L’affaire Cantat : quand trop est assez

Publié le 5 avril 2011 | Temps de lecture : 5 minutes

Préambule

Bertrand Cantat est l’ex-leader de « Noir désir », un groupe rock aujourd’hui dissout. En juillet 2003, à Vilnius, en Europe de l’Est, Cantat a battu à mort sa conjointe — l’actrice Marie Trintignant — au cours d’une violente dispute.

Pendant son incarcération en Lituanie, plus précisément dans la nuit du 10 au 11 septembre 2003, la maison familiale du chanteur à Moustey a été incendiée.

Entre le meurtre de Trintignant et la dissolution du groupe en novembre dernier, les autres membres de Noir désir ont reçu d’innombrables menaces de mort, eux qui pourtant sont totalement étrangers au décès de Mme Trintignant.

En absence du chanteur emprisonné, la famille de Cantat vivait protégée par des agents de sécurité payés par la maison de disque Universal.

Krisztina Rády, son ex-femme et la mère de ses deux enfants, s’est suicidée chez elle à Bordeaux, le 10 janvier 2010. Elle avait soutenu Cantat lors du procès relatif à l’homicide de Marie Trintignant.

Condamné à huit ans d’emprisonnement, Cantat est finalement libéré le 29 juillet 2010.

Le dramaturge Wajdi Mouawad, ami de Cantat, lui a offert de créer live les chœurs du spectacle « Le Cycle des femmes » qui sera créé en juin à Athènes, repris le mois suivant à Avignon, pour enfin prendre l’affiche à Ottawa, et finalement au TNM en mai 2012. Cette annonce ne semble pas avoir créé de vague en Grèce, ni en France, mais a soulevé une violente controverse au Québec.

La controverse

Avant d’aborder cette question, soyons clair ; dans toute cette affaire, il y a plusieurs victimes mais la principale est Marie Trintignant.

Ce qui est moins clair, c’est ce que veulent exactement ceux qui s’indignent de la venue de Bertrand Cantat au Québec. Oui, je sais, ils voudraient que le TNM congédie Cantat de ce spectacle. Mais est-ce suffisant ?

Les protestataires, seraient-ils satisfaits d’apprendre que Cantat a été limogé de cette production du TNM mais pour être embauché dans celle suivante ? Évidemment pas ; ce serait de la provocation si ce n’est pas carrément rire d’eux.

Voudraient-ils voir Cantat être embauché par une autre compagnie théâtrale ? Non, cela ne ferait que déplacer « le problème ». Et si Cantat prenait l’affiche d’une salle de spectacle, serait-ce satisfaisant ? Non, ce serait inacceptable.

Devrait-il changer de métier ? Voilà une bonne idée. Mais imaginez que le livreur de pizza qui sonne à votre porte soit un assassin ? Qui aimerait que ses enfants fréquentent une école où le laveur de plancher a tué une femme ? Etc., etc.

En somme, les justiciers croient que Cantat n’a pas suffisamment payé pour son crime et qu’ils ont le devoir de faire en sorte qu’on lui impose une punition extra-judiciaire pour le meurtre de Mme Trintignant.

Ce n’est pas mon avis, mais je reconnais que c’est un point de vue défendable. En effet, beaucoup de personnes croient que le pouvoir judiciaire est trop sensible aux droits des détenus et pas suffisamment préoccupé par le sort des victimes.

Alors supposons que Cantat s’en est bien tiré et que son crime aurait mérité un châtiment plus sévère. Doit-on faire en sorte que Cantat ne puisse plus jamais gagner sa vie honorablement et — parlons franchement — qu’il soit acculé au suicide ?

Parmi les justiciers, la majorité se sentiraient probablement inconfortables à l’idée d’avoir participé à une campagne haineuse ayant eu pour résultat le suicide du chanteur.

Alors que veut-on exactement ? Un boycott populaire ? Oui, mais pendant combien de temps ? Si on effectuait un sondage parmi les protestataires, on en arriverait probablement à une punition extra-judiciaire dont la durée varierait autant qu’il y aurait de répondants au sondage.

En d’autres mots, chacun a sa petite idée en tête. Si bien que si on devait chercher un consensus, on en arriverait, après d’interminables débats, à la conclusion que le système judicaire, aussi imparfait soit-il, est le reflet de notre propre imperfection et que toute punition supplémentaire imposée à Cantat ne ramènerait pas en vie Marie Trintignant.

Sans vouloir minimiser le drame vécu par la famille Trintignant, a-t-on pensé à ce qu’ont vécu les enfants de Cantat ? Méritaient-ils le suicide de leur mère et l’emprisonnement de leur père pendant presque toute leur enfance ? Aujourd’hui, qui paie pour les nourrir, les habiller, les loger et les instruire ? Est-on bien certain qu’en punissant Cantat, il n’y a pas de victimes collatérales ?

Autrefois, les aventuriers recherchés en Europe pouvaient refaire leur vie à l’autre bout du monde. Avec la mondialisation, il ne reste plus d’endroits secrets où les êtres ostracisés — même à juste titre — ont une dernière chance d’accomplir quelque chose de positif autour d’eux.

