La torture par les États-Unis : un crime de guerre impuni

11 décembre 2014

En 2009, le Sénat américain a entrepris une étude bipartisane sur les méthodes employées par la CIA dans sa lutte contre le terrorisme. Le rapport de 6 000 pages, prêt depuis des mois, a été publié cette semaine dans une version censurée de 524 pages.

Dans la mesure où les dirigeants du pays autorisaient ouvertement l’utilisation de la torture et fermaient complaisamment les yeux sur les moyens utilisés, les dirigeants de la CIA ont vite compris que le seul moyen d’éviter les reproches de négligence, c’était d’y aller à fond. Si jamais un autre attentat survenait, il serait plus facile de se justifier s’ils ont manifestement tenté par tous les moyens de le prévenir.

Les États-Unis se faisaient donc les grands défenseurs de la démocratie parlementaire et les champions de la liberté de commerce. Toutefois, simultanément, ils donnaient l’exemple d’un État totalitaire qui bafoue les libertés civiles de ses citoyens en espionnant leurs correspondances et leurs déplacements, de même qu’en torturant les étrangers patriotes qui s’opposent à l’invasion militaire de leur pays par les troupes américaines.

Le long texte que j’ai écrit sur la traque de Ben Laden reflète la controverse de l’époque au sujet de l’efficacité des méthodes utilisées par la CIA. Cette prudence a aussi guidé les scénaristes d’Opération avant l’aube, un film qui, contrairement à ce qu’on a prétendu, a évité de prendre position sur ce sujet.

Mais l’analyse minutieuse des informations obtenues sous la torture n’a trouvé aucune preuve indiquant que ces interrogatoires ont permis de déjouer des complots imminents.

En effet, après avoir épluché près de six millions de documents fournis par la CIA, les enquêteurs du Sénat n’ont découvert aucun cas d’information inédite ayant permis de sauver des vies américaines et ce, en dépit de méthodes qui ont laissé certains détenus dans un état suicidaire et en proie à des hallucinations.

On peut juger du sérieux de ce rapport par le fait qu’il contredit celui de l’U.S. Naval Criminal Investigative Service. Ce dernier concluait qu’à Guantánamo, les méthodes utilisées avaient entrainé la mort de cinq détenus, trois par torture à mort le 9 juin 2006 et deux par suicide.

Si les membres de la commission sénatoriale avaient voulu noircir le tableau de l’administration Bush, ils auraient abondé dans le même sens que leurs prédécesseurs : or le rapport sénatorial ne parle que d’un suicide réussi (et d’aucun cas de torture à mort, à moins que cela ait été censuré).

Malheureusement, aucun de ceux qui ont pratiqué la torture, aucun de ceux qui l’ont commandé et aucun de ceux qui l’ont permise, n’a été sanctionné. Tous ceux qui ont été compromis dans cette affaire occupent encore des fonctions importantes de l’appareil de l’État américain ou du Parti républicain. Tout ce beau monde poursuit sa désinformation afin de se justifier et d’échapper aux poursuites pour crimes de guerre.

Conséquemment, ce rapport ne fait autorité qu’auprès de ceux qui veulent bien y croire et qui ont les dispositions morales pour se scandaliser de son contenu.

On peut donc craindre que cette pratique — qui rappelle les horreurs de la Deuxième Guerre mondiale — revienne à la première occasion.

La fascination des criminels de gerre

Conference_Bush2On est d’autant plus justifié de le craindre que la Droite américaine et ses alliés continuent de récompenser les criminels de guerre américains pour leurs loyaux services.

C’est ainsi qu’en 2009, G.W.Bush est venu prononcer trois conférences au Canada, gratifié d’un honoraire de 100 000$ à chaque fois.

La conférence montréalaise, sous le patronage de la Chambre de commerce du Montréal métropolitain, était commanditée par la firme de transactions en ligne Optimal Payments, les consultants financiers Ernst & Young, le cabinet d’avocats Osler, Hoskin & Harcourt, et la minière Nayarit Gold.

À Montréal, plus de 1 300 hommes d’affaires se sont déplacés pour entendre l’ex-président dans un hôtel qui appartiendrait en partie à des intérêts saoudiens.

Le milieu des affaires justifie une telle initiative en prétextant que nos entrepreneurs viennent apprendre comment mieux percer le marché américain. Cela est bon pour leur entreprise et cela crée des emplois, dit-on.

Malheureusement, ce n’était pas le thème de cette rencontre. Il s’agissait plutôt d’une conférence à bâtons rompus au cours de laquelle l’ex-président évoquait avec nostalgie ses années de pouvoir et justifiait ses politiques (dont la torture), sous les applaudissements de ses admirateurs. Ces hommes d’affaires ont donc payé le prix d’entrée pour avoir la chance d’être photographiés en serrant la main de leur idole.

