La 39e édition du Festival des films du monde

9 septembre 2015

Du 27 aout au 7 septembre 2015, le Festival des films du monde présentait 469 films (dont 25 en compétition) provenant de 85 pays.

Au coût de 120$, le laissez-passer permettait au cinéphile d’assister à n’importe quel film, du moment que des places étaient encore disponibles. Les acheteurs de billets (à 10$ l’unité) avaient donc priorité.

Grâce à ce laissez-passer, j’ai donc vu les 44 films suivants :

Bambanti (L’Épouvatail) de Xig Dulay (Philippine, 90 minutes). Basé sur un fait vécu; enfant injustement accusé d’un vol. Interprétation irréprochable. Description sociologique admirable. Mise en scène magistrale. Mon coup de cœur du festival. Note : 11 sur 10 (sic).

Beijing Being d’Emma Jaay (Australie-Chine, 78 minutes). Équivalent cinématographie de Facebook. Chronique de la vie quotidienne d’une Occidentale dans les quartiers populaires de Beijing. Facture libre du film, en rupture de tons, en hommage à la Nouvelle vague française. Note : 6,5 sur 10.

Beijing Carmen de Wang Fan (Chine, 95 minutes). Rapports amour-haine entre un chorégraphe et celle qui incarnera le rôle-titre d’un ballet basé sur Carmen. Quelques bonnes chorégraphies. Trop de clichés. Note : 5,5 sur 10.

Borealis de Sean Garrity (Canada, 94 minutes). Un joueur au chômage entraine sa fille dans un dangereux voyage pour lui montrer la magnificence des aurores boréales, avant que le trouble de la vue dont elle souffre la rende complètement aveugle. Note : 2 sur 10.

Binguan (Deep in the Heart) de Xin Yukun (Chine, 118 minutes). Film à suspense, plein de rebondissements et de quelques situations absurdes. Note : 6 sur 10.

Çasin Sazlar (Let the Music Play) de Nesli Colgeçen (Turquie, 118 minutes). Deux amis tombent amoureux de la même femme. Acteurs médiocres. Comédie faible. Note : 3 sur 10.

Capitão Falcão (Le Faucon portugais) de João Leitão (Portugal, 106 minutes). Film satyrique. Bonne idée de départ, mais trop diluée. Note : 5 sur 10.

Cha và con và (Mekong Stories) de Di Phan Dang (Vietnam-France-Allemagne, 102 minutes). Sensualité et violence dans le climat humide et chaud d’un village riverain du Vietnam. Récit intéressant. Bien joué. Note : 8 sur 10.

Chemia de Bartosz Prokowicz (Pologne, 95 minutes). La déchéance d’un couple dont la femme est atteinte de cancer. Direction photo excellente. Acteurs un peu faibles. Note : 5 sur 10.

Chrieg de Simon Jacquemet (Suisse 106 minutes). Placé en réhabilitation dans une ferme, un jeune découvre que celle-ci s’avère contrôlée pas des délinquants bien pires que lui. Note : 6 sur 10.

Dusha shpiona (L’Âme d’un espion) de Valdimir Bortko (Russie, 110 minutes). Film d’espionnage aux couleurs froides, au récit opaque et aux comédiens sans charisme. Note : 2 sur 10.

Eisenstein in Guanajuato de Peter Greenaway (Pays-Bas-Mexico-Finlande-Belgique, 105 minutes). À la direction artistique spectaculaire, ce film soft-porn explique que l’échec du cinéaste russe Eisenstein à compléter le film Que Viva Mexico ! serait dû à une aventure homosexuelle torride qui l’aurait éloigné de ses responsabilités. Note : 7 sur 10.

El Virus de la Por (Le Virus de la peur) de Ventura Pons (Espagne, 76 minutes). Mélodrame. Effet désastreux de la calomnie d’une fillette jalouse sur la carrière d’un maitre-nageur. Bonne idée de départ mais film mal interprété. Note : 3 sur 10.

Fasle Framoshi Fariba (La Saison de l’oubli) de Abbas Rafei (Iran, 93 minutes). Le courage d’une ex-prostituée qui doit, seule, gagner sa vie honorablement en dépit de la jalousie maladive de son époux impotent et du machisme de la société iranienne. Note : 6,5 sur 10.

Felvilàg (Demimonde) d’Attila Szàsz (Hongrie, 88 minutes). Une courtisane entretenue par un riche industriel trompe ce dernier au péril de sa vie. Splendeur des images. Excellents comédiens. Intrigue intéressante. Note : 9 sur 10.

Fratii Dabija (Les frères Dabija) de Catalin Draghici (Roumanie, 62 minutes). Une heure interminable passée avec trois frères dans leur cuisine. Note : 1 sur 10.

