Le 19 octobre dernier, je publiais un billet suggérant que le gouvernement du Québec déclare illégitimes* les dispositions de la Constitution canadienne relative à la langue d’enseignement et signifie son refus de s’y soumettre.
Les conséquences concrètes d’une telle déclaration sont les suivantes. Premièrement, le refus de participer à tout procès mettant en cause la constitutionnalité de la Loi 101 relativement à la langue d’enseignement et ce, devant n’importe laquelle instance juridique au pays. Deuxièmement, le refus d’honorer tout jugement à ce sujet, ce qui implique le refus de se soumettre à toute condamnation.
Voyons quelques objections.
Les absents ont toujours tort
Au contraire, l’expérience nous démontre que devant la Cour suprême, ce sont les présents qui ont toujours tort. Donc présents ou non, c’est pareil.
La Cour suprême n’est pas hostile au Québec ; elle ne fait qu’interpréter les lois et préciser la préséance de celles-ci en cas de conflit entre diverses dispositions législatives.
Nous avons vu dans la série Le français en péril, que le plus haut tribunal du pays a reconnu lui-même que les dispositions de Constitution canadienne relative à la langue d’enseignement ont été adoptées expressément pour contrer la Loi 101 du Québec. Donc, les dés sont pipés. Nous perdons notre temps et notre argent à plaider en faveur de la Loi 101 quand sa constitutionnalité est contestée.
Le gouvernement du Québec pourrait être condamné pour outrage au tribunal
C’est évident. Et après ? Pour un juge, l’outrage au tribunal équivaut à froncer les sourcils et à dire d’un air contrarié : « Tu n’es pas gentil ! ». C’est tout. S’il n’est pas assorti d’une amende ou d’une peine d’emprisonnement, il est sans conséquence.
Mais, justement, peut-il être assorti d’une pénalité ? N’étant pas avocat, je ne sais pas. Dans le cas d’une amende, qui va la collecter ? Voyez-vous les huissiers saisir les chaises de l’Assemblée Nationale du Québec ?
Au cours de la Deuxième guerre mondiale, le gouvernement canadien avait fait emprisonner le maire de Montréal de l’époque, Camillien Houde, en raison de son opposition à la conscription obligatoire. Son emprisonnement a duré du 5 août 1940 (le jour de son arrestation) jusqu’à l’été 1944.
De nos jours, si une folie semblable passait par la tête du gouvernement fédéral, il ne pourrait que compter sur la Gendarmerie royale et l’armée pour accomplir cette besogne puisque tous les autres corps policiers obéissent au gouvernement du Québec.
Le parti au pouvoir à Ottawa pourrait être tenté de se faire du capital politique auprès du Canada anglais en agissant de la sorte. Il faudrait donc se préparer en conséquence et tout mettre en œuvre pour que n’importe quelle tentative d’un coup de force du gouvernement fédéral tourne au vinaigre.
Les juges pourraient paralyser le système juridique
Oui, c’est une possibilité. Dans le cas d’une grève, Québec n’a qu’à voter une loi d’urgence qui ordonne le retour au travail des juges qui siègent aux tribunaux de compétence provinciale. Ces juges auraient alors le choix entre le retour au travail ou la désobéissance à la loi pour protester contre le refus de Québec d’obéir à la loi, ce qui est un peu contradictoire.
Si les juges choisissent plutôt de se traîner les pieds et d’allonger les délais de procédure, eh bien, si c’est le prix pour sauver le français au Québec, je suis prêt à payer ce prix-là.
Le gouvernement fédéral pourrait nous couper la péréquation
Le gouvernement du Québec prélève des centaines de millions de dollars d’impôt fédéral sur le revenu des employés des sociétés publiques et parapubliques, non seulement les fonctionnaires, mais également les employés d’hôpitaux, les professeurs, les policiers, les employés municipaux (note : les villes sont un domaine de compétence provinciale), etc.
Normalement ces sommes sont envoyées à Ottawa. Toutefois, si le fédéral décidait d’essayer d’affamer le gouvernement du Québec, ce dernier pourrait répliquer en le privant de la totalité de ces sommes afin d’atténuer les conséquences fiscales de la suspension des versements de la péréquation.
Conclusion
Le gouvernement fédéral et les provinces anglophones — qui ont adopté une nouvelle constitution en 1982 sur le dos du Québec — ont commis une grave erreur de jugement.
Même dans des pays envahis militairement, comme l’Irak et l’Afghanistan, la nouvelle constitution est adoptée par le peuple conquis ou ses représentants.
Dans ce cas-ci, on justifie l’imposition au Québec de cette camisole de force constitutionnelle par une logique qui découle d’intrigues de coulisses et de calculs politiques qui, avec le recul du temps, apparaissent sans importance.
Politiquement et moralement, l’adoption sans le Québec de la Constitution canadienne de 1982 est un scandale et une bombe à retardement.
Cette bombe fera son petit tic-tac tant et aussi longtemps que le Québec s’y soumettra stupidement même lorsque ses intérêts vitaux sont en jeu.
Mais le jour où le Québec décidera qu’assez c’est assez, la crise politique qui résultera de cette décision aura pour conséquence soit l’éclatement de la fédération canadienne ou, au contraire, son renforcement sur des bases nouvelles. Ce sera le résultat de la maturité et du pragmatisme des hommes et femmes politiques qui nous gouvernent.
Alors que les francophones sont devenus minoritaires à Montréal, alors qu’un nombre croissant de Néo-québécois choisissent l’anglais comme langue d’usage, alors que le gouvernement du Québec vient de s’aplatir comme une larve en légalisant les écoles passerelles, il devient de plus en plus urgent que le Québec se réveille.
*— Ces dispositions sont illégitimes parce souillées par le processus d’adoption de cette Constitution, processus au cours duquel un des peuples fondateurs du pays — le Canada anglais — impose une constitution à un autre peuple fondateur contre son gré. C’est ce qui est arrivé en 1982.