Droit international et géopolitique (première partie)

23 janvier 2024

La portée limitée du droit international

Ce qui fait que les lois adoptées par nos gouvernements sont généralement respectées, c’est que l’État possède un certain nombre de pouvoirs répressifs — la police, les tribunaux et les prisons — destinés à punir les contrevenants.

Sans le recours à ces moyens répressifs, ce serait l’anarchie.

Mais à la différence de nos gouvernements municipaux, provinciaux et fédéral, aucune instance supranationale ne possède de moyen répressif destiné à faire respecter sa volonté.

Jusqu’à la création de la Cour pénale internationale (CPI), les crimes de guerre étaient jugés à l’issue du conflit par des tribunaux temporaires mis sur pied par les vainqueurs.

La CPI est née en 2002 de la ratification d’un traité appelé Statut de Rome. Ce tribunal ne juge pas les pays ni les gouvernements; seuls des dirigeants politiques ou militaires sont sommés d’y apparaitre.

Étendue de l’autorité de la Cour pénale internationale

Pour être inculpé, l’accusé doit remplir l’une ou l’autre des conditions suivantes :
• être citoyen d’un État qui a ratifié le traité, ou
• avoir commis son crime sur le territoire d’un État membre, ou
• avoir été référé par le Conseil de sécurité de l’Onu (où les États-Unis et la Russie ont droit de véto).

De plus, la CPI fonctionne sur le principe de la complémentarité. Si un État signataire s’acquitte de sa responsabilité de punir lui-même ses ressortissants coupables de crimes de guerre, la CPI ne s’en mêle pas.

Le cas des crimes de guerre commis dans le Sud global

Quand un pays a été le théâtre d’une guerre civile, par exemple, il est rare que ce pays ait envie de raviver de vieilles plaies en inculpant ceux qui l’ont perdue.

En effet, la réconciliation nationale passe plus souvent par le pardon que par la justice vengeresse.

Voilà pourquoi, dans le cas de chefs d’État, ceux-ci ne sont convoqués devant la CPI qu’après avoir perdu le pouvoir et lorsque leurs successeurs ont profité d’un mandat international pour se débarrasser d’eux.

Voilà pourquoi, la CPI n’a condamné que du menu fretin jusqu’ici.

Le cas américain

Les deux plus importants crimes de guerre de toute l’histoire de l’Humanité ont été commis par les États-Unis à Hiroshima et à Nagasaki. Puisque le but de ces deux bombardements était de tuer le maximum de civils japonais.

Mais ces deux crimes de guerre — à mon avis justifiés — n’ont jamais été sanctionnés par la CPI parce qu’antérieurs à sa création.

À la prison de Guantánano, quand les États-Unis ont décidé de violer la Convention contre la torture, ni G.W. Bush ni Donald Rumsfeld n’ont été inculpés à titre de criminels de guerre parce qu’ils sont citoyens d’un pays qui n’a pas ratifié le Statut de Rome et que leurs crimes ont été commis dans une prison en territoire américain (même si elle est située sur l’ile de Cuba).

Le cas russe

L’Ukraine a ratifié le Statut de Rome. Ce qui signifie que même si la Russie ne l’a pas fait, les gestes posés par l’armée russe en Ukraine relèvent de l’autorité de la CPI.

Malgré un mandat d’arrêt émis en mars 2023 par la CPI contre Vladimir Poutine, ce dernier n’a pas été arrêté dans son pays parce que, pour ce faire, il aurait fallu sa collaboration.

D’autre part, il n’a pas été arrêté non plus lors de son voyage au Moyen-Orient en décembre dernier parce qu’il n’a mis les pieds que dans des pays qui ne reconnaissent pas l’autorité de la CPI.

De plus, son avion était escorté par quatre bombardiers Su-35 afin d’éviter qu’il soit intercepté et détourné par l’Otan.

Quant à l’idée d’abattre son avion en vol, personne à l’Otan ne peut certifier que le successeur du président russe serait plus acceptable aux yeux des pays occidentaux que Poutine.

Le cas israélien

L’initiative sud-africaine d’accuser Israël pour crimes de guerre commis dans la bande de Gaza sera intéressante à suivre. Toutefois, il est à noter que cette plainte a été portée devant la Cour internationale de justice (CIJ) et non la Cour pénale internationale (CPI).