Gassoh de Tatsuo Kobayasi (Japon 87 minutes). Actualisation d’un genre; le film de samouraï. La vie de l’époque, vécue par de jeunes guerriers. Très crédible. Note : 9 sur 10.

Hiszpanka de Lukasz Barczyk (Pologne, 110 minutes). Interprétation très libre d’un événement historique; l’insurrection polonaise contre l’occupation allemande en 1918. Hommage aux films muets de Fritz Lang. Note : 6 sur 10.

It’s really kind of you de Soe Jae-ick (Corée du Sud, 92 minutes). Film d’horreur. Note : 0 sur 10.

Kurai Kurai – Verhalen met de Wind (Kurai Kurai – Récits du vent) de Marjoleine Boostra (Pays-Bas – Kyrghizistan, 85 minutes). Lente présentation de personnages rencontrés à l’occasion d’un retour au bercail. Bonne présentation des différents modes de vie de ce coin du monde. Note : 9 sur 10.

La Pantalla Desnuda (Écran nu) de Florence Jaugey (Nicaragua, 93 minutes). Par jalousie, un ami publie sur YouTube une vidéo compromettante. Idée intéressante et bien développée. Fine psychologie des personnages. Fin trop abrupte. Note : 9 sur 10.

Le Dernier loup de Jean-Jacques Annaud (Chine, 98 minutes). Des nomades mongols (respectueux du délicat équilibre écologique de leur milieu) doivent se soumettre aux diktats désastreux des technocrates de Beijing. Paysages magnifiques. Scénario admirable. Excellents acteurs. Note : 10 sur 10.

L’Orchestre de minuit de Jérôme Cohen-Olivar (Maroc, 114 minutes). Loufoque. Quelques bons numéros d’acteurs arabes incarnant des personnages juifs. Note : 5 sur 10.

Mission Mozart – Lang Lang et Nikolaus Harnoncourt de Christian Berger (Autriche-Allemagne, 53 minutes). Excellent documentaire des répétitions de deux concertos pour piano de Mozart. Note : 10 sur 10.

Muhammad de Majid Majidi (Iran, 171 minutes). Grandiose fresque de l’enfance de Mahomet. Note  10 sur 10.

Neckan de Gonzalo Tapia (Espagne, 92 minutes). Rythme lent. Lumière sombre. Bavard. Note : 4 sur 10.

One day, œuvre collective (Chine, 90 minutes). Publireportage mièvre sur divers organismes venant en aide à des enfants handicapés chinois. Note : 3 sur 10.

Outliving Emily d’Eric Weber (États-Unis, 88 minutes). Film à l’eau de rose, cousu de fils blanc, d’un couple, de leur première rencontre à leur vieillesse. Note : 3 sur 10.

Qanli Yanvar (Janvier sanglant) de Vlalid Mustafa (Azerbaïdjan, 138 minutes). Télé-film sur la répression sanglante d’une émeute à l’origine de l’indépendance du pays. Bonne présentation des motivations des forces en présence. Cinématographiquement très faible. Note : 4 sur 10.

Sakli (Le Secret) de Selim Evci (Turquie, 102 minutes). Un musicien célèbre a une relation secrète avec la fille d’un ami. Ce dernier, gardien jaloux de la virginité de sa fille, a une relation extra-conjugale. Regard sociologique sur la moralité de ses contemporains. Note : 6 sur 10.

Sept jours de Xing Jian (Chine, 73 minutes). Film sonore. La neige, le vent, un vieillard, des poissons et un oiseau. Film à la Taurus, lent et interminable. Note : 1 sur 10.

Sika Deluxe de Ian Cvitkovic (République Tchèque – Macédoine, 108 minutes). Trois gars ouvrent une pizzeria. Psychologie préhistorique des personnages. Note : 3 sur 10.

Song of the Phoenix de Wu Tianming (Chine, 107 minutes). Regard nostalgique sur l’abandon de l’usage d’instruments à vent traditionnels chinois. Décors réalistes. Note : 4 sur 10.

Taboo de Khosro Mousami (Iran, 108 minutes). Drame cohérent et plausible, remarquablement bien mis en scène et bien joué, sur la malédiction qui frappe ceux qui transgressent les coutumes matrimoniales du pays. Un Roméo et Juliette transposé avec intelligence dans l’Iran moderne. Note : 10 sur 10.

The Duel of Wine (Le Duel du vin) de Nicolás Carreras (Italie-Argentine). Comédie romantique. Un vieux sommelier essaie de reconquérir le cœur de sa dulcinée. Charmant et drôle. Note : 9 sur 10.

