La nouvelle Théorie des dominos

28 mars 2024

Introduction

En 1954, à l’occasion d’une conférence de presse, le président américain Eisenhower justifiait la nécessité pour les États-Unis de guerroyer au Vietnam par la crainte d’un effet domino, c’est-à-dire d’une contagion du communisme dans tout le Sud-Est asiatique si le Vietnam en venait à tomber entre les mains du Vietcong.

Effectivement, en 1975, l’année de la défaite américaine au Vietnam, les Khmers rouges (communistes) prirent le pouvoir dans le pays voisin, le Cambodge. Ce qui tendait à prouver la validité de cette théorie.

Toutefois, cette contagion n’alla pas au-delà.

À plusieurs reprises, cette théorie fut invoquée par différentes administrations américaines pour justifier leurs interventions dans le monde.

Depuis l’effondrement du Rideau de fer en 1989, c’est, au contraire, le capitalisme qui s’est répandu. Au point que, de nos jours, les seuls pays communistes sont la Chine, la Corée du Nord, Cuba, le Vietnam et la Russie, de même que quelques anciennes républiques soviétiques du Caucase et d’Asie centrale.

Implicitement, la Théorie des dominos refait surface ces temps-ci alors qu’on affirme que la sécurité européenne serait compromise si la Russie devait gagner la guerre en Ukraine.

Les cassandres de la Troisième Guerre mondiale

De tous les chefs d’État européens, c’est l’ex-premier ministre polonais qui fut le plus ardent défenseur de la nouvelle Théorie des dominos.

Son argumentation était très simple. Un grand écrivain polonais avait prédit que la Russie envahirait l’Ukraine. Il prédit maintenant que la Russie ne s’arrêtera pas là. Or s’il avait raison dans sa première prédiction, il ne peut qu’avoir raison quant à la deuxième.

Peut-être ai-je mal compris son argumentaire. Mais si c’est effectivement ce qu’il disait, sa démonstration est un peu simpliste.

Plus étoffées furent les raisons invoquées par le président français lors d’une entrevue accordée il y a deux semaines à la télévision de son pays.

Une guerre existentielle pour l’Europe

Puisque le continent européen existe depuis des millions d’années, cette affirmation n’a du sens que si ‘Europe’ veut dire l’Union européenne.

L’Europe ainsi définie a survécu aux guerres de la Russie en Tchétchénie et en Géorgie, et a également survécu à la guerre de l’URSS en Afghanistan.

Il aurait été utile qu’on nous précise pourquoi il en serait autrement en Ukraine.

La crédibilité de l’Europe serait réduite à zéro

La défaite probable de l’Ukraine serait, effectivement, une humiliation pour la réputation d’invincibilité des forces occidentales.

Mais l’Europe s’en remettra comme les États-Unis s’en sont remis après avoir perdu au Vietnam, en Syrie et en Afghanistan.

La vie des Français changerait

De toute évidence, l’engagement volontaire des pays de l’Otan de dépenser au moins deux pour cent de leur PIB en armement ne suffit pas. Pour gagner une Troisième Guerre mondiale, il leur faudrait dépenser bien davantage.

En 2023, le PIB de la France était de 2 763 milliards d’euros. Faire passer, par exemple, les dépenses militaires de 2 % à 4 ou à 6 % du PIB, c’est y consacrer entre 55 et 83 milliards d’euros de plus, annuellement.

Or la réforme des retraites ne rapportera qu’environ vingt-milliards d’euros pour l’État français. À cela s’ajoutent les économies de dix-milliards d’euros annoncées en juin dernier en coupant dans les domaines de la santé, des aides au logement et à l’emploi, de même que la fin progressive des avantages fiscaux pour les énergies fossiles.

On est encore loin du compte.

Ce qui changera la vie des Français, ce n’est pas la défaite de l’Ukraine. C’est plutôt l’affaiblissement du filet de protection sociale nécessité par l’accroissement important des dépenses militaires.

La paix, ce n’est pas capitulation de l’Ukraine

Vraiment ? Comment Emmanuel Macron voit-il la fin des hostilités, si ce n’est pas la capitulation du plus faible au plus fort ?

Le recours aux emprunts pour financer l’aide à l’Ukraine

Puisque l’Ukraine ne peut pas gagner la guerre et que la Russie ne doit pas la gagner, que veut le président de la République française ?

Quel est son objectif ?

Désire-t-il que les contribuables français financent cette guerre pour l’éternité ? À quel moment dit-on que cela suffit ?

Conclusion

À l’heure actuelle, l’État ukrainien est en faillite. Sans le financement occidental, Kyiv serait incapable de payer les fonctionnaires, les soldats, les enseignants, les travailleurs de la Santé, etc.

Jusqu’ici, Washington a principalement payé la note. Mais une proportion croissante de l’électorat américain veut que leur pays se désengage de cette guerre dont il ne voit pas d’issue heureuse.

Or ça tombe bien; Emmanuel Macron, Ursula von der Leyen et d’autres dirigeants du Vieux Continent jugent important de prendre la relève.

D’où l’idée, croissante aux États-Unis, de leur refiler la patate chaude.

Emmanuel Macron peut bien soutenir la nouvelle Théorie des dominos. Mais, comme nous l’avons dit plus tôt, celle-ci ne s’est pas vérifiée après la victoire de la Russie en Tchétchénie et en Géorgie. Alors sur quoi se base-t-il pour présumer qu’une victoire en l’Ukraine ferait toute la différence…

Si le passé est garant du futur, il y a lieu d’être rassuré.

Ceci étant dit, nous dirigeons-nous vers une Troisième Guerre Mondiale ? C’est possible. Mais celle-ci n’aura lieu que si les va-t-en-guerre comme Macron font tout pour que cela arrive.

Il serait opportun que le président de la République française agisse conformément à la dignité de ses fonctions, plutôt que de se comporter comme un boxeur de fond de ruelle.

S’il est vrai que notre consommation effrénée est une menace à long terme quant à la survie de notre espèce, le danger d’une guerre thermonucléaire déclenchée par l’irresponsabilité de nos chefs d’État est une menace beaucoup plus immédiate…

Références :
Aide à l’Ukraine : la ligne de crête d’Emmanuel Macron
Interview d’Emmanuel Macron : « Nous n’aurons plus de sécurité » en Europe si la Russie « venait à gagner » en Ukraine
Khmers rouges
Le gouvernement veut faire 10 milliards d’euros d’économies
Réforme des retraites : combien va-t-elle rapporter, combien va-t-elle coûter ?
Théorie des dominos

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Écrit par Jean-Pierre Martel


Gaza : les mots qui comptent

22 mars 2024

Au cours des semaines qui ont suivi l’attaque du Hamas et la réplique israélienne, le Canada s’est opposé à la fois à une trêve et à un cessez-le-feu dans la bande de Gaza.

Puis en décembre 2023, Ottawa a semblé faire volteface en se déclarant favorable à un cessez-le-feu durable.

