La condamnation de Tony Blair

8 juillet 2016


 
Le samedi 15 février 2003, 150 000 personnes défilaient dans les rues de Montréal pour protester contre la guerre que G.W. Bush préparait en Irak, appuyé par Tony Blair, premier ministre britannique.

C’était la plus grosse manifestation de l’histoire du Québec organisée jusque-là. Et il s’agissait de la plus importante manifestation contre la guerre en Irak en Amérique de Nord. C’était, par exemple, quinze fois plus qu’à Toronto. J’étais du nombre.

C’était la première fois de ma vie que je participais à une marche de protestation. Il faisait -26°C.

Pour les plus superstitieux d’entre nous, ce soleil resplendissant était la Caution Divine à la justesse de notre cause.

Partout en Occident, des millions de personnes faisaient comme nous.

Dans mon esprit, il était évident que cette guerre prédatrice n’avait qu’un seul but; libérer le pétrole irakien de l’embargo international auquel il était soumis, lui permettre d’inonder les marchés mondiaux et faire ainsi chuter les prix de cette ressource, au bénéfice des économies énergivores comme celle des États-Unis.

Pour des millions de protestataires, aucune des justifications invoquées par le couple Bush-Blair n’était fondé.

Cela n’a pas empêché les soldats de l’alliance anglo-américaine d’aller peu après répandre le chaos et l’anarchie au Moyen-Orient.

Un chaos qui s’est étendu depuis et qui a provoqué la mort d’environ un demi-million de personnes — 150 000 en Irak et 250 000 en Syrie — en plus de déclencher la pire crise humanitaire depuis la Deuxième Guerre mondiale. Une crise qui se bute aujourd’hui aux portes de l’Europe.

Quel gâchis.

Jusqu’à cette marche glaciale dans les rues de Montréal, toutes mes vacances annuelles avaient été prises aux États-Unis.

J’aime bien les Américains. Je les trouve créatifs. Un peu innocents en politique internationale. Un peu frustes sur les bords. Et affreusement nombrilistes. Mais intelligents, hospitaliers et sympathiques.

Mais je ne pouvais pas accepter que l’argent que je dépensais lors de mes vacances aux États-Unis puisse financer cette guerre.

En effet, l’argent à acheter des biens ou des services contribuait aux profits des entreprises auprès desquelles je m’approvisionnais. Or ces entreprises, en faisant des profits, paient des impôts. Et une partie de mon argent se retrouve donc dans les coffres de l’État américain à financer cette guerre. Même si finalement, ce devrait n’être qu’un seul cent, c’était trop pour moi.

J’ai donc résolu de ne plus mettre les pieds aux États-Unis tant que leurs soldats seraient en Irak.

Au lendemain de cette décision, s’est posé le dilemme : où vais-je aller prendre mes vacances ?

Je me suis posé alors la question : « Si tu devais mourir demain, quelle est la ville que tu regretterais le plus de ne jamais avoir vue ? »

Évidemment, ma réponse fut Paris. Voilà pourquoi la capitale française fut la première destination des nombreux voyages que j’ai effectués depuis.

Afin d’être logique avec moi-même, ce boycottage américain s’est étendu aux autres pays d’occupation de l’Irak, dont l’Angleterre et l’Italie.

En réalité, j’ai fait une exception à cette résolution.

En 2006, sous l’insistance d’un ami écossais, j’ai passé une semaine en Écosse. J’avais d’abord refusé l’année précédente sous le prétexte que son épouse venait d’accoucher : je ne me voyais pas lui imposer la corvée supplémentaire d’accueillir un invité.

Mais l’année suivante, j’ai cédé à leur aimable invitation. Ce séjour fut très agréable… mais c’était en contradiction avec mon engagement.

Mais, me disais-je, l’Écosse n’est pas l’Angleterre, etc. Bref, des justifications. Comme quoi personne n’est parfaitement cohérent.

Ceci étant dit, quel ne fut pas mon bonheur de prendre connaissance, il y a deux jours, des conclusions du rapport Chilcot.

Intitulé L’enquête d’Irak, le rapport de six-mille pages est la conclusion d’une enquête officielle débutée en 2009 sur la légitimité de l’intervention militaire britannique dans ce pays.

Ce rapport de 2,6 millions de mots (trois fois plus que la Bible) est accompagné d’un ‘résumé’ de 145 pages.

En bref, c’est la plus cuisante condamnation publique qu’un chef d’État ait jamais subie d’un rapport gouvernemental.

À côté de lui, le rapport Charbonneau (sur la corruption au Québec) est un bouquet de fleurs.

Et dans un pays toujours en colère contre ses politiciens à la suite du référendum, les familles de soldats britanniques morts inutilement en Irak réclament que Blair soit traduit pour crime de guerre devant le Tribunal pénal international.

Contrairement au Québec — où les journaux refusent de publier les commentaires trop cinglants au nom d’une nétiquette stérilisante — les chroniqueurs politiques britanniques font de la surenchère dans leur condamnation unanime de Tony Blair.

