Le PQ et la francisation des immigrants

Le 13 janvier 2017

Introduction

Sur le site du Devoir et de Radio-Canada, on apprenait hier que le Conseil national du Parti Québécois présentera demain une nouvelle politique relative à la francisation des immigrants.

Deux fois par année, un Conseil national réunit deux délégués provenant de chacune des circonscriptions du Québec.

Cet hiver, les propositions présentées à cette réunion feront l’objet de discussions parmi les membres de chaque circonscription. Et s’il y a des amendements, ceux-ci seront soumis à un congrès en septembre 2017.

Les propositions, amendées ou non, deviendront alors la position officielle du Parti québécois.

Francisation des immigrants

Parmi les candidats à l’immigration, le PQ fait la distinction entre les travailleurs qualifiés et les réfugiés.

Les travailleurs qualifiés

Les dirigeants du PQ veulent que 100% des travailleurs qualifiés parlent français avant d’arriver au Québec.

En d’autres mots, avant de recevoir un certificat de sélection, le candidat à l’immigration et son conjoint doivent démontrer une connaissance intermédiaire ou avancée du français. Sinon, leur demande sera rejetée.

Ce faisant, le PQ s’inspire de la Grande-Bretagne. Dans ce pays, l’immigrant ne peut pas mettre le pied sur le sol britannique s’il n’a pas déjà la connaissance de l’anglais. De manière conséquente, un citoyen britannique ne peut pas faire venir son conjoint de l’Étranger si cette personne ne parle pas l’anglais.

Ce qui distingue le Canada de la Grande-Bretagne, c’est que la Cour suprême du Canada a déjà fait savoir — dans son jugement relatif aux écoles passerelles — que la réunification des familles est de la plus haute importance à ses yeux. Conséquemment, il est probable que les tribunaux canadiens invalideront tout refus d’accorder la citoyenneté à un conjoint pour des motifs linguistiques. Alors qu’en Grande-Bretagne, la Cour suprême de ce pays a déjà reconnu la validité du refus de permettre l’immigration du conjoint qui ne parle pas l’anglais.

Tout cela pour dire que le PQ a raison d’étendre l’exigence de la connaissance du français au conjoint du requérant.

En comparaison, la Coalition avenir Québec propose d’obliger tous les membres d’une même famille à suivre un programme de francisation une fois qu’ils sont accueillis au Québec.

L’idée est excellente. Malheureusement, elle est anticonstitutionnelle; la Canadian Constitution de 1982 consacre le droit absolu de tout citoyen canadien de s’assimiler au groupe linguistique de son choix. Or la célèbre cause du niqab nous a appris que même les immigrants reçus ont des droits constitutionnels. En d’autres mots, même si on n’est pas encore citoyen canadien, on est protégé par cette constitution dès qu’on est admis au pays, ce qui invalide la proposition de la CAQ.

Une fois au Canada, l’immigrant ne peut donc pas être forcé à parler français. Alors que, demeuré à l’Étranger, il ne peut invoquer les dispositions de la Canadian Constitution.

Les réfugiés

Il serait cruel d’obliger un requérant en danger de mort dans son pays à demeurer chez lui jusqu’à ce qu’il ait appris le français.

Dans le cas des réfugiés, ceux-ci seraient admis au Québec et rémunérés pendant plusieurs mois pour apprendre le français. Un échec n’entrainerait cependant pas leur expulsion (contrairement à ce que propose la CAQ).

Les propositions extramigratoires

Dans sa tournée des salles de rédaction et des médias, le chef du PQ a également présenté des éléments de la politique linguistique de son parti qui dépassent le cadre strict de la francisation des immigrants.

La francisation des petites entreprises

M. Jean-François Lisée a réitéré l’intention du PQ d’étendre l’obligation d’obtenir un certificat de francisation aux entreprises de 25 à 49 employés. Cette obligation existe déjà pour les entreprises de cinquante employés et plus.

Cette mesure ferait d’une pierre deux coups.

Elle créerait une incitation majeure à apprendre le français puisqu’il deviendrait à peu près impossible pour un immigrant qui ne connait pas le français de décrocher un emploi au Québec.

De plus, elle règle les difficultés des Francophones québécois à être servis dans leur langue au Québec. En effet, la grande majorité des plaintes à l’Office de la langue française relatives à la langue de service concernent des petites entreprises (notamment des restaurants) dont le personnel ne parle pas le français.

Le Parti libéral s’y oppose catégoriquement. Quant à la CAQ, elle préfère émettre le vœu que les entreprises s’y soumettent volontairement alors qu’elles ont déjà toute la liberté de se franciser volontairement.

