Privatisation et patrimoine télévisuel

31 octobre 2017

Hier soir, ArtTV présentait La mort d’un commis voyageur d’Arthur Miller, un téléthéâtre enregistré en 1962 par Radio-Canada.

Dans les années 1960, le dimanche soir, la télévision d’État réunissait les meilleurs talents de l’époque afin d’offrir une pièce de théâtre au petit écran.

De cette manière, Radio-Canada s’acquittait de sa mission éducative et culturelle.

À l’époque, l’offre d’émissions télévisées était extrêmement limitée. Conséquemment, des millions de personnes choisissaient d’accueillir dans leurs salons les plus grands comédiens du temps et les voyaient incarner les chefs-d’œuvres de la littérature québécoise ou internationale.
 

 
C’est ainsi que cette Mort d’un commis voyageur (traduite de l’américain par le dramaturge Marcel Dubé) permettait à Jean Duceppe d’incarner le rôle de sa vie, entouré d’une pléiade de comédiens brillants, aujourd’hui disparus.

L’équivalent contemporain de ces téléthéâtres, ce sont nos téléromans.

Dans cinquante ans, pourra-t-on rediffuser les meilleurs d’entre eux et les faire découvrir à de nouvelles générations ? La réponse est non.

Dans la dernière édition du magazine Forces, Pierre Maisonneuve écrit au sujet de la programmation de cet automne de Radio-Canada : « Pour la première fois de son histoire vieille de 65 ans, la télévision généraliste de notre société publique ne produira directement aucune des émissions de grande écoute en soirée à part les rendez-vous de l’information et l’émission de service Entrée principale de fin d’après-midi.»

Concrètement, cela signifie que toutes les œuvres de fiction présentées au petit écran sont le fruit de montages financiers impliquant différentes entreprises culturelles et surtout, que les droits d’auteur ne sont plus la propriété exclusive du diffuseur public.

Pour obtenir l’autorisation de rediffuser ces œuvres un demi-siècle plus tard, il faudra trouver quels sont les ayants droit et obtenir la permission de chacun d’entre eux.

De plus, pour ce faire, il faudra avoir accès aux fichiers originaux puisque leur rediffusion impliquera très certainement leur rééchantillonnage dans des formats numériques différents de ceux utilisés cinquante ans plus tôt.

Présentement, on peut présumer que chacun des partenaires financiers en possède une copie. Qu’en sera-t-il dans un demi-siècle ?

Il faut prévoir que le nombre de ces copies diminuera au fur et à mesure des faillites, des rachats par des entreprises étrangères (qui négligeront la conservation de ces fichiers lorsque cela cessera d’être rentable), et des sinistres qui affecteront les lieux d’entreposage.

Considérant tous ces écueils, il est à prévoir que la seule manière de présenter de nouveau ces œuvres, c’est d’attendre qu’elles tombent dans le domaine public. Quand l’œuvre n’appartient qu’à une seule personne, c’est 70 ans après sa mort.

Tout comme de vieilles bobines de film muet, c’est par la découverte de vieux DVDs dans le fond de greniers poussiéreux que certaines de nos séries télévisées d’aujourd’hui connaitront peut-être une deuxième vie, au grand plaisir de nouvelles générations de Québécois qui parleront encore français à ce moment-là.

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Écrit par Jean-Pierre Martel