The Girl King de Mika Kaurismäki (Canada, 102 minutes). L’histoire de la reine suédoise Kristina. Une reine trop en avance sur son temps, qui abdique et quitte le pays en pillant le trésor royal. Scénario excellent. Psychologie fouillée des personnages. Note : 9 sur 10.

The Next Generation Patlabor – Tokyo War de Mamoru Oshii (Japon, 93 minutes). Photographie glauque. Film bavard. Note : 1 sur 10.

The Union de Jeremy Thibodeau (États-Unis, 81 minutes). Confident des secrets des membres d’une famille dysfonctionnelle, le barman embauché à l’occasion d’un mariage résolut le secret de son abandon par son père. Note : 7,5 sur 10.

Tian Jiang (Montagne rouge) de Xin Mei (Chine, 96 minutes). Devenu garde-forestier contre son gré, un jeune homme découvre et s’attache à la forêt. De bons sentiments qui conviennent à des adolescents. Note : 6 sur 10.

Tskhra Mtas Iqit (Le Village) de Levan Tutberidze (Géorgie, 112 minutes). À la montagne, une étrangère doit affronter les préjugés et l’hostilité des villageois. Développement psychologique faible. Note : 5 sur 10.

Under construction de Rubaiyat Hossain (Bangladesh, 88 minutes). Lasse du rôle principal d’une pièce célèbre, une actrice est déchirée entre les exigences aliénantes de sa famille et de la société machiste dans laquelle elle vit, et d’autre part ses aspirations à se réaliser en tant qu’être humain. Description fine des personnages. Note : 7,5 sur 10.

Un instante en La Habana de Guillermo Ivàn Duenas (ÉU-Cuba-Mexique-Colombie, 95 minutes). Réunion de deux frères après une longue séparation. Mélodrame excessif. Psychologie primaire. Rudesse des rapports humains. Note : 2 sur 10.

Yang Pi Fa Zi (Chèvres à la dérive) de Li Jide (Chine, 89 minutes). Un batelier, maitre dans la confection de radeaux flottant sur des peaux de chèvres gonflées d’air, se désole que son fils préfère la modernité plutôt que de lui succéder. Note : 3 sur 10.

Ziporey Hol (Phénix) de Amir Wolf (Israël, 105 minutes). Un vieux tombeur se spécialise dans la séduction de veuves d’ex-survivants de l’holocauste, ce qui lui portera malheur. Comédie noire pleine de charme. Note : 8 sur 10.

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Écrit par Jean-Pierre Martel


Muhammad, un film merveilleux

4 septembre 2015

Introduction

C’est à Montréal qu’a eu lieu la première mondiale du film iranien Muhammad.

Dans toute l’histoire du 7e art, c’est la deuxième fois qu’un film est consacré à celui qu’on appelle en français Mahomet. Le premier fut le film hollywoodien Le Message (1976), du réalisateur syrien Moustapha Akkad.

En comparaison, il y a 200 films portant sur la vie de Jésus, une centaine sur différents personnages bibliques et 42 à propos de Bouddha.

La difficulté vient du fait que la majorité des Musulmans sont sunnites et que les courants majoritaires du sunnisme contemporain interdisent toute représentation du prophète. Il s’agit d’un handicap sérieux pour tout réalisateur. C’est comme faire un film sur Dieu sans jamais le voir ni entendre sa voix.

Par contre, les Musulmans chiites, majoritaires en Iran et en Irak, permettent toute représentation respectueuse du prophète. C’était le cas dans l’ensemble du monde musulman avant que l’intégrisme saoudien s’y répande.

Dans le film, on voit du jeune Mahomet que les pieds, les mains, l’arrière de la chevelure, le bout du nez et le bas du visage (du menton au nez).

Au festival, il ne devait originellement y avoir que deux représentations puisque le film doit sortir en salle d’ici un mois. Mais à la demande générale, on a ajouté deux supplémentaires, elles aussi à guichet fermé. Au total, environ deux mille Montréalais ont déjà vu ce film.

En Iran, le film est sorti simultanément dans 57 salles. Il est question d’étendre la distribution à la moitié des salles du pays.

L’œuvre

Réalisée au coût de 40 millions $US, cette ambitieuse reconstruction historique est très crédible par le soin que sa direction artistique a apporté à la création des décors et des costumes.

Les meilleurs acteurs iraniens ont été mis à contribution pour incarner les personnages principaux et des milliers de figurants ont été embauchés pour les scènes de combat, notamment dans l’attaque de La Mecque par le général Abraha d’Abyssinie alors que cette ville est défendue par le grand-père de Mahomet

Le film frappe d’abord par la beauté de ses paysages et des villages reconstitués. Le spectateur qui n’est pas déjà familier avec la vie du prophète risque de se perdre un peu dans la multitude des rivalités tribales qui existaient à l’époque et qui ont obligé le jeune Mahomet de mener une vie errante afin d’échapper aux menaces qui pesaient sur lui en tant qu’héritier dynastique de son clan.