En lisant leur propos, vous ne pouvez pas savoir comment je suis fier de m’être fait gelé les orteils ce jour du 15 février 2003…

Références :
‘Blair is world’s worst terrorist’: families of Iraq war victims react to Chilcot report
Chilcot report: Bush says ‘world is better off’ without Saddam as Blair mounts Iraq war defence – as it happened
Chilcot report: key points from the Iraq inquiry
Chilcot report unlikely to damage Tony Blair’s income or influence
La guerre en Irak ou L’aveuglement collectif américain
La plus grosse manifestation de l’histoire du Québec
Take it from a whistleblower: Chilcot has only scratched the surface
The Iraq war inquiry has left the door open for Tony Blair to be prosecuted
The war in Iraq was not a blunder or a mistake. It was a crime
‘Tony Blair’s epitaph was engraved today’. Our writers’ verdicts on the Chilcot report
Tony Blair unrepentant as Chilcot gives crushing Iraq war verdict

Publié depuis :
It’s not just British soldiers. The whole Iraq war fiasco is back in the dock (2017-12-15)

Un commentaire

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Écrit par Jean-Pierre Martel


Irak : le discours aux Américains que jamais Stephen Harper ne prononcera

27 septembre 2014

Le groupe armé État islamique est une menace pour le monde. C’est une menace parce qu’il est en position de conquérir facilement les plus importants sites d’extraction pétrolière du Moyen-Orient.

Or nous ne pouvons tolérer qu’un groupe extrémiste soit en position d’avoir le monde à sa merci; une telle menace est totalement inacceptable.

Voilà pourquoi, nous nous joindrons à vous dans la lutte que vous lui mènerez.

Mais nous ne sommes pas contents.

Nous ne sommes pas contents parce que le gâchis actuel en Irak est la conséquence directe de la politique extérieure menée par votre pays au Moyen-Orient.

Vous déstabilisez les gouvernements qui s’y trouvent, vous armez ou vous laissez vos alliés locaux équiper en armements les groupes les plus extrémistes et vous vous étonnez que cette région soit mise à feu et à sang. Mais où aviez-vous donc la tête en semant le désordre et en libérant la furie des armes ?

Et voilà que vous faites appel à nous pour réparer les pots cassés. Sans même avoir admis la lourde responsabilité de votre pays dans ce désastre.

Lorsque votre pays a voulu nous dicter notre participation à la guerre en Irak, nous vous avons répondu que la participation canadienne à cette guerre était conditionnelle au feu vert des Nations Unies. Il s’agissait d’une ruse de notre part puisque nous savions que jamais l’ONU ne l’autoriserait.

Des accusations sans fondement de possession d’armes de destructions massives et la production de documents falsifiés à l’appui de votre thèse à l’ONU ont miné la crédibilité de votre pays à travers le monde.

Mais par-dessus tout, notre ressentiment vient de vos accusations d’être « antiaméricains » parce que nous osions ne pas nous soumettre à vos dictats militaristes et refusions de vous suivre stupidement au doigt et à l’œil.

Le Canada est le principal partenaire commercial des États-Unis. Les Canadiens achètent plus de biens et de services américains qu’aucun autre peuple au monde, quelle que soit sa population.

Le Canada se considère comme le meilleur ami des États-Unis. Or le rôle d’un ami, ce n’est pas de vous dire ce que vous voulez entendre : c’est, entre autres, de vous prévenir quand vous allez commettre une erreur. C’est ce que nous avons fait.

Mais votre pays a préféré la compagnie des courtisans qui vous encourageaient à vous tirer dans le pied. Avec le résultat qu’on sait.

En dépit de cette rebuffade, nous nous considérons toujours comme votre meilleur ami. Et encore cette fois, nous allons être francs.

Cessez de nourrir la haine à votre égard.

Découragez activement la guerre coloniale d’Israël en Palestine. Comment ? Votre subvention annuelle de trois milliards$ devrait être réduite d’une somme équivalente à ce que ce pays consacre à la colonisation de la Palestine. Étant donné que les divers postes au budget de tout État sont des vases communicants, cela vous éviterait d’être accusé de financer indirectement cette guerre coloniale. Surtout, cela éviterait d’alimenter le ressentiment et la colère légitime des Arabes contre vous.

Et Israël, s’il le désire, pourrait recevoir cette subvention intégralement en cessant sa politique d’implantation de colonies israéliennes en Palestine.

Relativement aux pays arables, faites comme Louis-XV : reversez vos alliances.

Entre ces deux pays ennemis que sont l’Inde et le Pakistan, cessez de verser des milliards$ à l’armée pakistanaise qui vous méprise et vous déteste. Le Pakistan est le centre mondial de la haine. La haine de son voisin, l’Inde. La haine des Juifs. La haine des Chrétiens. La haine des valeurs occidentales. Bref, les Pakistanais sont des « pisseux de vinaigre ». Cessez de vouloir en faire des amis; cela n’arrivera jamais.

L’Iran chiite est le rempart contre l’intégrisme sunnite, représenté par l’Arabie saoudite. Quant à lui, l’intégrisme iranien est inoffensif dans la mesure où il ne se propage pas; sauf l’Irak, tous les autres pays musulmans sont sunnites, donc réfractaires à son influence. En contrepartie, l’Iran est le seul pays stable et fort du Moyen-Orient.

Cessez de servir les intérêts de la monarchie obscurantiste d’Arabie saoudite en affaiblissant l’Iran. À part le Hezbollah libanais, partout où des extrémistes musulmans se manifestent, ceux-ci sont financés par l’Arabie saoudite.

Quant à la bombe nucléaire iranienne, lorsque ce pays aura rejoint le club sélect des puissances nucléaires, jurez d’anéantir ce pays et de le rayer de la surface du globe s’il devait s’en servir. Ce devrait être suffisant pour l’en dissuader.

Bref, l’appui canadien à cette nouvelle guerre est inconditionnel. Toutefois, nous profitons de l’occasion pour vous parler avec franchise. Puisse-t-elle vous aider à cesser de vous mettre les pieds dans les plats…

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Écrit par Jean-Pierre Martel