La première est un tribunal de l’Onu (donc financée par elle), alors que la CPI est un tribunal indépendant de l’Onu qui est financé par les États membres du Statut de Rome.

De plus, la CIJ s’adresse aux États (ou aux entités étatiques comme l’Autorité palestinienne). Son but est de régler pacifiquement des différends internationaux par le moyen, entre autres, de la négociation, de la médiation, de la conciliation, et de l’arbitrage.

Pour sa part, la CPI mène enquête et juge des personnes accusées d’avoir commis des crimes internationaux tels que génocide, crimes de guerre, crimes contre l’humanité et crimes d’agression. Son but est d’empêcher l’impunité des auteurs de ces crimes afin que ceux-ci ne soient plus jamais commis.

Les États-Unis ont le pouvoir de facto de bloquer autant la CIJ que la CPI.

Rappelons qu’en septembre 2020, sous la présidence de Donald Trump, la procureure de la CPI et l’un de ses subordonnés ont été inscrits sur une liste noire américaine bloquant leurs avoirs et leur interdisant l’entrée sur le territoire américain (sauf pour New York qui dispose d’un statut spécial en raison de la présence des Nations Unies dans cette ville).

De plus, on ne voit pas comment la CIJ pourrait enquêter dans la bande Gaza si Israël interdit à ses procureurs d’y entrer.

Jusqu’ici, 83 journalistes et artisans des médias ont été tués dans la bande de Gaza. Vingt-cinq autres ont été emprisonnés. Ce n’est pas pour rien que l’armée israélienne a systématiquement assassiné les journalistes qui y œuvraient; c’est pour les empêcher de documenter comment elle y a guerroyé.

Un droit ‘facultatif’

En 2004, la CIJ a eu à se prononcer sur la légalité de l’édification d’un mur entre Israël et la Cisjordanie. Le long de ses 700 km, ce mur empiète à 80 % dans le territoire cisjordanien. Et ce, afin d’englober des colonies juives (ce qui n’est pas le cas du mur qui encercle la bande de Gaza).

Dans le cas du mur en Cisjordanie, la CIJ en est venue à la conclusion que la construction du mur, en raison de son tracé, était contraire au droit international.

Ce qui n’a pas empêché Israël d’ignorer ce jugement et de poursuite la construction de ce mur pendant plus d’une décennie sans en modifier substantiellement le tracé prévu, sinon pour englober de nouvelles colonies israéliennes.

Dans les faits, la soumission au droit international est facultative; on le respecte lorsque cela fait son affaire et on le viole lorsqu’il ne convient plus (comme le prouve également l’exemple américain au sujet du traité contre la torture).

Toutefois, lorsqu’un pays viole ce droit ‘facultatif’, il court un risque; celui qu’un pays beaucoup plus puissant saisisse le prétexte de cette violation pour faire adopter par l’Onu une résolution qui l’autorise à utiliser la force contre le pays contrevenant.

Mais qu’arrive-t-il quand l’Assemblée générale de l’Onu refuse d’autoriser une guerre punitive ?

Pour répondre à cette question, prenons le cas de la guerre en Irak.

En 2003, Washington aurait préféré obtenir de l’Onu une résolution habilitante pour justifier son invasion de ce pays.

Mais après l’échec du secrétaire américain à la Défense (Colin Powell) à convaincre les pays membres de l’Onu que ce pays possédait des armes de destruction massive, les États-Unis ont fait à leur tête; ils ont envahi illégalement l’Irak… pour finalement avouer qu’ils étaient incapables de trouver les armes de destruction massive qui justifiaient leur invasion.

Selon Wikipédia, cette guerre aurait fait entre cent-mille et deux-millions de morts.

En réalité, celle-ci n’était qu’un prétexte visant à renverser le régime de Saddam Hussain et ainsi permettre au pétrole irakien (jusque-là sous embargo) de couler librement sur les marchés internationaux afin d’en réduire le prix.

À suivre…

Références :
Conséquences juridiques de l’édification d’un mur dans le territoire palestinien occupé
Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants
Cour internationale de justice, Cour pénale internationale… comment fonctionne la justice internationale ?
Cour pénale internationale
Journalist casualties in the Israel-Gaza war
Guantánamo : dix ans de honte
La torture par les États-Unis : un crime de guerre impuni
Poutine escorté par des Su-35 : son voyage dans le Golfe, une démonstration de force

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Écrit par Jean-Pierre Martel


Covid-19 : de bonnes nouvelles d’Israël

3 avril 2021


 
Après six mois de vaccination, 58,0 % de la population israélienne a reçu au moins une dose du vaccin de Pfizer/BioNTech et 53,1 % des gens sont complètement vaccinés.