L’adjectif durable était important puisque le cessez-le-feu dont parlait Ottawa concernait un arrêt des hostilités au cours duquel le Hamas aurait déposé les armes et libéré tous ses otages et ses prisonniers israéliens.

En réalité, ce qu’Ottawa appelait ‘cessez-le-feu durable’, c’était la capitulation du Hamas; un belligérant qui dépose les armes et libère ses otages est un belligérant qui capitule.

Depuis ce temps à l’Onu, les États-Unis n’ont cessé de bloquer les résolutions présentées par d’autres pays ou de proposer des amendements dont le but était de modifier implicitement le Droit international dans le but de faire reconnaitre à Israël un droit de se défendre.

Dans le langage courant, le ‘droit de se défendre’ est le droit légitime de répliquer contre n’importe quelle agression.

Toutefois, dans le contexte d’une guerre coloniale, le colonisé — ici, le peuple palestinien — a non seulement le droit de se défendre, mais également celui d’attaquer par les armes son colonisateur… du moment où il le fait en respectant le Droit de la guerre.

En pareil cas, le colonisateur ne possède pas, légalement, le droit de répliquer. Sinon, le Droit international reconnaitrait le droit de réprimer ceux qui s’opposent à leur dépossession et conséquemment, cautionnerait le droit de coloniser.

Voilà pourquoi toutes les initiatives américaines à l’Onu ont échoué jusqu’ici.

Ce matin, les États-Unis ont présenté au Conseil de sécurité de l’Onu un projet de résolution exigeant un cessez-le-feu immédiat dans la bande de Gaza. Cette résolution aurait été adoptée à 11 contre 3 (et une abstention) n’eût été les vétos de la Chine et de la Russie.

Pourquoi ces deux pays s’y sont-ils opposés ?

Ce projet de résolution comportait deux exigences.

La première concernait le Hamas. Celui-ci devait libérer tous ses otages israéliens. Précisons qu’en vertu du Droit international, seuls les civils peuvent être considérés comme des otages; les soldats ennemis sont des prisonniers de guerre (et non des otages).

La deuxième exigence s’adressait au Hamas et à Israël. Les deux étaient sommés d’entamer une négociation en vue d’un cessez-le-feu sans, toutefois, d’obligation de réussite.

Cette dernière est facile à respecter puisque, jusqu’ici, les deux parties ont procédé à d’innombrables séances officieuses de négociation, notamment grâce aux efforts diplomatiques des Émirats arabes unis.

Par contre, la première exigence des États-Unis transformait leur résolution en marché de dupe. Si le Hamas ne la respectait pas, il se retrouvait en violation du Droit international. Par contre, s’il la respectait, il perdait tout pouvoir de négociation avec Israël lors de négociations que ce dernier avait toute la latitude de faire échouer.

Références :
Cessez-le-feu dans la bande de Gaza : la Russie et la Chine mettent leur veto au projet de résolution des Etats-Unis
Droit international et géopolitique (deuxième partie)
Guerre Israël-Hamas : pourquoi Ottawa refuse-t-il de demander un cessez-le-feu?
Immédiat ou durable? Les subtilités du «cessez-le-feu» demandé par le Canada
What did the US’s vetoed Gaza ceasefire resolution say?

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Écrit par Jean-Pierre Martel


Lorsqu’on ne croit pas ce qu’on dit

16 mars 2024
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Plus tôt cette semaine, le président de la République française accordait une entrevue télévisée au cours de laquelle il défendait l’appui de son gouvernement à l’Ukraine dans le conflit qui l’oppose à la Russie.

Dans le résumé qu’en a fait le quotidien Le Monde, on voit Emmanuel Macron osciller constamment la tête à droite et à gauche, se toucher le nez, fuir du regard la ou le journaliste auquel il répond, et cligner des yeux (ou les baisser) quand il devrait paraitre le plus déterminé.

Comme d’autres dirigeants européens, le président français y soutient la nouvelle Théorie des dominos, une thèse selon laquelle si l’Ukraine tombe, le reste de l’Europe tombera bientôt entre les mains de la Russie.

Nous aurons l’occasion d’analyser cette thèse plus en détail dans les jours qui viennent. Pour l’instant, soulignons que si Emmanuel Macron voulait galvaniser les Français à se préparer à la guerre, c’est raté; exprimant le doute, son langage corporel est l’antithèse de ce qu’il affirme.

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Écrit par Jean-Pierre Martel


Ukraine et Russie : l’échec cuisant de Victoria Nuland

11 mars 2024

Introduction

Aux États-Unis, le secrétariat d’État est l’équivalent chez nous du ministère des Affaires étrangères.

Jusqu’à la semaine dernière, Victoria Nuland y était la troisième personne en ordre d’importance.

Depuis vingt ans, elle fut l’éminence grise de six présidents consécutifs au sujet des relations américaines avec la Russie. Sauf au cours du mandat de Donald Trump

Le changement de régime en Russie

Impitoyable pour ses ennemis politiques — comme le sont tous les dirigeants autoritaires — Vladimir Poutine est froid, calculateur, et probablement le chef d’État le plus compétent parmi ceux actuellement au pouvoir à travers le monde.

En 2000, Vladimir Poutine a hérité d’un pays devenu l’ombre de lui-même. Un quart de siècle plus tard, sous sa gouverne, la Russie a connu un spectaculaire redressement économique et dernièrement, une adaptation tout aussi surprenante aux sanctions occidentales.

Pour Victoria Nuland, l’hégémonie américaine ne peut tolérer quelqu’un comme lui. Malheureusement pour elle, les États-Unis ont raté une belle occasion.

Au lendemain de l’effondrement du régime communiste, la Russie était à genoux. L’espérance de vie y avait chuté d’un an en raison de la misère qui y régnait (notamment chez les retraités) et de l’augmentation de l’alcoolisme. Concrètement, cette diminution de l’espérance de vie, ce sont des millions de Russes qui sont morts prématurément dans l’indigence.

Au début de son régime, alors que l’URSS s’était disloquée une décennie plus tôt, Vladimir Poutine espérait que la Russie serait admise au sein de l’Otan et participerait ainsi au maintien de l’ordre mondial.

L’Otan a conclu un certain nombre de partenariats avec les pays de l’Europe de l’Est (y compris la Russie), mais a fait passer les autres avant elle. Si bien que la Russie, bernée par l’Otan, s’est retrouvée entourée d’ennemis militaires.

Cela s’est produit avant que Victoria Nuland acquière l’influence qu’elle avait jusqu’à la semaine dernière.

La tâche qu’elle s’est donnée a été de travailler au renversement du régime de Poutine.

Sous son influence, les États-Unis ont mis tous leurs œufs dans le panier d’Alexeï Navalny. Ce dernier fut un leadeur charismatique d’une grande intelligence.