Toutefois, la distribution des rôles caractérise bien les bons (à l’apparence physique flatteuse) et les méchants (laids), ce qui fait qu’on s’y retrouve grosso modo dans le récit du film.

Dans le style des films hollywoodiens comme Ben Hur ou Les dix commandements, Muhammad ne se donne pas pour but de renouveler le style des films consacrés à des sujets sacrés.

Le prophète n’y est donc pas représenté comme un simple personnage historique, comme le serait César ou Bonaparte. À l’instar de la représentation cinématographique de Jésus de Nazareth, le jeune prophète — dont on suit la vie de la naissance jusqu’à 13 ans — est montré comme bon et charitable, plein d’empathie envers les faibles et les persécutés, nimbé d’un aura de lumière qui le sacralise, et porté par une trame musicale qui le glorifie.

C’est donc à la fois un film édifiant et merveilleux au sens littéral du terme (c’est-à-dire qui suscite une grande admiration en raison de son caractère exceptionnel).

D’où les reproches, adressés par les critiques occidentaux, selon lesquels Muhammad serait un film de propagande musulmane.

Un film trop musulman ?

Muhammad-2À la suite de chacune des représentations montréalaises, le réalisateur (ici au centre) s’est prêté à une séance de photos avec les festivaliers.

En conférence de presse, il a déclaré avoir voulu casser l’image de violence associée à l’Islam et offrir un apaisement aux luttes entre Chiites et Sunnites.

« L’islam est une religion de paix, d’amour et d’amitié » a-t-il déclaré, en expliquant avoir essayé de montrer le vrai visage de sa religion. « Cela n’a strictement rien à voir avec l’image violente qui en est faite à cause de radicaux qui l’ont détournée de son sens. »

Le film se compare donc aux grands films bibliques qui connaissent une popularité ininterrompue chez nous depuis des décennies à chaque fois qu’on les présente à la télévision à l’approche de Pâques.

Est-il trop long ?

À Montréal, le film de 171 minutes est présenté dans sa version originale en farsi — c’est-à-dire en langue perse moderne ou en ‘iranien’ — sous-titrée en français et en anglais. Il a été montré à une audience composée majoritairement de Musulmans montréalais, mais également de cinéphiles curieux d’autres confessions religieuses.

Au cours de la représentation à laquelle j’ai assisté debout près de la sortie, à peine quelques personnes sont sorties au cours de la projection, essentiellement pour y revenir quelques minutes plus tard. Je présume que ces gens ont simplement été soulager des besoins naturels. Deux mamans sont également sorties par crainte que leur bébé (qui s’était réveillé) de dérange leurs voisins.

Bref, presque tout le monde — hommes, femmes et enfants — a assisté à la totalité de cette projection qui débutait à 21h et qui se terminait aux environs de minuit.

Est-il, au contraire, une insulte à l’Islam ?

Quelques jours après la sortie du film, le grand mufti d’Arabie saoudite a prononcé une fatwa contre ce film, interdisant sa projection sous le prétexte qu’on y voit le corps du prophète et que ce film serait hostile à l’Islam.

Conséquemment, dans tous les pays sunnites du Moyen-Orient, le film sera probablement interdit. Dans ces pays, les exploitants de salles de cinéma qui se risqueront à braver cette fatwa le feront au péril de leur vie puisqu’un grand nombre de croyants zélés de ces pays se croient investis de la mission de réaliser la Colère Divine.

À Montréal, les Musulmans ont été nombreux à voir ce film avant que soit connue cette fatwa. Sur les médias sociaux, leur appréciation déjà publiée contribuera à la popularité du film en Occident et, involontairement, à mettre en doute la crédibilité du grand mufti et des imams d’ici qui relaieront l’interdit saoudien.

Que ce film représente physiquement le prophète, cela est indéniable : qu’il soit hostile à l’Islam est une accusation totalement burlesque, à laquelle ne pourront croire que les fidèles naïfs qui se priveront de voir ce film remarquable.

Quant à moi, non-musulman qui ai vu cette production, je recommande ce beau film à tous les Musulmans et à tous les cinéphiles.

Références :
Entre Mahomet et tout ce qu’on voudra
Film Review: ‘Muhammad: The Messenger of God’
« Mahomet », une oeuvre « hostile à l’islam »
Muhammad biopic director calls for more movies about the prophet’s life
« Muhammad » de Majid Majidi: long, ennuyant et pompeux
Muhammad: Messenger of God review – evocative account of Islam’s gestation
Muhammad: un film religieux à l’ancienne

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Écrit par Jean-Pierre Martel