Les hommes d’affaires sont libres de dépenser leur argent comme ils l’entendent. Néanmoins, quand une telle somme est déductible d’impôt en tant que frais de représentation, quand la dépense résiduelle passe dans les frais généraux de l’entreprise — et est donc refilée aux consommateurs — les contribuables et le public ont le droit d’en discuter.

À mon avis, aucun argument ne peut justifier qu’on paie un criminel de guerre à venir prononcer une conférence chez nous.

Si on veut que la pratique méprisable de la torture soit abandonnée, il faut que ceux qui en sont coupables soient punis et non récompensés.

Peut-être devrait-on suivre l’exemple de la Suisse où G.W. Bush s’est vu forcé d’annuler la conférence qu’il devait donner à Genève en raison de la menace d’arrestation qui pesait sur lui pour crime contre l’Humanité…

Références :
À Montréal, George W. Bush est accueilli par des manifestants – Applaudi dedans, hué dehors
Guantánamo : dix ans de honte
Le dossier clos
Le président George W. Bush annule sa venue en Suisse
Les interrogatoires de la CIA inefficaces et brutaux
Tortures : critiques et demandes de poursuites contre la CIA

Paru depuis :
US army and CIA may be guilty of war crimes in Afghanistan, says ICC (2016-11-15)

Un commentaire

| Politique internationale | Mots-clés : , , | Permalink
Écrit par Jean-Pierre Martel


Guantánamo : dix ans de honte

13 janvier 2012

Des 779 prisonniers de la base américaine de Guantánamo, sur l’île de Cuba, 171 y sont encore détenus dont 89 en attente de transfert vers d’autres pays. On y compte maintenant dix-sept fois plus de gardiens que de détenus. Cette détention coûte aux contribuables américains la somme annuelle de 800,000$ par prisonnier.

Les tortures infligés aux détenus allaient de l’anodin (le Coran jeté sous leurs yeux dans un seau d’urine) à la noyade simulée (à laquelle le cerveau des attentats du 11 Septembre 2001 et numéro 3 d’Al-Qaida, Khaled Cheikh Mohammed, a été soumis 183 fois).

Vingt-neuf d’entre eux y ont fait 41 tentatives de suicide. Cinq de ces tentatives, toutes survenues depuis 2006, ont été réussies.

Toutefois, trois de ces « suicides » sont en réalité des tortures à mort survenues le 9 juin 2006. Les détails entourant leur décès sont tellement accablants qu’ils ont été maintenus confidentiels jusqu’ici. Toutefois, environ 1,700 pages du rapport d’enquête de l’U.S. Naval Criminal Investigative Service, ont été déchiffrées est reconstituées par une armée d’étudiants de la faculté de droit de l’Université Seton Hall du New Jersey, à partir des copies abondamment censurées publiées par le Pentagone.

Seulement six des prisonniers de Guantánamo ont été condamnés par des tribunaux militaires à l’issue de procès qui ont été un total déni de justice.

Un de ces six condamnés est Omar Ahmed Khadr. Même si sa famille était voisine et amie de celle d’Osama Ben Laden en Afghanistan, les militaires américains n’ont jamais réussi à prouver l’implication terroriste du jeune Kahdr, encore adolescent au moment des actes reprochés.

Celui-ci a été retrouvé évanoui sous des débris, le visage contre le sol, une balle tirée dans le dos : il fut condamné pour le meurtre d’un soldat tué lors de l’assaut du lieu où il se trouvait, comme si s’opposer par les armes à des envahisseurs constituait un acte terroriste.

Au cours des années, cinq des procureurs chargés d’obtenir la condamnation des prisonniers ont démissionné pour protester contre le déni de justice des procédures.

Bref, cette prison est le symbole de la faillite morale de l’administration républicaine de G.W. Bush; parmi une multitude de miliciens simplement hostiles aux États-Unis, elle renferme une quinzaine de terroristes contre lesquels dix ans de torture n’ont pas suffi à recueillir les preuves indiscutables de leur culpabilité.

Elle a compromis un grand nombre de gardiens, d’officiers, de professionnels de la santé, d’avocats et de dirigeants politiques américains qui partagent aujourd’hui la responsabilité des crimes de guerre qu’on y a commis.

Références :
Guantanamo Bay detention camp suicide attempts
Guantánamo: still a part of America’s conscience, a decade on
The Guantánamo “Suicides”: A Camp Delta sergeant blows the whistle

Laissez un commentaire »

| Politique internationale | Mots-clés : , , , | Permalink
Écrit par Jean-Pierre Martel