Chez les gens de plus de soixante ans, plus des huit dixièmes sont complètement immunisés. Si bien que ce groupe d’âge — qui, le mois dernier, représentait 72 % des admissions aux soins intensifs — n’en représente plus que 29 % (pour des raisons diverses).

Dans le graphique ci-dessus, la ligne bleue représente la moyenne quotidienne établie sur sept jours (afin d’atténuer les variations d’un jour à l’autre).

Le nombre de nouveaux décès chutait d’une moyenne quotidienne de soixante-deux le 26 janvier à huit hier, soit une réduction de 87,1 %.

Quant au nombre de nouveaux cas, la diminution est encore plus importante. Au début de cette année, on atteignait plus de dix-mille nouveaux cas quotidiens de Covid-19. Hier, on n’en comptait plus que 251, soit une réduction de 97,5 %.

Ces résultats auraient été encore meilleurs si le vaccin avait été recommandé aux enfants et aux adolescents.

Déjà, le fabricant possède des données qui prouvent la très grande efficacité de son vaccin chez les jeunes de douze à quinze ans.

Dès que les autorités sanitaires auront donné le feu vert à la vaccination dans ce groupe d’âge, le pays espère devenir le premier à atteindre l’immunité grégaire.

Références :
Covid-19 Coronavirus Pandemic in Israel
Le vaccin efficace à 100 % chez les 12-15 ans
‘We’re in a really good place’: is Israel nearing the Covid endgame?

Paru depuis :
Le rêve « utopiste » de l’immunité collective contre la COVID-19 (2022-05-01)

Pour consulter tous les textes de ce blogue consacrés au Covid-19, veuillez cliquer sur ceci

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Écrit par Jean-Pierre Martel


Covid-19 : la quarantaine ou le laisser-faire ? (2e partie)

21 mars 2020

L’exemple israélien

Au fil des années, Israël s’est doté d’un des meilleurs services de renseignement au monde afin de se protéger d’un environnement hostile.

Israël fait maintenant face à un nouvel ennemi, tout aussi meurtrier et sournois qu’une cellule terroriste.

Conséquemment, les autorités ont décidé de consacrer une partie des capacités d’espionnage du pays à suivre à la trace les téléphones de tous les habitants du pays afin de débusquer ceux qui mettent en péril la vie des autres et afin de prévenir les personnes qu’ils auraient pu contaminer.

Selon les révélations d’Edward Snowden, les services de renseignements de nos pays épient déjà tous nos appels téléphoniques, tous nos textos et tous nos SMS.

De plus, la géolocalisation des appareils multifonctionnels permet aux États de procéder à des assassinats sélectifs.

Ce qui est nouveau, c’est qu’Israël a développé des algorithmes qui permettent, en temps réel, de déceler les personnes contaminées qui négligent de se placer en quarantaine.

Le 19 mars dernier, le ministre de la Santé a annoncé qu’un message sera envoyé à tous les citoyens qui seront demeurés pendant au moins deux minutes à moins de deux mètres d’une personne contaminée.

Le message type est le suivant :

D’après nos données, vous avez été en contact rapproché avec un porteur du Covid-19 le 16 mars dernier. Il est donc nécessaire de vous placer en quarantaine jusqu’au 30 mars 2020 afin de protéger vos proches et le public.

Près de quatre-cents personnes ont déjà reçu ce message.

À la suite d’une plainte d’associations de défense de droits de la personne, la Cour suprême d’Israël a reconnu la pertinence d’avoir recours à ce type de technologie, mais a donné cinq jours au gouvernement pour soumettre les mesures à la Commission parlementaire sur le renseignement (ce qui ne devrait être qu’une formalité).

La surveillance électronique ailleurs dans le monde

Tout comme la Grande-Bretagne, les États-Unis songent à accroitre leur surveillance électronique comme le fait déjà Israël.

En Chine, le déploiement de la 5G dans l’est du pays a tellement fait augmenter la masse de données qui transitent par le réseau téléphonique que l’État a obligé ses citoyens à utiliser une application spécifique qui permet aux autorités de suivre le déplacement des citoyens afin de mieux contrôler les foyers d’épidémie.