Références :
Bègles. Sécurité maximale pour le retour de Bertrand Cantat sur scène
Bertrand Cantat
Bertrand Cantat
Mort de Kristina Rady : « l’affaire Cantat » pointée du doigt

Complément de lecture :
Cantat, après coup (2012-05-09)

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4 commentaires à L’affaire Cantat : quand trop est assez

  1. sylvie dit :

    Votre argumentation dite avec mesure fait beaucoup de bien à lire.

    On pourrait également rajouter que sa femme et ses enfants (âgés de 6 et 1 an à l’époque) devaient dormir sur place le soir de l’incendie et n’ont peut-être eu la vie sauve qu’à cause d’un malaise de fatigue de leur maman, qui a préféré faire demi-tour.

    Quand bien même Bertrand Cantat sauverait aujourd’hui un gamin de la noyade, il y aurait encore des dingues hystériques pour regretter qu’il n’ait pas coulé avec l’enfant…

    D’autres lui reprochent ici en France d’être remonté sur scène sans « s’être expliqué sur son acte » (et sans voyeurisme aucun…) son parcours judiciaire et ses obligations étant terminés, alors que la famille de sa victime lui a fait signer devant notaire l’engagement qu’il continue de se taire….

    Je continue de souhaiter sa réinsertion. Parce que j’aime l’artiste. Mais surtout parce que je crois qu’un droit à la réinsertion est ce qu’il y a de mieux pour la société, et ce qui nous élève en tant qu’humain.

  2. sandy39 dit :

    Si écrire et chanter font partie de ce qui coule dans ses veines, alors laissons le chanter ! Il y a bien des chances, pour lui, qu’il n’y ait que l’art à travers lequel il puisse s’exprimer. Il a tant de choses à nous faire parvenir à travers ses mots, sa musique… Cela ne lui a t-il pas pris à l’adolescence ? Bien des choses se jouent à cet âge-là ! Et essayer de l’en empêcher, cela risquerait encore de perdre une vie.

    Avec tout cet amalgame, on dirait qu’on veut ta peau, Bertrand, alors tiens bon ! Il y en a deux qui seraient contre tout ça, il y a deux femmes qui ne sont plus là malheureusement, Krisztina et Marie, qui ne supporteraient pas qu’on l’empêche de chanter.

    L’Homme a du talent. Il vaut bien plus que quatre baffes (et non des coups de poing comme on peut le lire encore). Et dire qu’on ne le limite plus qu’à cela, aujourd’hui !

    Dans chaque être humain, il faudrait toujours s’efforcer de défendre le bon car en chaque être humain, il y a du bon et du mauvais. L’être humain peut être capable du meilleur comme du pire. Celui qui n’a jamais rencontré l’Amour comme Bertrand ne peut pas comprendre. C’était une passion, une histoire qui se situait au-delà de l’Amour.

    Bien sûr que non, ses enfants ne méritaient pas d’être privés de leur père pendant leur enfance. Mais Bertrand avait commis une faute, il fallait donc lui donner une peine. Encore aujourd’hui, ses enfants ne méritaient pas non plus d’être privés de leur mère. Aucun enfant sur terre ne mériterait de vivre tout ce qu’ils ont vécu. Ils ont tous traversé des océans du vide suite à ce « fait divers » (avant tout cela reste une histoire d’amour).

    Pour limiter les dégâts dans la vie de chacun, il faudrait le laisser reprendre sa guitare et son harmonica. Ce ne serait pas faire offense à la famille de la victime. Prendre soin des vivants ne veut pas dire qu’on oublie les morts !

    On doit pouvoir soutenir Cantat pour éviter les dégâts sur ses propres enfants. Ils en portent déjà lourd sur leur personne. Ce ne sont même pas des adultes. Il y a trop de haine dès que l’on entend prononcer le nom de Cantat. Avec toute cette haine que l’on trouve sur les blogues…, on se rend compte que l’humanité va mal. Mais qui sont-ils tous ceux qui se sont jetés dans la Meute sans avoir de propre opinion ?

    Si on continue d’agir ainsi sur n’importe qui d’autre ayant commis une faute, en poussant tout le monde au suicide, il n’y aurait plus personne sur terre car tout le monde irait se flinguer.

    Merci à ceux qui soutiennent Bertrand — il y en a vraiment besoin — sans faire offense à Marie et surtout, sans accuser ni l’un ni l’autre.

    Quand on regarde Bertrand chanter « A tout moment la rue » avec son copain Romain Humeau et qu’on le voit donner un coup de poing tout en se cramponnant à son micro, on se dit « C’est bien vrai, il ne se raconte que des conneries dans la rue ». Et Bertrand le sait très bien. Et il souffre aussi de cela : ne pas avoir pu protéger sa femme et ses enfants de la médiatisation. Pauvre Bertrand !

    Nous n’étions pas obligés de voir ses larmes, ni le visage de ses enfants. Sur certaines photos, ils ont beau mettre la bulle ou un quadrillage, on les distingue nettement.

    On lui a volé son âme, à Bertrand. Mais, il a beaucoup de choses à nous apprendre, encore. On ne peut pas laisser les gens de côté car la vie est faite d’échange et de partage. Chaque jour de notre existence, on apprend à partager même si aucun de nous n’est parfait…

  3. joly dit :

    … le malheur s’est abattu sur lui, sa famille le jour de cette rencontre avec Marie. J’espère très vite que cet homme retrouvera une paix intérieure et que ses enfants soient ses principaux confidents.

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