflation, dans cinq ans, l’augmentation des frais de scolarité de 1 625$ provoquerait ultimement une hausse de 9,3% du coût de la vie étudiante, en supposant que ce mode de vie ne puisse pas souffrir d’aucune compression.
Comparaison avec les autres provinces canadiennes
Toutes les données publiées par le gouvernement du Québec sont basées sur une formation universitaire de trente crédits annuels. Mais puisque j’ignore à combien de crédits les étudiants s’inscrivent réellement, j’ai préféré utiliser les données de Statistiques Canada.
En frais de scolarité seulement, il en coûte en moyenne 5 146$ au Canada pour obtenir un baccalauréat universitaire. Comme l’indique de graphique ci-dessus, de toutes les provinces canadiennes, c’est au Québec que ces coûts sont les moindres, soit 2 411$.
Ils sont moindres parce qu’ici, les frais imposés aux étudiants ne représentent que 12,7% (en 2008-2009) du coût réel de leur formation. Le reste est assumé principalement par les contribuables. C’est donc à dire que la société québécoise subventionne plus qu’ailleurs la formation de ses universitaires.
Même en augmentant de 75% les frais imposés aux étudiants, le Québec se trouverait sous la moyenne canadienne. Mais cette majoration a comme conséquence inéluctable d’augmenter le niveau d’endettement des étudiants.
Même en tenant compte des dépenses que le reste de la population ne trouve pas essentielles, il est certain que de manière générale, les étudiants des universités québécoises ne dépensent pas 1 625$ par année de tatouage, de piercing, de rave et de bière, pour ne nommer que cela.
Si les étudiants trouvent inacceptable d’être obligés de s’endetter pour s’instruire, cela signifie qu’au cours des années qui viennent, ils vont continuer à s’instruire en pelletant la majorité du coût de leur formation universitaire sur le dos des contribuables. D’où la question : Pourquoi le Québécois moyen devrait-il s’endetter à leur place?
L’endettement des ménages québécois
En excluant les prêts hypothécaires, l’Institut de statistiques du Québec a calculé que l’endettement par consommateur québécois est de 18 025$. Cela est beaucoup mieux que la moyenne canadienne, qui est de 25 597$. De plus, le taux d’endettement — c’est-à-dire le montant de la dette comparé au revenu disponible — demeure moindre au Québec que dans le Canada en général.
La raison de cela se trouve sans doute dans le fait que certaines des dépenses assumées ailleurs par les familles (frais de garderie et coût des traitements médicamenteux, par exemple) sont assumées chez nous par l’État, ce qui augmente le revenu disponible et réduit le niveau d’endettement.
Quant au niveau d’endettement de l’État québécois, même s’il est inquiétant, il se compare avantageusement à celui des États-Unis, comme nous l’avons vu récemment.
En somme, le Québec pourrait se permettre de continuer d’être aussi généreux à l’égard de ses étudiants. Toutefois, si on souhaite transférer sur le dos des contribuables une bonne partie des frais d’implantation des compagnies minières dans le Nord québécois afin de favoriser à tout prix le développement minier du Québec, il faut couper quelque part.
Puisque le gouvernement a choisi de sabrer dans le financement des études universitaires, cette décision nous amène à remettre en question le « modèle québécois » du financement des études universitaires.
Pourquoi subventionner autant la formation universitaire ?
La société québécoise — c’est-à-dire nous tous — subventionne les études universitaires parce qu’elle croit que des frais de scolarité élevés constituent un obstacle économique qui freine l’accès à la formation dispensée sur nos campus.
Si les étudiants payaient le prix réel de ce que cela coûte pour s’instruire, seuls les fils de riches auraient les moyens d’accéder aux études supérieures. Et s’il en était ainsi, nous serions tous perdants parce que le Québec manquerait alors d’ingénieurs, de professionnels et, de manière générale, d’experts dans tous les domaines.
