La clarté et l’opacité du ministre Dion

14 avril 2016

Stéphane Dion est l’actuel ministre des Affaires étrangères du Canada.

Sous un précédent gouvernement, alors qu’il était ministre responsable de l’Unité canadienne, M. Dion avait parrainé la Loi sur la clarté référendaire, qui exige que pour être valable, tout référendum sur l’indépendance du Québec doive être basé sur une question claire et non équivoque.

Dans sa nouvelle fonction de ministre des Affaires étrangères, M. Dion est responsable du dossier des ventes d’armes canadiennes à l’Arabie saoudite.

Rappelons qu’en 2014, la dictature soutienne a commandé neuf-cents véhicules blindés à la firme ontarienne General Dynamics, pour une valeur de 15 milliards$. Le matériel doit être produit et livré sur une période de quinze ans. C’est le plus important contrat de vente de matériel militaire canadien conclu en temps de paix.

« C’est juste des jeeps »

À l’émission Tout le monde en parle, le chef du Parti libéral avait minimisé l’importance de son engagement à respecter le contrat conclu par le gouvernement conservateur en qualifiant de jeeps les véhicules produits pour l’Arabie saoudite.

Mais s’agit-il vraiment de jeeps ?


 
Le Light Armoured Vehicle III (ou Véhicule blindé léger III) est le modèle le plus récent d’une série développée et produite au Canada par la General Dynamics.

C’est le principal véhicule d’infanterie mécanisée du Canada. L’armée de terre des États-Unis utilise une version légèrement moins armée et blindée, dérivée du VBL III, portant le nom de Stryker. Le VBL III et le Stryker entrent dans la catégorie des chars d’assaut.

Le concept de la Conviction responsable


 
Afin d’atténuer la controverse persistante au sujet de ce contrat militaire, le ministre s’est justifié le mois dernier en invoquant une nouvelle doctrine, dite de la Conviction responsable.

Cette doctrine un peu prétentieuse se résume à peu de chose; le Canada croit à l’importance de la Démocratie, mais modérément, sans exagération, et de manière variable pour les autres pays.

Ce pragmatisme accommodant est partagé par de nombreux pays qui ne se donnent pas la peine de présenter cela comme une doctrine.

« Si ce n’est pas nous, ce sera quelqu’un d’autre »

De tous les arguments invoqués par le ministre, c’est à la fois le plus logique… et malheureusement, le plus faible.

Aux yeux du ministre, la nature a horreur du vide; si le Canada refusait de vendre des chars d’assaut à la dictature saoudienne, de nombreux pays seraient heureux de prendre la relève.

En somme, c’est la justification du pusher de drogue.

En mars 2015, la Suède a décidé de ne pas renouveler son accord de coopération militaire signé avec l’Arabie saoudite en raison du bilan peu reluisant de ce pays en matière des droits de l’Homme.

En février 2016, le Parlement européen adoptait une résolution réclamant l’arrêt des ventes d’armes à l’Arabie saoudite.

Jusqu’ici, cette résolution a eu peu d’impact auprès des grands exportateurs européens d’armements.

Toutefois, elle exprime le schisme profond entre la politique extérieure complaisante de nombreux États à l’égard de l’Arabie saoudite et l’hostilité croissant des Occidentaux — des gens comme vous et moi — qui ont réalisé que l’idéologie haineuse propagée par la dictature saoudienne est la cause profonde des attentats terroristes en Occident.

Annuler ce contrat expose le Canada à des pénalités sévères

Le Canada doit respecter ses engagements. L’annulation du contrat entrainerait des amendes importantes pour le Canada, selon le ministre, qui a toutefois refusé de préciser quel serait le montant de cette pénalité financière.

Depuis des mois, le ministre répète que ce n’est pas vraiment de sa faute, qu’il s’agit d’un contrat conclu par l’ancien gouvernement conservateur et qu’on ne peut pas remettre en question la parole de l’État.

Mais on vient d’apprendre que c’est tout dernièrement — plus précisément le 8 avril 2016 — que le ministre Dion a finalement accordé les licences d’exportation concernant 70% du matériel militaire canadien visé par le contrat avec l’Arabie saoudite.

En Angleterre, le puissant quotidien The Guardian s’interroge; le ministre a-t-il menti à la population canadienne ? Comment a-t-il pu prétendre que l’affaire était déjà conclue alors que ce n’était pas le cas ?

The Liberals have refused to cancel the sale since coming to power in November, saying it was a “done deal” that could not be broken off without possibly incurring significant penalties and job losses.

But documents released this week by the justice department in response to a lawsuit seeking to block the deal showed foreign minister Stéphane Dion signed crucial export permits only last Friday.