Grandement exagérée par nos médias, sa popularité était limitée aux adolescents (qui ne votent pas) et aux jeunes adultes branchés sur les médias sociaux.

Dans l’ensemble de la population russe, sa popularité n’a jamais dépassé cinq pour cent des intentions de vote. Pourquoi ? Parce les Russes ne sont pas stupides.

Les États-Unis n’ont jamais caché leur préférence pour Navalny. Or quel peuple voterait pour le candidat chouchou de ses ennemis militaires ? Aux yeux des Russes, Navalny était le cheval de Troie de l’Occident.

Actuellement, la principale opposition politique à Vladimir Poutine, c’est le Parti communiste (à environ vingt pour cent des intentions de vote).

Quant aux sanctions économiques draconiennes décidées contre la Russie, leur but était, dans l’esprit de Nuland, de provoquer l’effondrement de l’économie russe et de manipuler les Russes afin qu’ils se soulèvent contre Poutine.

Ce n’est pas vraiment ce qui est arrivé.

Au contraire, en saisissant les avoirs des oligarques russes à l’Étranger, les pays occidentaux ont interrompu la fuite des capitaux hors de Russie. Dorénavant, le seul endroit au monde où ils peuvent faire fructifier leur fortune, c’est en investissant dans l’économie russe. Et pour ce faire, ils doivent dorénavant baiser les mains de Poutine.

Le changement de régime en Ukraine

C’est en 2004 que les États-Unis commencèrent à se mêler directement des affaires intérieures de l’Ukraine. Lors de la campagne électorale présidentielle de cette année-là, les États-Unis dépensèrent 65 millions de dollars pour soutenir le candidat pro-occidental.

À l’élection présidentielle de 2010, c’est le candidat pro-russe qui fut élu pour cinq ans. Au grand déplaisir de Washington. En plus, à l’élection législative de 2012, son parti fit élire suffisamment de députés pour former un gouvernement minoritaire.

Toutefois, en novembre 2013, les dirigeants ukrainiens annonçaient leur décision de renoncer à une association économique avec l’Union européenne au profit d’une autre, plus avantageuse, avec la Russie.

Cette décision provoqua des manifestations violentes sur la place de l’Indépendance de Kyiv qui durèrent jusqu’en février.

Profitant de ce climat insurrectionnel, Victoria Nuland conçut un plan qui visait non seulement à renverser le président au pouvoir, élu démocratiquement, mais à provoquer un changement de régime.

Pour ce faire, il fallait un évènement si odieux que les Ukrainiens se révolteraient contre les responsables présumés, c’est-à-dire à la fois le président pro-russe et son gouvernement. À cette fin, quoi de mieux qu’un massacre.

Précédemment, en raison des violences sur la place de l’Indépendance, les autorités avaient déjà tenté, en vain, d’y interdire les manifestations. Puis ils avaient essayé de déloger les protestataires par la force.

Le massacre du 20 février changea la donne. Il fit 49 tués (et 157 blessés) chez les manifestants, et 4 tués (et 39 blessés) parmi les forces de l’ordre. À juste tire, il souleva l’indignation de l’ensemble de la population ukrainienne.

Washington n’a même pas eu le besoin de demander à ses ONG de répandre la rumeur selon laquelle c’était la faute du président autoritaire pro-russe. Pour tout le monde, le responsable ne pouvait être que lui.

Et ce qui devait arriver arriva. Peu après, le président s’enfuit à l’Étranger et un peu plus tard, le parlement déclencha des élections anticipées à l’issue desquelles les partis pro-occidentaux prirent le pouvoir.

Victoria Nuland était si certaine de son coup que deux semaines avant le massacre, elle faisait savoir à l’ambassadeur américain à Kyiv les exigences de Washington quant à la composition du prochain gouvernement ukrainien.

Effectivement, plusieurs dirigeants pro-nazis (compromis secrètement dans le massacre) héritèrent de postes ministériels clés.

Mais Nuland connaissait suffisamment l’Ukraine pour savoir que si ceux-ci sont pro-occidentaux, ils sont surtout hypernationalistes. Donc, pas aussi serviles qu’on pourrait le penser.

Ce qui était primordial pour Washington, c’est que la personne nommée au poste de ministre de l’Économie soit vouée aux intérêts américains. Pour ce faire, Victoria Nuland exigea que ce soit Natalie Jaresko, cheffe de la section économique de l’ambassade des États-Unis en Ukraine.

Celle-ci obtint la citoyenneté ukrainienne d’urgence le 2 décembre 2014, le jour de sa nomination comme ministre de l’Économie. On aimerait que le ministère canadien de l’Immigration soit aussi efficace…

Mais elle ne demeura à ce poste que deux ans.

Sous le prétexte de favoriser la modernisation du secteur agricole par le biais d’investissements étrangers, son ministère fit adopter une loi qui libéralisait la vente des terres ukrainiennes, les plus fertiles d’Europe.

De 2014 à aujourd’hui, la moitié du territoire ukrainien — à l’exclusion donc des villes et du territoire occupé par la Russie — est devenue la propriété de spéculateurs américains.

La guerre russo-ukrainienne a donc été une occasion pour les États-Unis de spolier l’Ukraine.

Quand la poussière de cette guerre retombera, les Ukrainiens réaliseront à quel point les États-Unis se sont moqués d’eux.

La vulnérabilité militaire de l’Occident

Pour les États-Unis, le conflit russo-ukrainien est devenu un gouffre financier sans fin.

Cette guerre a fait fondre leurs réserves d’armement. Il a révélé qu’une guerre de haute intensité nécessitait des quantités colossales de munitions. Beaucoup plus qu’on pensait.

Si bien que le niveau estimé des réserves stratégiques est non seulement trop bas, mais en soutenant l’Ukraine comme ils l’ont fait, les États-Unis se sont mis dans un état de vulnérabilité dont la première responsabilité incombe à Victoria Nuland, aveuglée par son anticommunisme.

De plus, l’idée de rapprocher les missiles nucléaires américains pointés contre la Russie en les déplaçant de la Roumanie à l’Ukraine est moins utile qu’avant puisque cette guerre a provoqué un basculement géostratégique que personne (y compris moi-même) n’avait anticipé; la perte de la neutralité militaire de la Finlande.

Que les États-Unis déplacent leurs missiles en Ukraine ou en Finlande, c’est pareil. Donc l’Ukraine, à bout de souffle, ne leur sert plus à grand-chose.

Plus grave encore, avant cette guerre, on savait déjà que toute guerre était ruineuse. Mais on découvre maintenant à quel point.

Du coup, les investissements auxquels les pays membres de l’Otan se sont engagés volontairement en 2014 — deux pour cent du PIB — apparait dix ans plus tard largement insuffisants pour faire face à une Troisième Guerre mondiale.

En investissant beaucoup plus, les pays occidentaux — déjà très endettés — seront incapables de faire face à leurs obligations courantes et de s’adapter aux changements climatiques… à moins de piller l’argent caché dans les paradis fiscaux.

