#MeToo ou l’explosion de l’autocuiseur

10 janvier 2018

Le XXe siècle a connu deux grandes révolutions : la Révolution communiste et la Révolution féministe. La plus importante fut la seconde.

Sans remonter jusqu’aux Suffragettes, cette révolution s’est articulée autour de trois revendications principales :
• le droit pour une femme d’exercer le métier qu’elle veut
• le droit de faire ce qu’elle veut de son corps
• le droit d’obtenir, pour un travail égal, un salaire égal à celui d’un homme.

Limitée concrètement à l’Occident, cette révolution a fait progresser considérablement la condition féminine. Au point que beaucoup de jeunes femmes refusent aujourd’hui de se dire féministes, considérant, à tort, le féminisme comme un combat révolu, livré par leurs aïeules à une époque où il était justifié.

Devenu en français #MoiAussi (au Québec) et #BalanceTonPorc (en France), voilà que surgit le mouvement #MeToo qui redonne un second souffle à la Révolution féministe.

Ce mouvement consiste à dénoncer publiquement les responsables de violence sexuelle, généralement exercée contre des femmes. Et en dénonçant leurs agresseurs, ces femmes libèrent la parole d’autres victimes de celui-ci. Et tout cela fait boule de neige au point que l’accusé ne peut plus opposer sa crédibilité à celles de ses victimes, devenues trop nombreuses.

Dans les pays asiatiques, une femme qui porte plainte à la police pour viol risque d’être violée de nouveau, cette fois par les policiers auxquels elle se confie.

Au mieux, elle sera coupable d’avoir réveillé le désir irrépressible de son agresseur.

Au pire, on la condamnera à épouser son violeur (si elle est célibataire) ou à être lapidée pour adultère (si elle est mariée).

Dans les pays occidentaux, la femme victime de violence sexuelle ou de harcèlement fait face à d’autres contraintes lorsqu’elle veut porter plainte auprès des autorités.

Même lorsque les policiers la croient, tout procès opposera sa parole à celle de son agresseur. Conséquemment, on ne compte plus le nombre d’abuseurs innocentés pour insuffisance de preuve.

De plus, on ne doit jamais oublier que dans nos pays, l’accessibilité économique au système judiciaire laisse à désirer; depuis des décennies, la profession juridique a piraté l’appareil judiciaire pour le transformer en machine à sous au bénéfice de leur caste sociale.

Les médias sociaux permettent de libérer les victimes de ces contraintes.

Ces médias sont à la fois un mode de publication gratuit et un amplificateur de la rumeur publique. Comme le vent, celle-ci est irrépressible. Son bras vengeur est le Tribunal de l’opinion publique.

Ce dernier existe depuis des siècles. Toutefois, les médias sociaux ont considérablement accru le caractère expéditif de ses pouvoirs exécutoires.

Il suffit d’une calomnie ou d’une médisance pour qu’un tollé soit provoqué instantanément à l’encontre d’une entreprise ou d’une personnalité publique.

Et une réputation flatteuse —  soigneusement entretenue par des campagnes de relations publiques ou par un mécénat ostentatoire — peut être anéantie en un éclair par le déchainement de milliers de messages haineux sur l’internet.

Mais si le Tribunal de l’opinion publique peut être impitoyable pour ceux qui vivent de l’estime du public (notamment les artistes), il est inefficace contre les chefs d’État et ceux dont le pouvoir peut difficilement être révoqué.

Le milieu artistique est donc la pointe d’iceberg d’un phénomène social dont l’importance a été révélée par le mouvement #MeToo.

En 1996, j’ai réalisé une étude qui portait, entre autres, sur le harcèlement sexuel au travail auquel étaient soumis les pharmaciens salariés de pratique privée au Québec.


Avez-vous été victime de harcèlement sexuel au cours des douze derniers mois ?

Femmes Hommes
Oui, de la part du patron 0,3 % 0,0 %
Oui, de la part d’un collègue 0,0 % 0,0 %
Oui, de la part d’un commis 0,5 % 1,2 %
Oui, de la part d’un patient 2,4 % 1,7 %
Non 96,8 % 97,1 %


 
Jusque là, les études à ce sujet avaient été réalisées dans des lieux de travail auxquels le grand public n’avait pas accès.