Tout cela est bien mystérieux.

Selon les experts, le partenaire d’affaires de l’Arabie saoudite n’est pas General Dynamics, mais le gouvernement canadien.

C’est la diplomatie canadienne qui a négocié le contrat et c’est le Fédéral qui assure le financement de l’entente et qui protège General Dynamics d’une rupture unilatérale de contrat par l’Arabie saoudite. Le cas échéant, les contribuables canadiens paieraient les chars d’assaut refusés par l’Arabie saoudite (et qui seraient alors refilés à l’armée canadienne).

Conséquemment, l’autorisation récente du ministre Dion serait simplement une formalité prévue à l’entente.

Toutefois, l’irréversibilité du contrat, alors qu’aucun char n’a été encore produit par la General Dynamics, que personne n’a probablement été embauché à cet effet, ne tient qu’aux pénalités hypothétiques prévues par un contrat demeuré secret.

Mais la question qu’on peut se poser est la suvante : s’il est si facile pour l’Arabie saoudite de s’approvisionner ailleurs, pourquoi aurait-elle exigée des pénalités importantes en cas de rupture de contrat par le Canada ?

Jusqu’ici, les arguments du gouvernement canadien pour justifier ce contrat sont un tissu de mensonges. Quelles sont les clauses de ce contrat ? Prévoit-il des pénalités en cas de rupture par l’Arabie saoudite ou par le Canada ? Si oui, lesquelles ?

Par ailleurs, le début de l’implication militaire du Canada en Syrie coïncide avec la signature de ce contrat. S’agit-il d’une coïncidence ou est-ce là une exigence contractuelle ?

Et puisque l’intervention militaire canadienne est couteuse, doit-on la prendre en considération dans l’analyse des retombées économiques du contrat militaire saoudien ?

Toutes ces questions sont légitimes et rendent souhaitable la divulgation de ce contrat demeuré secret jusqu’ici.

Aux yeux de l’opinion publique, il semble incohérent que l’apôtre de la clarté référendaire soit devenu l’apôtre du secret quand il s’agit d’armer une dictature qualifiée de plaque tournante du finalement du terrorisme international par les dépêches diplomatiques américaines révélées par WikiLeaks.

Si le ministre n’a pas l’intention de rendre public ce contrat, il aurait intérêt à cesser de se justifier en invoquant des clauses secrètes, voire inexistantes, de ce contrat controversé.

Références :
Contrat avec Riyad: au nom de la «conviction responsable», justifie Dion
La Suède met fin à sa coopération militaire avec l’Arabie saoudite au nom des droits de l’homme
Le ministre Dion défend sa décision d’approuver la vente de blindés à l’Arabie saoudite
Le Parlement européen réclame un embargo sur les ventes d’armes à l’Arabie saoudite
Les jeeps de Justin
Loi sur la clarté référendaire
Stéphane Dion
The Saudi arms deal: What we’ve learned so far, and what could happen next
Trudeau ne stopperait pas la vente de «Jeeps» à l’Arabie saoudite
VBL III

Parus depuis :
Le Canada a vendu pour 850 millions $ d’armes à des régimes répressifs (2016-04-21)
L’Arabie saoudite en retard dans ses paiements pour des véhicules blindés canadiens (2019-10-30)

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Écrit par Jean-Pierre Martel


Métro : les statistiques ne doivent pas nous aveugler

27 octobre 2011
Métro de Vienne

En comparaison avec la même période en 2006, les voitures de métro de Montréal ont parcouru cette année 29 % plus de kilomètres (en partie grâce à l’extension du métro vers Laval), alors que les autobus auront parcouru une distance 22% plus grande. Puisque l’achalandage n’a augmenté que de 12 % au cours de cette période, cela devrait représenter une diminution de l’encombrement des quais. Or cela n’est pas ce que je constate.

J’ai eu l’occasion de prendre le métro à Paris en 2003 et 2004, celui de Berlin en 2005, celui de Bruxelles en 2006, celui de Barcelone en 2007, celui de Prague en 2008, celui de Shanghai en 2010 et celui de Vienne en 2011, et j’ai rarement vu un métro aussi bondé aux heures de pointe que celui de Montréal, particulièrement à la station Berri-UQAM. La solution est pourtant simple : doubler la fréquence des trains lorsque nécessaire.

Sur les quais du métro de Vienne (ci-dessus), les gens qui attendent le train sont encouragés à se tenir loin de la rame alors que ceux qui se déplacent, le font le long des quais. Cela est plutôt respecté : évidemment les gens s’approchent à l’arrivée des trains. On pourrait faire pareil à Montréal sauf qu’il sera très difficile de créer chez nous une telle habitude si régulièrement cela est impossible aux heures de pointe.