Dans la majorité des pays, cela nécessiterait des changements constitutionnels afin que le droit fiscal ne soit plus couvert par le secret professionnel. Des changements auxquels toute la profession juridique s’opposera.

Bref, en raison de la délocalisation de leur secteur manufacturier vers le Sud global, les pays occidentaux n’ont plus la capacité industrielle de soutenir un effort de guerre de grande envergure.

De plus, en militarisant l’accès au dollar américain, les États-Unis ont retiré à leur devise son statut de pilier sécuritaire des réserves de change. Pour beaucoup de pays du Sud global, il est dorénavant imprudent de compter aveuglément sur cette devise.

Voilà pourquoi le yuan chinois est devenu la deuxième devise utilisée pour les transactions financières, encore loin derrière le dollar, passant de 1,89 % en janvier 2012 à 8,66 % en octobre 2023.

Ceci étant dit, faisons le bilan.

Conclusion

Navalny est mort. Poutine est plus fort que jamais. Les sanctions occidentales ont jeté la Russie dans les bras de la Chine. En renonçant à l’avantage concurrentiel que leur donnait l’approvisionnement en hydrocarbures russes, l’industrie lourde européenne est en crise.

Tout cela, c’est l’effondrement de la politique que poursuivait depuis vingt ans Victoria Nuland. Sa démission ne sonne pas vraiment le glas de l’hégémonie américaine; l’économie américaine progresse, mais aux dépens d’alliés dont elle aurait besoin en cas de conflit armé avec la Chine.

Consciente de ce fiasco, à l’approche d’un retour possible de Donald Trump à la Maison-Blanche, Victoria Nuland a préféré quitter le Titanic.

À l’heure où le PIB des BRICS dépasse maintenant celui des pays du G7, les États-Unis devront partager avec la Russie et la Chine la responsabilité de maintenir l’ordre mondial.

À défaut de quoi, celui-ci s’effondrera.

Références :
Le yuan, deuxième devise pour les transactions financières
Natalie Jaresko
Ukraine : l’histoire secrète de la révolution de Maïdan
Victoria Nuland

Compléments de lecture : L’engrenage ukrainien

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Écrit par Jean-Pierre Martel


Des Gravol™ pour Amira Elghawaby

10 mars 2024


Avant-propos : Le texte qui suit décrit des scènes qui pourraient heurter la sensibilité de certains lecteurs.

À l’époque où elle n’était que militante, Amira Elghawaby avait déclaré qu’entendre dire que les francoQuébécois étaient un peuple opprimé, cette idée provoquait en elle une telle révulsion que cela lui donnait envie de vomir.

Depuis ce temps, Ottawa l’a nommée représentante spéciale du Canada dans la lutte contre l’islamophobie, un poste créé spécialement pour elle.

Au cours des dernières semaines, des dizaines de milliers de civils musulmans sont tués dans la bande de Gaza grâce à la complicité d’Ottawa.

L’Aviation royale canadienne a aidé Israël à rapatrier ses soldats de l’Étranger et le Canada lui vend des armes. Notre pays a même voulu couper les vivres à l’UNRWA, une mauvaise décision sur laquelle il est revenu récemment après le tollé que cela a provoqué.

Des dizaines de milliers de civils gazaouis (donc musulmans) sont morts. Encore plus ont été blessés.

De retour d’un hôpital où il œuvrait dans la bande de Gaza, un médecin français racontait que, dans son établissement, entre 6 et 30 césariennes sont pratiquées quotidiennement à froid.

Cela signifie que dans chacun de ces cas, le médecin ouvre l’abdomen de sa patiente et lui coupe l’utérus au bistouri, en extrait le bébé dont il coupe le cordon ombilical, puis recoud sa patiente pendant que celle-ci — si elle ne s’est pas évanouie — crie de douleur.

Puisque les Gazaouis disposent en moyenne de 1½ à 2 litres d’eau par jour, on s’en sert exclusivement pour boire et pour manger. Conséquemment, on ne se lave pas.

Voilà pourquoi beaucoup de blessures s’infectent et se gangrènent.

Jusqu’ici, plus de dix-mille enfants ont été amputés à froid.

Concrètement, cela signifie qu’on met un torchon dans la bouche de l’enfant. Et pendant que des adultes l’empêchent de bouger, le chirurgien lui scie le genou, le coude ou l’épaule afin d’empêcher l’infection de se disséminer dans tout le corps du bambin.

Dernièrement, alors que certains pays occidentaux larguaient par avion des caisses de vivres au-dessus de la bande de Gaza, l’armée israélienne en a profité pour mitrailler et tuer 118 affamés (en plus d’en blesser 760 autres) parmi ceux qui se précipitaient sur la nourriture. Un incident qu’on a appelé le Massacre de la farine.

Comme nous tous, Mme Elghawaby assiste quotidiennement au premier génocide télévisé de l’histoire de l’Humanité.

On aurait pu s’attendre à ce que Mme Elghawaby démissionne pour se dissocier des conséquences, pour les civils musulmans, de l’appui inconditionnel de son gouvernement à l’égard d’Israël ou, au moins, qu’elle exprime publiquement ma dissidence à ce sujet.

Pourtant, on ne l’entend pas.

Est-elle victime d’un bâillon imposé par Ottawa ? C’est possible.

Mais on peut également supposer que ce qui l’empêche de prendre la parole publiquement, ce sont ses vomissements répétitifs, elle si sujette aux nausées…

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Écrit par Jean-Pierre Martel


La politique étrangère woke du Canada ou l’art de se peinturer dans le coin

6 mars 2024

Introduction

Québécois d’origine, Jean-François Caron est professeur de sciences politiques à l’université Nazarbayev du Kazakhstan.

Le 9 février dernier, il recevait l’invitation à se présenter à la séance du 14 février du Comité permanent des Affaires étrangères et du Développement économique de la Chambre des communes d’Ottawa.

Deux heures avant d’être entendu, M. Caron apprend de la greffière du comité que son nom a été retiré de la liste des personnes appelées à témoigner.

Pourquoi ?

C’est qu’une autre invitée, Stephanie Carvin — professeure de relations internationales à l’École des Affaires internationales Norman Paterson de l’université Carleton d’Ottawa — menaçait de ne pas se présenter si M. Caron n’était pas ‘désinvité’.

En principe, c’est le comité qui dresse la liste des personnes qu’il désire entendre. Si l’une d’elles déclare “C’est lui ou c’est moi”, le comité n’a pas à choisir entre les deux; il maintient ses invitations. Et si une personne décide de ne pas apparaitre, c’est son choix.

Mais le président libéral du comité en a décidé autrement.

Ce que M. Caron avait à dire

On trouvera sur le site de Libre-Média, le résumé de l’exposé que M. Caron s’apprêtait à présenter.