Sur la carte géographique des environs où on se trouve, cette application permet de voir les endroits visités par les personnes testées positives pour le Covid-19.

De plus, dans ce pays (comme en France), on a recours à des drones équipés de hautparleurs pour ordonner la dispersion de rassemblements de citoyens.

En Corée du Sud, les dizaines de milliers de citoyens à qui on a ordonné la quarantaine sont obligés d’installer une application qui alerte les autorités s’ils quittent leur domicile.

Taïwan oblige la géolocalisation de ses 24 millions de citoyens. Parmi ceux en quarantaine, le pays prête même un téléphone multifonctionnel à ceux qui n’en ont pas.

Les personnes en quarantaine qui quittent la zone de confinement qui leur est alloué reçoivent alors l’ordre d’appeler la police immédiatement sous peine d’une amende de 33 000$.

À Hong Kong, toutes les personnes en quarantaine sont soumises à la géolocalisation par le biais d’un téléphone mobile ou d’un bracelet électronique.

(à suivre)

Références :
Coronavirus : Israël recourt à la surveillance technologique massive pour freiner la pandémie
Government efforts to track virus through phone location data complicated by privacy concerns
How the U.S. can defeat coronavirus: Heed Asia’s lessons from past epidemics
Translating a Surveillance Tool into a Virus Tracker for Democracies

Parus depuis :
Comment se compare la progression de la COVID-19 à travers le monde? (2020-03-28)
Des leçons pour le Québec dans l’approche sud-coréenne? (2020-03-28)
The missing six weeks: how Trump failed the biggest test of his life (2020-03-28)
«La Corée du Sud a réagi vite et bien» (2020-04-02)
Learning from Taiwan’s Covid-19 response (2020-09-13)
I’ve been in Covid quarantine in South Korea – there’s a lot Britain can learn (2021-02-05)
How Taiwan triumphed over Covid as the UK faltered (2021-03-24)

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Écrit par Jean-Pierre Martel


La sympathie discrète du gouvernement israélien pour Al-Qaida

9 décembre 2015

Le très sérieux Wall Street Journal révélait en mars dernier que les combattants d’Al-Qaida blessés au sud-ouest de la Syrie trouvaient refuge en Israël pour y être soignés.

Amos Yadlin — ancien chef du Renseignement militaire israélien dont Le Monde publie ce matin une entrevue — déclarait plus tôt cette année que l’Iran et le Hezbollah étaient des menaces bien plus graves pour Israël que les islamistes radicaux sunnites (dont Al-Qaida et l’État islamique font partie).

Ce qui est vrai pour Al-Qaida, l’est moins pour le califat parce ce territoire n’est pas situé près des frontières israéliennes; les blessés graves de l’ÉI sont plutôt soignés en Turquie, plus proche.

Si le territoire de l’ÉI s’approchait des frontières israéliennes, ses combattants blessés seraient soignés en Israël selon la politique obsessionnelle de Benyamin Netanyahou d’appuyer tout ce qui pourrait nuire à l’Iran et à son allié Bachar el-Assad.

En vertu du serment d’Hippocrate, les médecins sont tenus de soigner tout être humain, quelles que soient ses convictions religieuses et ses idées politiques.

Je ne reproche donc pas aux médecins d’avoir soigné des terroristes; ils ont fait leur devoir. Je reproche plutôt au gouvernement israélien de Netanyahou de permettre à ces combattants, une fois remis sur pied, de retourner combattre en Syrie plutôt que de les emprisonner et de les accuser de terrorisme.

Si ces derniers, revenus au combat, étaient affectés à la commission d’un attentat terroriste ici même à Montréal, je doute que les excuses d’Israël rencontreraient beaucoup de sympathie au Québec.

Conséquemment, on ne peut que qualifier d’irresponsable la politique du gouvernement de Benyamin Netanyahou à l’égard des terroristes sunnites et espérer qu’il se ressaisisse avant d’avoir à porter l’odieux des conséquences d’une complicité honteuse.

Références :
Al Qaeda a Lesser Evil? Syria War Pulls U.S., Israel Apart
Amos Yadlin : « Bachar Al-Assad fait partie de l’axe radical qui veut détruire Israël »
Wall Street Journal: Israel Caught Red-handed Aiding al-Qaeda in Syria

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Écrit par Jean-Pierre Martel