L’époque troublée du premier Irlandais au Canada

3 avril 2017

Le premier Irlandais à s’établir en Nouvelle-France fut Tadhg-Cornelius O’Brennan.

O’Brennan est la forme anglicisée de Ua Braonáin. En gaélique, ce nom signifie descendant de Braonáin. Il s’agit d’un clan établi en Osraige, un royaume celte qui — du Ier au XIIe siècle — s’étendait sur une bonne partie du comté actuel de Fassadinin, en Irlande (en vert pâle sur la carte ci-dessous).

Né en 1632 à Dysart-on-the-Dinen (aujourd’hui appelé Dysart Glebe), il immigre au Canada en 1661.

À l’époque, Canada est le nom porté par une des trois colonies de la Nouvelle-France. Vaguement délimitée, elle correspond à la vallée du Saint-Laurent. Les deux autres sont l’Acadie et de la Louisiane.

Quelles sont les raisons qui ont motivé Tadhg-Cornelius O’Brennan à quitter son pays ?

Cliquez sur l’image pour l’agrandir

Dans les décennies qui ont précédé sa naissance, la couronne anglaise avait entrepris la colonisation de l’Irlande; on dépossédait les Irlandais de leurs terres afin de les confier à des colons anglais.

La carte ci-dessus s’arrête à 1620. On y voit que la baronnie de Fassadinin (dans laquelle est localisé Dysart-on-the-Dinen) n’était pas touchée par ces confiscations massives.

Toutefois, cette colonisation s’est poursuivie sous Charles Ier. C’est précisément sous son règne que les O’Brennan furent dépossédés de leurs terres au profit de Christopher Wandesford.

Ce dernier était un membre influent du parlement anglais. Après avoir été nommé Garde des Sceaux d’Irlande, celui-ci s’est servi de cette position pour prouver en 1635 — Tadhg-Cornelius O’Brennan n’avait que quatre ans — que les O’Brennan n’avaient aucun droit de propriété sur les terres qu’ils habitaient depuis des siècles.

En somme, les O’Brennan subirent le même sort que celui des Métis du Manitoba, quelques siècles plus tard.

Cette dépossession les poussa à la clandestinité et à la résistance armée. Tadhg-Cornelius O’Brennan passa donc la majorité de son enfance et de son adolescence dans le maquis.

De nos jours, les citoyens qui s’opposent à l’envahissement de leur pays par des troupes américaines ou britanniques sont qualifiés de ‘terroristes’.

À l’époque, les Irlandais qui s’opposaient à la colonisation de leur pays étaient sanctionnés par les tribunaux anglais en tant que malfaiteurs et fauteurs de trouble. Ce fut le cas des O’Brennan.

En 1641, près de 125 000 colons anglais s’installent en Irlande, ce qui déclenche la Rébellion irlandaise.

Au cours de cette rébellion, des milices catholiques réglèrent leurs comptes avec les colons anglais. Des milliers d’entre eux furent massacrés.

Les Irlandais catholiques s’étaient regroupés au sein d’une confédération dont le siège était situé à Kilkenny, au centre de la baronnie de Fassadinin.

Les troupes envoyées par Charles Ier pour rétablir l’ordre en 1642 furent victorieuses. Mais pas complètement. Elles auraient totalement anéanti les rebelles irlandais n’eut été du déclenchement in extrémis de la guerre civile anglaise cette même année.

Les troupes anglaises furent donc rapatriées aussitôt, ce qui sauva miraculeusement la Confédération de Kilkenny.

Si, du point de vue anglais, le dossier irlandais était en suspens, en réalité les Catholiques et les Protestants se livrèrent à un nettoyage ethnique qui concentra leur population respective dans différents parties de l’ile.

Dans le vide laissé par le départ des troupes royales, la Confédération de Kilkenny étendit son autorité sur environ les deux tiers de l’ile.

Elle gouverna jusqu’en 1649 dans un contexte de tensions interreligieuses qui s’atténua lorsque la confédération prêta allégeance (du bout des lèvres) au roi d’Angleterre.

C’est durant cette période que des négociations furent entreprises en vue de la restitution des biens confisqués aux O’Brennan.

Mais le 30 janvier 1649, Oliver Cromwell fait décapiter Charles Ier. Farouchement anticatholique, Cromwell se trouve en situation conflictuelle avec les confédérés (théoriquement) royalistes d’Irlande.

Cromwell envahit l’Irlande le 22 juin 1649, à la tête d’une armée de 12 000 soldats.

Durant l’année que dura la reconquête de l’ile, entre le tiers et la moitié de la population de l’Irlande fut massacrée. Les registres paroissiaux des naissances, baptêmes, mariages et décès furent systématiquement détruits.

En 1650, on interdit aux marchands catholiques d’Irlande d’exercer des activités commerciales, les condamnant à la ruine.

En 1652, lorsque l’armée irlandaise capitule, environ 30 000 rebelles furent autorisés à partir pour la France ou l’Espagne et, avec leur départ, des milliers d’Irlandais, hommes, femmes et enfants, furent déportés aux Antilles.

À 24 ans, Tadhg-Cornelius O’Brennan fait partie des rebelles déportés en France en 1652.

À l’époque, la Compagnie des Cent-Associés, responsable du peuplement de la Nouvelle-France, peine à trouver des volontaires pour l’Amérique.

En effet, les colons français ont créé des relations harmonieuses avec tous les peuples autochtones sauf les Iroquois. Or ces derniers mènent une guérilla incessante contre les colons français et ne seront pacifiés qu’en 1667.

Tadhg-Cornelius O’Brennan en a vu d’autres. Il a vécu toute sa jeunesse menacé par des ennemis. Il s’inscrit donc comme volontaire pour le Canada. Il y arrive en 1661.

À son arrivée au pays, Tadhg-Cornelius O’Brennan n’est pas un Anglophone puisqu’avant la Grande Famine, les Irlandais parlaient le gaeilge (le gaélique irlandais, une langue celte). Toutefois, il parle aussi français en raison de son séjour en France.

Comme la grande majorité des gens de son temps, M. O’Brennan est analphabète. Au recensement du 30 juin 1663, le recenseur l’inscrit phonétiquement sous le nom de ‘Thècle-Cornelius Aubrenan’.

Des 3 035 habitants de la Nouvelle-France, seulement six ne sont pas nés en France ni dans la colonie. L’un d’eux est irlandais : c’est lui.

En 1670, il épouse Jeanne Chartier, fille du Roy née à Paris.

Au recensement de 1681, on le retrouve inscrit sous le nom de Jacques Tecaubry. Toutefois c’est sous une variante de ce nom, Aubry, que s’appelleront ses sept enfants.

Ces derniers eurent une abondante progéniture. Si bien que de nos jours, la majorité des Aubry du Canada et des États-Unis descendent de lui plutôt que d’un Aubry venu de France (puisque ce patronyme existe dans ce pays).

Références :
Cerball mac Dúnlainge
Christopher Wandesford
Confédération irlandaise
Conquête cromwellienne de l’Irlande
Guerres confédérées irlandaises
Histoire de l’Irlande
Irlande (pays)
Nos ancêtres
Osraige
Plantations en Irlande

Sur un sujet analogue :
As the toll of Australia’s frontier brutality keeps climbing, truth telling is long overdue (2019-03-03)

11 commentaires

| Histoire | Mots-clés : , , | Permalink
Écrit par Jean-Pierre Martel