Dans l’entrevue qu’il a accordée à Stéphane Bureau, le professeur Caron précise ce qu’il aurait probablement ajouté en réponse aux questions.

Sa thèse est simple.

En 1995, le gouvernement de Jean Chrétien a présenté les piliers de la politique étrangère du Canada. Cette politique s’articule autour de trois axes :
• favoriser la prospérité au Canada par le biais du commerce et des échanges,
• contribuer à l’ordre international, et
• promouvoir les valeurs canadiennes.

Selon le professeur Caron, le troisième axe est devenu trop prédominant.

Le moralisme parfois bienvenu du Canada

À l’époque où l’apartheid était en vigueur en Afrique du Sud, c’est à l’initiative du Canada que ce pays a été expulsé du Commonwealth.

C’est également grâce au premier ministre Brian Mulroney que les membres de l’Onu ont décidé de ne plus vendre d’armemment à ce pays. Un boycottage respecté par tous les pays sauf Israël.

De la même manière, les pays où l’excision était pratiquée ont été menacés d’être privés de l’aide du Canada s’ils ne réprimaient pas cette pratique au sein de leur population.

Par contre, les ‘valeurs canadiennes’ des gouvernements libéraux ne sont pas identiques à celles des gouvernements conservateurs. C’est ainsi que ces derniers ont retiré en Afrique le financement des ONG pro-choix au profit des ONG pro-vie. Un financement rétabli lorsque les Conservateurs ont perdu le pouvoir.

Le colonialisme moral du Canada

Le problème du Canada, c’est qu’il tient un discours moralisateur et menaçant qui est perçu dans les pays du Sud global comme une tentative de présenter leurs mœurs et leur culture traditionnelle comme arriérées.

Le Canada ne peut pas espérer se faire des amis en les insultant. Voilà pourquoi la diplomatie canadienne est dans un état pitoyable.

Malgré les progrès accomplis, les pays africains et asiatiques sont encore des pays à la fois misogynes, et répressifs à l’égard des minorités sexuelles.

Dans les pétromonarchies, l’homosexualité est punissable de la peine de mort. Et les mariages arrangés prévalent non seulement dans les pays musulmans, mais également dans presque tous les pays asiatiques.

Présentée comme la plus populeuse démocratie du monde, l’Inde est toujours un pays où les femmes sont victimes de viols d’une brutalité extrême.

Dans ce pays, il n’est pas rare qu’une femme soit la proie d’un viol collectif; après l’acte, la victime est étranglée, sa dépouille est brulée et son corps calciné est jeté dans un fossé ou sous un viaduc comme une ordure.

La théorie de genre

Il y a quatre jours, le texte Le wokisme et la paix ironisait au sujet d’un communiqué annonçant de nouvelles mesures d’aide à l’Ukraine.

Ce que le blogue évitait de dire, c’est que ce communiqué n’a pas été publié par le ministère des Affaires étrangères ni par le ministère de la Défense (comme on aurait pu s’attendre), mais rédigé et publié par le bureau du premier ministre.

C’est donc à dire que le wokisme prévaut au sommet de l’État canadien.


 
D’autre part, ce n’est pas pour rien que 85 % de la population mondiale vit dans des pays qui refusent de s’impliquer dans la guerre russo-ukrainienne.

Ces pays sont sensibles à la propagande de la Russie qui se présente comme la Troisième Rome (après Constantinople), victime d’une guerre civilisationnelle au cours de laquelle elle subit l’assaut des barbares décadents de l’Occident.

Les pays du Sud global se sentent beaucoup plus proches des valeurs traditionnelles et conservatrices de la Russie — la foi, la patrie, la famille et le travail — que des nôtres.

Et quand ces pays du Sud global regardent ce qui se passe dans la bande de Gaza, ils assistent au premier génocide télévisé de l’Histoire de l’humanité.

Un génocide auquel le Canada participe en aidant l’armée israélienne à rapatrier ses soldats de l’Étranger sur les ailes de l’Aviation royale canadienne, en vendant des armes à Israël et en favorisant la famine des Gazaouis en coupant les vivres à l’UNRWA.

Face à l’effondrement moral de l’Occident, le Canada peut bien tenter de se présenter comme le modèle messianique de la Vertu, il ne convainc personne.

Conclusion

Même si j’éprouve des réserves sérieuses quant aux exemples que donne le professeur Caron pour soutenir sa thèse, je suis d’accord avec elle quant au fond.

Le Canada a perdu son influence sur la scène internationale en raison d’une politique étrangère moralisatrice dans un monde où l’ordre mondial établi au lendemain de la Deuxième Guerre mondiale craque de partout.

En somme, la politique extérieure du Canada devrait se recentrer sur la défense des intérêts canadiens.

Pour terminer, laissons le mot de la fin au journaliste Philippe Sauro-Cinq-Mars, résumant la thèse du professeur Caron :

L’avènement d’un monde multipolaire, où des pays aux sociétés demeurées très traditionnelles possèdent un immense pouvoir, rend définitivement caduques des politiques idéalistes fondées seulement sur la coopération internationale et la moralisation du tiers-monde.

Références :
L’aide humanitaire à Gaza : l’hypocrisie du Canada
Le Comité permanent des affaires étrangères refoule un professeur invité pour une allocution qui s’était déplacé depuis le Kazakhstan
Le wokisme est entré au parlement canadien (vidéo)
Résumé de la présentation de M. Caron

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Écrit par Jean-Pierre Martel


Ukraine : l’histoire secrète de la révolution de Maïdan

1 mars 2024

Introduction

Au moment de l’éclatement de l’URSS et de l’indépendance ukrainienne, en 1991, l’Ukraine était alors un pays relativement harmonieux.

De 1991 à 2014, le pays fut gouverné alternativement par des gouvernements pro-russes et pro-occidentaux, rappelant l’alternance au Québec entre le PLQ et le PQ.

L’élection de 2004 provoquera d’immenses manifestations auxquelles participèrent plus d’un demi-million de personnes et qui aboutirent au renversement du président élu frauduleusement et l’adoption d’une nouvelle constitution.

Les années qui suivirent marquèrent le retour de la paix sociale. Mais tout bascula définitivement en 2014.

Le contexte politique en 2014

En Ukraine, les élus le sont pour une durée de cinq ans.

À l’élection présidentielle de 2010, le candidat pro-russe — sous la bannière du Parti des Régions — avait été élu de justesse avec 48,95 % des votes (contre 45,47 % pour sa rivale pro-occidentale).

Deux ans plus tard, à l’élection législative de 2012, c’est également le Parti des régions qui obtint plus de sièges au parlement, sans toutefois en obtenir la majorité. La répartition des sièges fut la suivante :
Parti des Régions : 187 sièges,
Union panukrainienne ‘Patrie’ : 101 sièges,
Alliance démocratique ukrainienne pour la réforme : 40 sièges,
Parti communiste d’Ukraine : 32 sièges,
Svoboda (Liberté) : 37 sièges.