Une société ne peut atteindre son plein potentiel de développement si elle sacrifie les talents d’une partie de ses citoyens. C’est ainsi que tous les pays où les femmes sont reléguées aux travaux domestiques sont des pays qui se tirent dans le pied.
Mais en contrepartie, les jeunes doivent poursuivre et compléter leurs études; en somme, ils ont une obligation de réussite. Pourquoi devrions-nous travailler et payer des taxes s’ils ne tirent pas profit de la générosité des contribuables ?
D’après les données de Statistique Canada, de 2007 à 2010, le taux de décrochage scolaire est plus élevé au Québec (11,7%) que dans l’ensemble du Canada (8,9%). Selon d’autres données de Statistique Canada citées par La Presse (mais que je n’ai pas réussi à trouver), le taux de décrochage serait plutôt de 20% au Canada et de 22,5% au Québec. Dans tous les cas, ce qu’on doit retenir, c’est qu’en dépit de barrières économiques moindres au Québec, l’abandon des études y est plus élevé.
Et lorsqu’on parle de décrochage scolaire, on ne parle pas seulement des jeunes qui n’ont pas de baccalauréat. Le Québec a autant besoin de techniciens en aéronautique ou de créateurs de jeux multimédia (diplômés d’études techniques) que d’ingénieurs ou d’avocats (diplômés universitaires).
Le décrochage scolaire dont on parle ici concerne ceux qui quittent nos écoles sans diplôme d’études secondaires.
Ces données nous amènent à remettre en question l’à-propos des subventions aux études supérieures : le gouvernement libéral n’est-il pas justifié de dégeler les frais de scolarité quand les jeunes eux-mêmes ne sont pas conscients de l’importance d’acquérir un diplôme ?
Le problème, c’est qu’en dégelant ces frais, on punit les mauvaises personnes; on ne punit pas les décrocheurs, mais ceux qui sont des exemples pour les autres jeunes.
Conclusion
Michel Girard a publié dans La Presse un billet convainquant en faveur du prolongement du gel des frais de scolarité, dans une perspective purement économique. Malgré son plaidoyer, il me reste encore du chemin à faire avant de partager l’hostilité des jeunes au dégel des frais de scolarité.
Je ne vous cacherai pas que je suis très déçu que, malgré la générosité des travailleurs qui subventionnent le coût de leurs études, trop de jeunes préfèrent entrer prématurément sur le marché du travail et être handicapés toute leur vie pour ne pas avoir complété leurs études.
On dit souvent que les jeunes ne sont pas politisés. En réalité, ils jugent que les partis politiques sont tous du pareil au même et que si un gouvernement osait s’attaquer à eux, il leur suffirait d’un peu de désobéissance civile pour que ce gouvernement cède à leurs revendications. L’avenir nous dira s’ils ont raison.
Toutefois, si le gouvernement libéral devait s’avérer intransigeant, les étudiants risquent d’apprendre à leurs dépens que les citoyens de ce pays ont un droit extraordinaire, soit celui de choisir ses dirigeants. Et que la contrepartie de ce droit, c’est le devoir de voter.
Je souhaite donc que les étudiants aient de la mémoire et acquièrent la résolution de s’acquitter de leurs devoirs civiques, dont celui de de voter aux prochaines élections et surtout, de réussir leurs études.
L’avenir du Québec dépend d’eux : on ne bâti pas une nation forte sur des abrutis mais plutôt sur des citoyens qui expriment toute l’étendue de leurs talents.
Références :
Décrochage scolaire: le Canada fait piètre figure
Droits de scolarité: le gel, un bon investissement gouvernemental
L’endettement des ménages québécois
Droits de scolarité selon les provinces
Sondage: la population souhaite un dénouement à l’impasse
Vivre à Montréal — Coût de la vie et budget type
Paru depuis : Une étude donne raison aux carrés rouges (2014-09-02)
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