Contrairement à ce qu’on croyait à l’époque, notre étude démontrait que le harceleur n’était pas nécessairement une personne en position d’autorité : chez les femmes, il ne l’était que dans le dixième des cas.

De plus, on apprenait que le harcèlement sexuel affectait également les salariés masculins, une chose qui nous semble évidente aujourd’hui mais qui l’était beaucoup moins à l’époque.

Les résultats tranchent avec des études récentes réalisées en milieu universitaire où la définition de la ‘violence sexuelle’ englobe tous les aspects de la quête amoureuse. Conséquemment, à la lecture du questionnaire de ces études, on s’étonne que le taux de ‘violence sexuelle’, ainsi définie, ne soit pas de 100%.

C’est contre cette confusion qu’une centaine de femmes — dont Catherine Deneuve — publiaient hier dans le quotidien Le Monde un texte qui accusait le mouvement #BalanceTonPorc de donner lieu à des dérives qui «…loin d’aider les femmes à s’autonomiser, sert en réalité les intérêts des ennemis de la liberté sexuelle, des extrémistes religieux, des pires réactionnaires et de ceux qui estiment (…) que les femmes sont (…) des enfants à visage d’adulte, réclamant d’être protégées

À mon avis, ce plaidoyer est maladroit autant dans sa forme que dans son essence. Aux oreilles québécoises, la défense de la liberté d’importuner les femmes étonne.

Pour paraphraser François Masseau, abonné du Devoir, on pourrait répondre qu’il est probablement moins risqué pour l’élite artistique parisienne de se faire taponner les fesses qu’une femme de ménage portugaise.

Aussi sincère qu’elle soit, cette dénonciation des dérives du mouvement #MeToo est inappropriée.

Aux FrancoFolies de 2013

Jusqu’à maintenant, les victimes de harcèlement sexuel ont été sans voix. Maintenant leur colère s’exprime.

Ce que les signataires n’ont pas compris, c’est que la Révolution féministe entraine des abus qui sont inhérents à toute révolution. À titre d’exemple, la Révolution française a accouché de la Terreur. Sans Robespierre, un autre tyran aurait émergé du lot, porté par la ferveur révolutionnaire.

Sans excès, une révolution n’est qu’une réforme.

Or une réforme ne peut provoquer des changements de mentalité que si on persiste à l’appliquer pendant longtemps. Une révolution instaure une cassure; il y a un avant la révolution et il y a un après.

Comme un autocuiseur qui explose, le mouvement #MeToo aura une fin. Il ne suffit pas d’une seule dénonciation pour que l’accusé démissionne de son poste : il faut que cette dénonciation soit suive d’une multitude d’autres concernant cette même personne.

Une fois que ces dizaines, voire des centaines, de prédateurs sexuels auront remis leur démission, on manquera d’accusations pour maintenir la pression.

Cela ne sera pas grave; le but est de changer des mentalités. Or les mentalités changeront.

Mais ce qui ne changera pas, c’est la sollicitation sexuelle. Une femme qui déteste le regard insistant de ceux qui ont le béguin pour elle, qui déteste qu’on lui ouvre la porte parce qu’elle peut très bien le faire elle-même, qui ne veut pas qu’on l’invite à prendre un café, aurait intérêt à choisir la vie monastique plutôt que la vie civile.

Parce que tant que des êtres humains seront à la recherche d’une âme-sœur, il sentiront le besoin de le faire savoir autrement que par des petites annonces dans des quotidiens que plus personne ne lit.

Références :
Doit-on fermer l’université Laval ?
La campagne #MoiAussi divise les femmes en France
« Nous défendons une liberté d’importuner, indispensable à la liberté sexuelle »
Suffragette
Une centaine de femmes françaises dénoncent les dérives de l’après-#MoiAussi

Paru depuis :
Les Courageuses: au tribunal comme partout (2018-06-01)

Détails techniques : Olympus OM-D e-m5, objectif M.Zuiko 40-150mm R — 1/50 sec. — F/9,0 — ISO 6400 — 40 mm

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Écrit par Jean-Pierre Martel