Pour redonner un second souffle au mouvement pro-occidental, l’Europe avait proposé à l’Ukraine un accord qui visait, à long terme, à paver la voie à son adhésion en bonne et due forme.

En 2013, au moment où l’Ukraine s’apprête signer cet accord, le pays est au bord de la faillite.

En novembre de cette année-là, il lui reste 18,79 milliards de dollars de réserves de change alors qu’elle doit bientôt rembourser sept-milliards de dollars à ses créanciers, dont la Russie (à qui elle doit dix-sept-milliards de dollars de gaz fossile impayé).

Depuis quelques mois, Vladimir Poutine offrait secrètement au gouvernement ukrainien la levée des barrières tarifaires entre l’Ukraine et la Russie, une baisse du prix de son gaz fossile, de même qu’un prêt de quinze-milliards de dollars. L’offre est irrésistible.

Le premier ministre ukrainien (désigné par le président) se tourne alors vers Bruxelles pour lui demander un prêt de vingt-milliards d’euros. Ce qui lui est refusé. En contrepartie, on lui promet vaguement une aide financière. Bref, rien de concret.

Conséquemment, le 21 novembre 2013, le président pro-russe annonce son refus de signer l’accord d’association avec l’Union européenne. Ce qui déclenche des manifestations dès ce jour-là sur la place de l’Indépendance (ou Maïdan), la plus importante place publique de Kyiv.

D’abord pacifiques, celles-ci dégénèrent entre le 30 novembre et le 8 décembre. Elles atteignent le maximum de leur violence entre le 18 et le 21 février 2014.

Jusque là, tant du côté des manifestants que celui des escouades anti-émeutes, personne n’utilise d’armes mortelles.

Pour éviter qu’au sein des forces de l’ordre, un policier pris de panique dégaine son arme et ne tue quelqu’un, ces escouades (en Ukraine comme en France et au Québec) sont équipées de canons à eau, de bombes assourdissantes, de matraques et d’armes à projectiles à mortalité réduite.

Ces dernières ont une force d’impact suffisante pour casser des dents ou des mâchoires, crever des yeux, et provoquer des commotions cérébrales. Mais elles tuent rarement.

Le 20 février, des manifestants et des policiers sont blessés ou tués par balles pour la première fois. Que s’est-il passé ?

L’opération du 20 février 2014

Traversée par un boulevard, Maïdan est une place allongée, aux extrémités arrondies, qui est bordée par des immeubles de prestige, dont des hôtels de luxe et des édifices gouvernementaux.

C’est sur cette place que depuis trois mois se réunissent quotidiennement des manifestants qui réclament le départ du président pro-russe.

Mais ce jour du 20 février fut différent des autres.

Place de l’Indépendance et hôtel Ukraina à l’arrière-plan

Venus surtout de l’ouest de l’Ukraine, c’est à l’hôtel Ukraina que logent les députés du parti Svoboda quand ils siègent au parlement.

Afin d’assurer la sécurité de ses députés dans le contexte insurrectionnel ambiant, ce parti avait confisqué l’hôtel le 25 janvier et en assurait la garde depuis.

Le hall de l’hôtel servait d’infirmerie pour les manifestants blessés.

Contrairement aux hôtels plus modernes dont les fenêtres sont scellées, les fenêtres à guillotine de l’hôtel Ukraina peuvent s’ouvrir afin de mieux admirer la vue sur la ville.

Simple manifestant (et non député), Ivan Bubenchik avait fait monter à sa chambre plusieurs caisses de balles de Kalachnikov la veille du 20 février.

Au 11e niveau de l’hôtel — le 10e étage au sens français du terme, c’est-à-dire en excluant le rez-de-chaussée — plusieurs tireurs avaient pris position dans des chambres réservées à des dirigeants du parti Svoboda.

De nombreux sympathisants néo-nazis, recrutés par ce parti dans son fief de l’ouest de l’Ukraine, avaient convergé armés vers cet hôtel la veille. Le lendemain, ils se posteront un peu partout dans des chambres en hauteur qui donnent sur la place de l’Indépendance.

Postés derrière la balustrade de l’Académie de musique (à droite sur la photo ci-dessus), des tireurs ont une vue encore plus dégagée sur la place. Ceux-ci proviennent principalement de Galicie orientale.

Tout comme l’Académie de musique, le Bureau de poste central de Kyiv est situé du côté ouest de la place de l’Indépendance, immédiatement de l’autre côté du boulevard qui la traverse. Or à l’époque, cet édifice est le quartier général du mouvement ultranationaliste Secteur Droit (Прáвий сéктор). Sur son toit, d’autres tireurs sont postés.

Pour terminer, au nord de la place, des tireurs étaient montés sur le toit de l’hôtel Kozatsky. Or cet hôtel est le poste de commandement des Patriotes d’Ukraine, un mouvement paramilitaire néo-nazi qui, plus tard en 2014, sera incorporé dans le bataillon Azov, principal responsable des exactions qui seront commises contre la minorité russe de l’Est de l’Ukraine.

Mais il y a plus. Parmi ces tireurs postés çà et là, on trouve des mercenaires provenant de Géorgie et de quelques pays baltes.

Lors du procès tenu en novembre 2021, ceux-ci témoigneront que les dirigeants de l’Union panukrainienne ‘Patrie’ et certains des chefs du mouvement de protestation leur avaient donné l’ordre de massacrer des manifestants et des policiers — en fait, de les dresser les uns contre les autres — afin d’empêcher le parlement ukrainien d’entériner l’entente intervenue entre le gouvernement minoritaire pro-russe et la Russie.

Toujours au cours de ce procès, d’autres témoins ont déclaré qu’ils avaient capturé des tireurs d’élite, mais que les organisateurs des manifestations avaient choisi de les libérer aussitôt sans donner de raison.

On peut s’étonner d’apprendre aujourd’hui que certains des chefs du mouvement de contestation étaient complices du massacre de la place de l’Indépendance.

Ceux-ci étaient des organisateurs politiques. Des gens habitués d’organiser des marches de protestation, des campagnes de financement, et de la mobilisation sur des réseaux sociaux.

Ces gens n’auraient jamais entrepris la contestation contre le régime du président pro-russe s’ils avaient su dès le départ que cela finirait par un bain de sang commis grâce à leur complicité.

Mais de fil en aiguille, on finit par consentir à des actes désespérés lorsqu’on les présente comme un sacrifice destiné à sauver la patrie.

Le massacre

Après avoir été chassés de la place de l’Indépendance dans la nuit du 29 au 30 novembre 2013, les manifestants y étaient revenus plus nombreux et décidés de l’occuper jour et nuit.

Quand le jour du 20 février se lève sur cette place, des camps de fortune et des barricades ont été érigés un peu partout. Et depuis plusieurs semaines, ceux qui s’y trouvent effectuent un va-et-vient entre leur logement et la place afin de se laver et d’apporter des vivres.

