Le Canada et ses amis tortionnaires

Publié le 8 février 2012 | Temps de lecture : 5 minutes

À la suite de l’élimination d’Osama Ben Laden, de nombreux adversaires politiques du président Obama ont tenté de minimiser son mérite en soutenant que la traque réussie du chef d’Al-Qaida n’aurait pas été possible sans les mesures dites courageuses — nommément l’autorisation d’utiliser la torture à la prison de Guantanamo — prises par son prédécesseur républicain.

Depuis la fin de la Deuxième guerre mondiale, plus précisément depuis la Convention de Genève, en 1951, la torture est contraire au droit international. Si bien que les dirigeants américains qui ont autorisé et défendu l’usage de la torture, de même que ceux qui l’ont pratiquée, sont légalement des criminels de guerre.

C’est ainsi que la conférence du 11 février 2011 que devait tenir en Suisse l’ex-président G.W. Bush a été annulée par ses organisateurs. Une semaine plus tôt, Amnistie Internationale avait présenté aux procureurs genevois et fédéraux, une analyse juridique détaillée concernant la responsabilité pénale de George Bush dans des actes de torture qu’il avait autorisés.

Glenn L. Carle, un officier du CIA aujourd’hui à la retraite, était chargé de surveiller le déroulement des séances de torture des détenus à Guantanamo en 2002. Son verdict est sans équivoque : « Les techniques coercitives ne permettent pas d’obtenir des informations utiles et fiables.»

Selon la sénatrice Dianne Feinstein, présidente du Comité sénatorial de renseignement, la torture pratiquée à Guantanamo n’a permis d’obtenir aucune information qui ait mené à la capture du chef d’Al-Qaida.

Interrogée par Le Devoir, Mme Sainte-Marie, la porte-parole d’Amnistie internationale au Québec, explique : « …le premier objectif (des personnes torturées) est de faire cesser la torture et pour cela, on dit n’importe quoi. Alors se fier sur ces informations peut faire au contraire perdre du temps en lançant les enquêteurs sur de fausses pistes.»

À la demande du Canada, la Syrie a torturé Ahmed el-Maati, soupçonné de préparer des attentats terroristes contre l’édifice du parlement canadien et contre des centrales nucléaires ontariennes. Sous la torture, il a révélé le nom de deux complices, dont Maher Arar (totalement innocent), à qui le gouvernement conservateur a finalement accordé une compensation de 10,5 millions de dollars pour la torture qu’il a subie lui aussi en Syrie.

Comme on s’en doute, les pays qui acceptent de torturer un citoyen canadien à la demande du Canada ne le font pas bénévolement : la torture est une affaire de gros sous. Mais il est illogique de payer pour de la torture si on refuse de considérer les informations qu’on obtient.

Selon une nouvelle parue hier, le gouvernement canadien autorise désormais le Service canadien du renseignement de sécurité (SCRS) à utiliser des informations obtenues par la torture lorsque la sécurité des Canadiens est en danger, ce qui est toujours le cas lorsqu’une personne est soupçonnée de préparer un attentat terroriste.

Le gouvernement n’autorise pas la pratique de la torture au pays mais se réserve le droit de la commander aux pays qui l’exercent. En somme, le Canada officialise une politique déplorable qu’il exerce secrètement depuis des années. De plus, le gouvernement acquittera sans gène les déboursés nécessaires à l’obtention de renseignements auprès des criminels de guerre amis avec lesquels il fait déjà affaire.

Bref, le Canada se déclare officiellement client de le business de la torture. Tout cela conformément aux valeurs morales que le gouvernement Harper prêche depuis toujours.

Si les pays qui pratiquent la torture sont le moindrement intelligents, il leur suffit d’ajouter la question « Aviez-vous le projet de commettre un acte terroriste au Canada ? » pour accroitre leurs revenus. En effet, tous les torturés finiront par reconnaître une telle intention si on augmente leur souffrance suffisamment.

Et si la seconde question concerne la cible de leur projet d’attentat, cela n’est pas compliqué : il y a un parlement dans toutes les capitales du Monde, des hôtels de ville dans toutes les municipalités, des gares ferroviaires et des terminus d’autobus dans toutes les grandes villes. Le torturé n’a que l’embarras du choix. Il lui suffit de connaître le nom d’une grande ville canadienne pour donner une réponse crédible. Si le torturé est incapable d’indiquer un lieu, le tortionnaire peut lui suggérer la réponse : « Oui mais où ? À Ottawa, à Toronto, à Montréal, à Vancouver…».

Bref, la politique officielle du gouvernement Harper est rien de moins qu’un appel implicite à la torture, enrobé d’une bonne intention soit celle de protéger la population canadienne.


Post-Scriptum : Le 18 avril 2018, le gouvernement libéral de Justin Trudeau a annoncé son intention d’amender le projet de loi C-59 afin d’interdire l’utilisation des informations obtenues sous la torture par les agences de renseignements canadiens.

Références :
Ahmad El-Maati
Bin Laden Raid Revives Debate on Value of Torture
L’élimination d’Osama Ben Laden
Le président George W. Bush annule sa venue en Suisse
Ottawa autorise les services secrets à utiliser des informations obtenues sous la torture
The Torture Apologists
Torture: oui dans certains cas, dit Ottawa

Parus depuis la publication de ce billet :
Torture et sécurité publique – Une odieuse légitimation de la torture (2012-02-11)
Ottawa n’acceptera plus jamais les informations obtenues sous la torture (2018-04-18)

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