C. difficile : le silence des microbiologistes

13 novembre 2015
Affiches dans un hôpital, payées par l’industrie

Depuis 1975, les microbiologistes du Québec se sont regroupés dans une association qui milite, entre autres, pour la création d’un ordre professionnel régissant leur pratique.

Même s’ils ne ne sont pas encore légalement, les microbiologistes sont déjà, dans les faits, des professionnels de la santé.

Sans eux, certaines maladies infectieuses ne pourraient pas être diagnostiquées correctement. Le choix de l’antibiotique le plus approprié serait impossible sans eux.

Et pourtant, malgré ce rôle essentiel dans la dispensation des soins, les microbiologistes sont sous-estimés.

Dans l’attribution des locaux d’un nouvel hôpital, il ne viendrait à l’esprit de personne de placer le laboratoire de microbiologie au dernier étage, avec cette vue imprenable sur la ville. Au contraire, ce laboratoire est généralement aménagé au sous-sol, avec la buanderie et l’entretien ménager. Parce qu’il faut bien y mettre quelqu’un.

Et même si on sympathise avec ceux qui doivent manipuler les prélèvements de matières fécales et de sécrétions corporelles purulentes, on est conscient que tout cela n’a pas le ‘glamour’ du travail du chirurgien au milieu de son appareillage haut de gamme rutilant de propreté.

Si les microbiologistes sont à ce point sous-estimés, c’est en partie parce qu’ils ne prennent pas la place qui leur revient sur la place publique.

J’écoutais hier soir l’épisode intitulé « C. toujours difficile » de l’émission Enquête, de Radio-Canada.

Cette émission démontrait les graves lacunes des hôpitaux du Québec quant au lavage des mains. Presque à chaque fois où on parlait de lavage des mains, les images retenues pour illustrer à l’écran ce qu’on veut dire, étaient des images de personnes se badigeonnant les mains avec des gels alcoolisés.

Pour la grande majorité des médecins, des infirmières, des pharmaciens et des directeurs d’hôpitaux, se badigeonner les mains avec un gel alcoolisé, c’est une manière commode de sa laver les mains. Or il n’en est rien.

Sur les surfaces sèches et sur les mains, le C. difficile est présent sous forme de spores. Or les spores de bactéries peuvent vivre des années dans l’alcool.

L’alcool est donc totalement inefficace contre le C. difficile, contrairement au véritable lavage des mains (c’est-à-dire avec de l’eau et du savon). Toutes les études le prouvent. Tous les microbiologistes le savent. Et pourtant, ces derniers se taisent.

Comme c’est le cas pour tous les autres bacheliers universitaires, la très grande majorité des couts de la formation des microbiologistes est assumée par les contribuables. Ces détenteurs d’un baccalauréat en sciences ont donc une dette envers la population québécoise.

Ils sont témoins des mesures inefficaces que les autres professionnels de la santé appliquent (de bonne foi sans doute) dans leur combat contre le C. difficile.

Et pourtant, penchés sur leurs éprouvettes dans les entrailles de nos hôpitaux, les microbiologistes se contentent de leur modeste rôle d’exécutants, sans prendre la parole.

Les artisans de l’émission Enquête sont parmi les journalistes les plus respectés du Québec. Or, de toute évidence, on n’a pas cru bon demander à un microbiologiste quelle était l’efficacité des gels alcoolisés contre le C. difficile.

Parce qu’il ne vient pas à l’esprit de personne que les microbiologistes puissent avoir quelque chose d’intéressant à dire à ce sujet, comme sur n’importe quel sujet d’ailleurs.

Cette émission est une occasion unique pour les microbiologistes de prendre la parole et de combattre la réputation surfaite des gels alcoolisés.

Cette erreur d’appréciation est responsable annuellement de centaines de décès au Québec. Puissent les microbiologistes saisir cette occasion de se faire entendre…

Sur le même sujet :
C. difficile et les égalisateurs de crasse
La transplantation de flore intestinale contre l’infection grave à C. difficile
Le déclin de l’hygiène corporelle
Moins d’antibiotiques ou plus d’hygiène contre C. difficile ?
Visiter une personne hospitalisée sans attraper de diarrhée à Clostridium difficile

2 commentaires

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Écrit par Jean-Pierre Martel


Le déclin de l’hygiène corporelle

14 octobre 2011
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Le quotidien The Guardian révélait hier qu’en Grande Bretagne, la surface d’un téléphone portable sur six était contaminée par E.Coli, une bactérie normalement trouvée dans les matières fécales des êtres humains.

Ce sont les résultats d’une étude effectuée dans douze villes britanniques auprès de 390 utilisateurs de téléphones portables.

Pourtant, les personnes interrogées déclarent se laver les mains régulièrement. Mentent-elles ?

L’immense majorité de la population croit que se badigeonner les mains avec des gels alcoolisés est une manière de se laver les mains. Or les gels alcoolisés sont essentiellement des « égalisateurs de crasse » dont la réputation antibactérienne est surfaite; ils sont totalement inefficaces — précisons : zéro pour cent d’efficacité — contre les bactéries sporulées (dont le C. difficile) et contre les virus sans paroi lipidique (dont le virus de la grippe). Toutefois, ils sont très efficaces contre les bactéries généralement inoffensives de la peau.

Mais pourquoi la population croit-elle que se badigeonner les mains avec des gels alcoolisés équivaut à se laver les mains avec de l’eau et du savon (pardonnez le pléonasme) ? Elle le croit parce que c’est le message que lui répètent ad nauseam les fabricants de gel alcoolisés, et que ce message est relayé par les cliniques médicales, les pharmacies, les bureaux de dentistes, et même les hôpitaux (voir la photo ci-dessus, prise à l’Hôtel-Dieu de Montréal il y a deux jours).

Mais E. coli n’est pas une bactérie sporulée. Cette bactérie devrait être tuée par des gels alcoolisés. Pourquoi ne l’est-elle pas ?

En fait, elle l’est. Toutefois lorsqu’une personne saisit sa bouteille de gel, elle en contamine la surface. Elle se désinfecte les mains puis se les contamine de nouveau en refermant sa bouteille. Ce qui fait qu’entre l’efficacité théorique (déjà pas fameuse) des gels alcoolisés et leur efficacité réelle, il y a un gouffre.

En somme, on ne pourra jamais faire réaliser à la population l’importance de l’hygiène corporelle et notamment de la propreté des mains, tant et aussi longtemps que les professionnels de la santé eux-mêmes véhiculent le préjugé à l’effet que cela n’est pas vraiment nécessaire et qu’on peut obtenir le même résultat, de manière beaucoup plus commode, en se badigeonnant les mains avec des égalisateurs de crasse.

On peut donc s’attendre de retrouver des E. coli encore longtemps sur les téléphones portables de Grande Bretagne et d’ici.

Références :
C. difficile et les égalisateurs de crasse
Moins d’antibiotiques ou plus d’hygiène contre C. difficile ?
One in six mobile phones contain E coli

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Écrit par Jean-Pierre Martel