Dès le lever du jour, les tireurs postés sur l’un ou l’autre des dix-huit édifices contrôlés par les forces de l’opposition se mettent à tirer à la fois sur les manifestants et les policiers.

Or ces derniers n’ont pas la permission de tirer avec des balles réelles. Ils répliquent avec ce qu’ils ont.

Il faudra un certain temps aux manifestants pour réaliser que les claquements qu’ils entendent ne sont pas ceux émis par l’arsenal habituel des escouades antiémeutes et que les tirs proviennent d’ennemis retranchés dans les hauteurs de la place. Mais pour ces manifestants, c’est du pareil au même; ils présument que ces tireurs sont de l’escouade antiémeute.

Pris au piège, policiers et protestataires tentent séparément de se protéger comme ils peuvent.

Entre 5h30 et le retrait des policiers (de 8h50 à 9h00), 4 policiers avaient été tués et 39 autres avaient été blessés.

Après le retrait des policiers, un autobus transportant des renforts (15 à 20 policiers équipés entre autres de Kalachnikovs) est venu permettre l’évacuation des policiers coincés à l’hôtel Zhovtnevyi.

Au cours de cette opération de sauvetage, trois manifestants ont été tués. Toutefois, l’examen des vidéos démontre que les moments où les manifestants ont été tués ou blessés ne coïncident pas avec les moments où ces armes étaient pointées vers eux par les policiers.

C’est seulement à 10h37 que les policiers reçurent la permission de tirer avec des balles réelles. Bien après que l’immense majorité d’entre eux eurent quitté les lieux.

Chez les protestataires, le bilan du massacre du 20 février se solde par 49 tués et 157 blessés.

Conséquences politiques du massacre

Le massacre de la place de l’Indépendance a enlevé toute légitimité au pouvoir du président Yanukovych (le président pro-russe dont on parle depuis le début).

Interdire des manifestations, cela s’est vu récemment en France et, à l’occasion, dans bien d’autres pays démocratiques. Mais massacrer son propre peuple, c’est la caractéristique des tyrans.

Si bien que même des députés de son propre parti (le Parti des Régions) se joignirent aux partis de l’opposition pour exiger sa démission.

Le soir du 21 février, le commandant des tireurs de l’hôtel Ukraina adresse par vidéo au président pro-russe l’ordre de démissionner d’ici 10h le lendemain matin. À défaut de quoi il lancera un assaut contre lui.

Le lendemain, le président pro-russe avait quitté le pays.

Une opération orchestrée par qui ?

Tôt le matin du 20 février, un dispositif meurtrier de grande envergure s’est déployé, préparé de longue date, et qui nécessitait la concertation d’un grand nombre d’acteurs d’idéologie apparentée.

Ceux-ci ont été convaincus de mettre de côté leurs rivalités politiques et leurs conflits de personnalités afin de servir une grande cause; un coup d’État destiné à empêcher un accord économique avec la Russie.

Dans leur témoignage lors du procès de novembre 2021, les mercenaires géorgiens ont non seulement incriminé les dirigeants du principal parti d’opposition et les organisateurs des manifestations sur la place de l’Indépendance, mais également d’anciens dirigeants anticommunistes de leur pays, la Géorgie.

Un seul organisme est capable de fédérer tous les grands partis d’opposition et recruter, directement ou indirectement, un grand nombre de tireurs d’élite provenant d’un territoire s’étendant de l’ouest de l’Ukraine à la Géorgie, en passant par les pays baltes.

Cet organisme est la CIA. Tout, ici, porte sa griffe. C’est le même mode opératoire que le recours aux Contras pour renverser le régime sandiniste au Nicaragua.

Depuis 2004, les États-Unis n’ont eu de cesse que de manipuler le peuple ukrainien afin de le convaincre de devenir un ennemi militaire de son puissant voisin et de faire fi de l’avertissement de Poutine selon lequel entreprendre une démarche visant à l’adhésion de l’Ukraine à l’Otan serait un casus belli.

S’appuyant sur les partis politiques et les mouvements les plus racistes d’Ukraine, les États-Unis ont mené ce pays à la ruine en le poussant à la guerre dans le dessein d’affaiblir l’armée russe.

Maintenant que l’Ukraine est à bout de souffle, les États-Unis laissent tomber ce pays comme un citron pressé…

Références :
Élections législatives ukrainiennes de 2012
La nostalgie nazie en Ukraine
L’engrenage ukrainien
Le problème du nazisme en Ukraine
The “snipers’ massacre” on the Maidan in Ukraine
Tirs de balles de plastique : attend-on de tuer quelqu’un ?

Pour consulter tous les textes de ce blogue consacrés à la guerre russo-ukrainienne, veuillez cliquer sur ceci.

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Écrit par Jean-Pierre Martel


Ukraine : des dizaines de milliers de morts de trop

26 février 2024

Le président Zelensky déclarait hier qu’en deux ans de guerre, 31 000 soldats ukrainiens étaient morts au combat. Cela ne comprend pas les pertes civiles. Ni les blessés.

Normalement, en temps de guerre, on évite de préciser le cout humain du conflit afin de ne pas nuire au moral de la population.

Le président ukrainien l’a probablement fait pour atténuer le jusqu’au-boutisme qui prévaut dans les régions les moins affectées par la guerre et pour préparer la population du pays à des choix difficiles.

De nos jours, un nombre croissant d’Occidentaux croient que les milliards de dollars donnés à l’Ukraine ne font que prolonger les souffrances de son peuple.

La réalité crue est évidente; la Russie gagnera la guerre.

En mars 2022, quelques semaines après le début du conflit, les pourparlers entrepris à l’initiative de la Turquie étaient sur le point d’aboutir; les négociateurs russes et ukrainiens en étaient venus à une entente.

Dès que la rumeur s’est répandue, Boris Johnson (alors premier ministre britannique) s’était précipité à Kyiv pour convaincre le cabinet de Zelensky de ne pas signer cet accord, que grâce à l’appui de la machine de guerre occidentale, l’Ukraine serait victorieuse et qu’auréolé de gloire, ce pays serait accueilli triomphalement dans l’Otan.

Des dizaines de milliers de morts plus tard, les États-Unis réalisent qu’ils n’ont plus besoin de l’Ukraine.

Ils ont affaibli l’armée russe en versant le sang des autres.

Ils ont eu deux ans pour faire tester leur armement dans les conditions réelles d’une guerre et découvert l’usage qu’on peut en faire des nouvelles technologiques (les drones et les données de géolocalisation).

L’Allemagne s’est sevrée des hydrocarbures russes et conséquemment, a perdu son plus important avantage concurrentiel face aux États-Unis. Elle a même consenti (stupidement) à la destruction des gazoducs Nord Stream I et II. Ce qui consomme le divorce économique russo-européen.