Le métro de Montréal a été conçu il y a un demi-siècle, à l’époque où les Québécois étaient moins nombreux, moins gros et transportaient des objets moins encombrants (sacs à dos et sacoches).

Or une bonne partie des changements apportés depuis les années’60 ont eu pour effet de le rendre moins efficace. Les escaliers mobiles ont maintenant deux vitesses : lente ou presqu’arrêtée. Je n’ai rien contre l’économie d’énergie mais le but du métro est de transporter les gens et non d’économiser.

Au contraire, à Prague, les stations les plus importantes sont dotées d’escaliers mobiles nettement plus rapides qu’ici. De plus, je n’y ai pas vu un seul escalier en réparation en trois semaines, alors qu’à Montréal, à la station Pie-IX, l’escalier mobile de la sortie ouest est en panne plusieurs semaines par année et ce, depuis au moins dix ans.

À l’occasion du Festival des feux d’artifices de Montréal, les gens doivent attendre jusqu’à une demi-heure avant de pouvoir prendre le métro à la station Papineau. Cela dure depuis des années, au point que tout le monde trouve cela normal. Pas moi. En cas de guerre ou de cataclysme, le transport en commun réquisitionné doit être capable de faire face à une demande subite pour des raisons stratégiques. Or si cela devait arriver, le métro de Montréal croulerait sous la demande et contribuerait au désordre et à la confusion générale.

Afin de protéger les usagers, une rampe sépare dorénavant en deux tous escaliers du métro. Le résultat est qu’il suffit d’une seule personne obèse portant une sacoche en bandoulière pour empêcher tout le monde derrière elle de la dépasser.

Depuis que des âmes bien intentionnées ont cru bon clôturer les cotés du pont Jacques-Cartier afin d’empêcher les suicides, ceux-ci surviennent dans le métro. Je ne compte plus le nombre de fois par année où j’entends « un incident sur la voie nous oblige à interrompe le service sur la ligne verte (ou orange) ».

Métro de Shanghai

À Shanghai et à Zurich, les usagers ne peuvent tomber sur les voies puisqu’elles sont protégées par des murs transparents dont les portes s’ouvrent à l’arrêt des trains. Si on n’a pas les budgets pour ajouter de tels murs, qu’on cesse donc d’emprisonner deux millions de Montréalais parce qu’une poignée de suicidaires veulent mettre fin à leurs jours en se jetant du pont.

Le métro doit être fiable. Si on veut que les gens prennent le métro plutôt que la voiture, il va falloir que la ponctualité devienne une priorité à la STM. Malheureusement, cela n’est pas le cas. Combien de dizaines millions de retards au travail sont causés annuellement par les pannes du métro ? Ces pannes impliquent combien d’usagers et ces retards représentent combien de millions d’heures de travail perdues ? Personne ne se sait. Pourquoi donc ? Parce que les dirigeants de la STM n’ont pas cru bon se doter d’outils informatiques qui leur permettent de quantifier précisément dans quelle mesure ils s’acquittent de leur mandat (qui est de transporter les gens).

Les seules statistiques dont ils disposent sont celles, vagues, qu’ils ont divulguées hier, et qui donnent du transport en commun une vue totalement fausse par rapport avec la réalité vécue par les usagers. Toutefois la majorité de ces derniers en sont satisfaits, faute de mieux…

Référence :
La STM file vers un record d’achalandage

Détails techniques : Panasonic GH1, objectif Lumix 14-45mm
1re photo : 1/15 sec. — F/4,8 — ISO 400 — 24 mm
2e photo  : 1/30 sec. — F/3,5 — ISO 125 — 14 mm


Annexe : On trouvera ci-après un extrait d’une lettre des lecteurs parue le 2 novembre 2011 dans l’édition montréalaise du quotidien Métro. Ce point de vue, intitulé Plus cher et des services déficients! complète mon propos.

Déplacement des poubelles et bacs de recyclage dans le métro. Wow! Bravo! C’est com­plètement absurde de les déplacer à l’entrée du métro. On ne paye pas assez cher pour avoir accès à des poubelles sur le quai ? On avait la vie trop facile, il fallait faire quelque chose pour nous faire encore plus suer ?

C’est désagréable de « traîner » sa pomme dans la main pendant huit stations, de monter les marches et passer le tourniquet en ayant toujours la maudite pomme dans les mains… Qu’est-ce qui se produira selon vous ? Les gens jetteront leurs ordu­res par terre ! (…)

Karina C., Montréal

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Écrit par Jean-Pierre Martel