Rater la perfection

1 mai 2017
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Au secondaire, dès qu’on m’enseigna la chimie, ce fut le coup de foudre.

Dans les vitrines de Noël de Beaudry Sports, parmi les lumières scintillantes et les couleurs criardes des objets en vitrine, rien n’avait autant attiré mon attention que ce nécessaire de chimie Kay, importé d’Angleterre.

Le manuel d’instruction donnait la recette de 162 expériences permettant de découvrir quelques-uns des plus extraordinaires secrets de la composition de l’univers.

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Pouvais-je imaginer qu’un an ou deux plus tard, mes parents m’offriraient le triptyque métallique Chemistry Lab No. 510. Avec un nom pareil, il ne pouvait s’agir que d’un produit américain. Plus moderne et plus complet, cet outil fit reculer davantage les frontières de l’inconnu.

Adolescent, j’adorais la chimie. C’était simple, logique et parfaitement prévisible. Bref, le contraire des filles. Au cours d’une démonstration, combien de fois ai-je vu des professeurs de physique perdre la face ? Jamais ceux de chimie.

Dans la cuisine abandonnée du premier étage de la maison familiale, le comptoir émaillé faisait office de table de laboratoire. Son lavabo servait à faire disparaitre discrètement les traces des innombrables échecs de mes premières expériences.

Que de liquides nauséabonds, que d’écumes dangereusement envahissantes ont disparu dans les profondeurs des égouts de la ville…

En pré-universitaire, j’étudiais au collège Roussin. À l’époque, le ministère de l’Éducation n’attachait aucune importance aux notes attribuées par cette institution privée en cours d’année; seul son examen à lui, en fin d’année, comptait.

Nous étions tous réunis dans l’aréna du collège, transformé pour l’occasion en grande salle d’examen.

Chacun d’entre nous était attablé derrière son pupitre. Celui-ci était parfaitement aligné au sein d’une des six rangées qui s’étendaient jusqu’au fond de l’ancienne patinoire.

Dans les estrades, des surveillants marchaient de long en large, prêts à débusquer les tricheurs.

Au départ de l’examen, un messager apportait au surveillant principal une mystérieuse enveloppe scellée renfermant les questionnaires ministériels. Ceux-ci étaient immédiatement distribués.

Il s’agissait de cinquante questions à deux points.

Les deux heures de ce sprint se déroulèrent au son feutré du papier labouré par des crayons à mine ou frotté nerveusement par des effaces. Parfois, un crayon échappé sur le ciment faisait résonner au loin la voute métallique de l’aréna.

Après les quelques semaines nécessaires à la compilation des résultats, je pris connaissance de ma note; 99,8%.

99,8% ? Mais qu’est-ce que c’est que cette histoire ? Comment peut-on avoir un tel score à l’issue d’un examen de cinquante questions à deux points ? Ce peut être 98% ou 100% mais rien entre les deux.

Ma première hypothèse fut que la moyenne québécoise avait été trop basse et qu’on aurait majoré tous les résultats par un certain pourcentage. Une chose impensable de nos jours…

Ou – seconde hypothèse – que les fonctionnaires du ministère ont réalisé que certaines questions avaient été mal rédigées et conséquemment mal comprises : on aurait donc compilé les notes en ne tenant compte que des ‘bonnes’ questions et reporté le tout en pourcentage.

Cela donnerait 99,8%. Bon.

Si cela peut être frustrant d’ignorer la note qu’on méritait vraiment, on se console très vite avec 99,8%.

Mais imaginons une troisième hypothèse.

Supposons que le ministère de l’Éducation n’ait pas prévu que quelqu’un puisse obtenir une note parfaite. Incapable d’accorder 100%, on aurait mis le maximum prévu soit 99,8%.

Alors là, ce n’est plus pareil.

Imaginez. Obtenir 60%, cela n’est pas trop forçant.

En étudiant quelques heures de plus, on peut atteindre 70%.

Pour avoir 80%, c’est déjà plus difficile.

Mais passer à 90% et même à chaque pourcentage supplémentaire, la somme de travail devient exponentielle.

Voilà pourquoi, par exemple, passer de 98% à 100%, cela exige un travail colossal.

Évidemment, je n’ai pas passé mes nuits à préparer cet examen. Mais si le hasard a fait que j’ai bien répondu à toutes les questions, cette chance inouïe ne s’était jamais produite avant et ne s’est jamais reproduite depuis.

C’est comme la différence entre avoir tous les chiffres à la loterie ou en manquer un. Qu’est-ce qui est préférable ? Gagner cinquante-millions$ ou une belle participation gratuite ?

Le plus triste dans cette histoire, c’est que même sur mon lit de mort, il y aura toujours un doute dans mon esprit; ai-je bénéficié de la majoration d’une note insignifiante ou avais-je, pour une fois dans ma vie, touché à la perfection…

Détails techniques : Olympus OM-D e-m5, objectif M.Zuiko 12-40mm F/2,8
1re photo : 1/80 sec. — F/2,8 — ISO 640 — 17 mm
2e  photo : 1/60 sec. — F/2,8 — ISO 500 — 17 mm

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Écrit par Jean-Pierre Martel