De plus, Washington n’a plus besoin de l’Ukraine pour y déployer au plus près ses missiles nucléaires contre la Russie puisque cela est maintenant possible à partir de la Finlande (depuis son adhésion récente à l’Otan).

À moins qu’ils soient chassés du pouvoir à l’occasion des élections prévues cette année, les gouvernements européens sont actuellement convaincus d’une nouvelle version de la théorie des dominos.

En vertu de cette théorie, si l’Ukraine tombe, la Russie victorieuse se lancera aussitôt (ou dans quelques années) à la conquête du reste de l’Europe. Et le monde libre tombera alors entre les ‘griffes du communisme’.

Après que la Russie ait péniblement gagné la guerre contre un pays d’environ 44 millions d’habitants, on veut nous faire croire qu’elle lancerait ses troupes contre l’Occident, peuplé de 880 millions d’habitants (vingt fois plus).

Du coup, on voit l’Europe se précipiter pour acheter de l’armement américain pendant que nous, en Amérique du Nord, accueillons à bras ouverts la délocalisation de son industrie lourde.

Grâce au narratif des agences de presse inféodées à Washington, les Européens ont consentis à la plus vaste opération de pillage industriel depuis la fin de la Deuxième Guerre mondiale.

Pendant ce temps, l’Ukraine compte ses morts.

Bref, à l’heure où les peuples d’Europe, appauvris par la pandémie au Covid-19 et le cout des sanctions contre la Russie, prennent conscience de leur appauvrissement, on tente de leur faire croire qu’il leur faut maintenant se serrer la ceinture et consentir à des investissements colossaux en matière de défense…

En 2011, j’ai écrit que l’Humanité était entrée dans l’Âge des révoltes. Il est douteux que les années qui viennent fassent la démonstration du contraire…

Références :
Guerre en Ukraine : environ 31 000 soldats ukrainiens sont morts depuis le début de la guerre, déclare Volodymyr Zelensky
Guerre russo-ukrainienne et désindustrialisation de l’Europe
La guerre russo-ukrainienne et la vassalisation de l’Europe
Le sabotage des gazoducs Nord Stream par les États-Unis

Complément de lecture : L’engrenage ukrainien

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Écrit par Jean-Pierre Martel


États-Unis : l’importance politique des sionistes chrétiens

23 février 2024

De 1948 (l’année de la création de l’État d’Israël) à 2023, les États-Unis lui ont versé environ 260 milliards$US, majoritairement sous forme d’armement. Ce qui fait de ce pays, de loin, le principal bénéficiaire de l’aide américaine.

À l’Onu, les États-Unis ont principalement utilisé leur droit de véto au Conseil de sécurité pour protéger Israël des critiques et des sanctions internationales.

De nos jours, qu’est-ce qui explique l’appui inconditionnel des États-Unis à l’égard de ce pays ?

Au début de son témoignage de la semaine dernière devant la Commission des affaires étrangères et de la défense du Sénat français, le spécialiste Jean-Pierre Filiu souligne (de 8:34 à 21:14) l’importance capitale que joue le sionisme chrétien dans la politique des États-Unis à l’égard d’Israël.

Qu’est-ce que le sionisme et en quoi le sionisme chrétien se distingue-t-il ?

Dans la Bible hébraïque, ‘fille de Sion’ est la désignation poétique de la ville de Jérusalem et de sa population. Par extension, cela désigne l’ensemble du peuple juif.

À sa naissance en Europe au XIXe siècle, le sionisme était l’aspiration du peuple juif à posséder un pays qui lui serait propre en Palestine. Cette aspiration mènera à la formation de l’État d’Israël en 1948.

Apparu des siècles plus tôt, le sionisme chrétien est un dogme religieux créé par des théologiens protestants.

De nos jours, sans nécessairement savoir que cela porte le nom de ‘sionisme chrétien’, environ le quart de la population américaine et environ la moitié de l’électorat républicain croit en ce dogme. Que dit-il ?

Ce dogme proclame que la Terre promise par Dieu à Abraham et à sa descendance est inaliénable, c’est-à-dire qu’elle ne peut être partagée avec d’autres peuples.

De plus, cette Terre sainte s’étend de la Méditerranée au Jourdain. Ce qui signifie que les Arabes doivent en être chassés.

La reconstitution de l’Israël biblique (le Grand Israël) est la première étape d’un processus apocalyptique qui mènera bientôt au retour du Christ et à l’établissement définitif du Royaume de Dieu sur Terre.

Toutefois, pour ce faire, les Israéliens devront reconnaitre Jésus de Nazareth comme étant leur Messie. En d’autres mots, ils devront se convertir au christianisme, croient les Sionistes chrétiens.

C’est pour cette raison que les Juifs américains (qui votent majoritairement pour le parti Démocrate) se méfient des Sionistes chrétiens (qui votent massivement pour le parti Républicain).

En outre, le soutien de ces derniers en faveur de la politique coloniale d’Israël en Palestine est insensible aux considérations humanitaires puisqu’il trouve sa source dans la lecture littérale de la Bible. Pour eux, même si Dieu semble parfois cruel, ils n’ont d’autre choix que de s’incliner devant Sa Volonté.

En somme, aimer et apporter son soutien inconditionnel à Israël ne relève pas d’un choix car il s’agit d’un Ordre Divin.

En raison de leur importance démographique, les Sionistes chrétiens exercent dans le Bible Belt (ci-contre, en rouge) une influence politique considérable.

Peu importe les résolutions de l’Onu et les décisions éventuelles de la Cour pénale internationale, Washington soutiendra pendant encore longtemps la colonisation israélienne dans les territoires occupés.

Tout au plus, peut-on s’attendre à ce que le gouvernement américain condamne ses excès du bout des lèvres. À défaut de quoi, il pourrait en payer un prix politique élevé…

Références :
Bible Belt
Les chrétiens sionistes aux États-Unis
Moyen-Orient : l’embrasement (vidéo)
Pourquoi les États-Unis soutiennent-ils Israël ?
Sionisme
Sionisme chrétien

Paru depuis : Aux sources de la ferveur des chrétiens évangéliques envers Israël (2024-03-17)

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Écrit par Jean-Pierre Martel


L’impossibilité pour l’Ukraine de gagner la guerre

22 février 2024
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Du 16 au 18 février se tenait à Munich la Conférence internationale annuelle sur les politiques de défense et sur la sécurité mondiale.

À cette occasion, le général à la retraite Harald Kujat — ex-chef des armées de l’air allemandes et ex-président du Comité militaire de l’Otan — a prononcé une conférence intitulée : « La guerre en Ukraine: rivalité des grandes puissances et affirmation de l’Europe ».

Cette conférence, prononcée en allemand, est présentée ici dans une version accompagnée d’une traduction simultanée en français d’excellente qualité.

Elle permet de comprendre pourquoi, ces jours-ci, certains dirigeants occidentaux tiennent le langage des mauvais perdants face à Vladimir Poutine.

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Écrit par Jean-Pierre Martel