Pas de diplôme universitaire sans connaissance du français

Selon M. Lisée, vingt pour cent des jeunes angloQuébécois se déclarent unilingues. Plus précisément, le pourcentage d’étudiants anglophones qui connaissent le français diminue progressivement de la fin du secondaire à la fin des études universitaires. Selon le chef du PQ, aux CÉGEPs et aux universités anglophones, les jeunes angloQuébécois désapprendraient le français.

Cet unilinguisme constitue un handicap sur le marché du travail et pousse ces jeunes diplômés à s’exiler à la fin de leurs études. Cela constitue un gaspillage des fonds publics puisque la société québécoise paie la grande majorité du financement de ces maisons d’enseignement et perd alors les fruits de cet investissement.

Au niveau des CÉGEPs anglophones, le PQ exigera que tous les finissants réussissent un examen de français avant de recevoir leur diplôme. Conséquemment, le français devient alors l’équivalent d’une matière obligatoire.

Au niveau universitaire, les choses se compliquent.

Les universités anglophones du Québec accueillent des centaines d’étudiants étrangers (notamment américains) qui viennent recevoir dans une institution comme McGill une formation de très grande qualité à un cout substantiellement inférieur à celui exigé par les universités de leur pays.

Chacun d’eux investit annuellement plus de 17 000$ dans l’économie québécoise sous forme de frais de subsistance, ce qui correspond à un investissement annuel de millions de dollars dans l’économie québécoise pour l’ensemble de ceux-ci.

Selon Radio-Canada, M. Lisée entend dialoguer avec les universités anglophones du Québec afin de les convaincre que tout étudiant d’origine québécoise doit être appelé à démontrer sa capacité de travailler en français dans son domaine pour obtenir son diplôme. Dans le cas des étudiants étrangers, ils se verraient plutôt proposer un cours d’initiation au français.

On peut présumer de l’enthousiasme des universités anglophones à servir de police de la langue pour le compte du gouvernement péquiste et leur motivation crépusculaire à séparer le bon grain québécois de l’ivraie étrangère. Je vois déjà les caricatures postées sur les médias sociaux montrant les étudiants universitaires angloQuébécois décorés d’une fleur de lis jaune brodée à la poitrine pour les distinguer des autres…

Pour ne rien vous cacher, je crois que cette proposition est superflue.

Étendre la Loi 101 à toutes les entreprises d’au moins 25 employés fera en sorte qu’il sera très difficile pour l’étudiant unilingue anglais de trouver un emploi d’été lui permettant de financer ses études. D’où une motivation nouvelle à maintenir ses connaissances du français.

Les stages scolaires dans l’autre langue officielle

Selon Le Devoir, pour contrer l’attrait du CÉGEP anglais chez les étudiants provenant des écoles francophones, les CÉGEPs français seraient appelés à leur fournir un parcours d’anglais enrichi qui pourra comporter une session dans un CÉGEP anglais.

Voilà une idée très intéressante.

De nos jours, la langue anglaise est l’équivalent de ce qu’était la langue romaine au sein du clergé chrétien du Moyen-Âge. La connaissance de l’anglais est un atout incontestable. Conséquemment, la grande majorité des parents québécois souhaitent que leurs enfants puissent comprendre et s’exprimer en anglais.

Pour répondre à cette préoccupation, le Parti libéral a décidé que la sixième année du primaire serait une année d’immersion en anglais pour tous les étudiants du Québec. Cette mesure rencontre d’énormes difficultés d’application.

Dans beaucoup de classes du Québec, un seul professeur est responsable de l’enseignement de toutes les matières en sixième année, sauf la gymnastique et peut-être l’enseignement religieux. Pour l’enseignant, il y a un gouffre entre s’exprimer en anglais et tout enseigner dans cette langue, ce qui signifie la maitrise de tous les termes techniques utilisés en physique et en sciences naturelles, par exemple.

Proposer que les élèves francophones effectuent un ou plusieurs stages dans un CÉCEP anglais — et réciproquement, un ou plusieurs stages des élèves anglophones dans un CÉGEP francophone — serait un moyen efficace de favoriser la cohésion sociale de tous les Québécois, peu importe leur langue d’origine.

Permettre l’école anglaise aux enfants des soldats canadiens

Selon ce que j’apprends de l’éditorialiste Michel David du Devoir, la CAQ aurait fait tout un scandale en 2013 dans la région de Québec (où elle est influente) à propos de la petite Sandra, la fille d’un militaire blessé en Afghanistan. Celle-ci faisait partie d’une poignée d’enfants de soldats francophones auxquels le gouvernement Marois voulait retirer le privilège de fréquenter l’école anglaise.

Pour la CAQ et ses partisans, les sacrifices consentis sur les champs de bataille justifiaient le privilège de se soustraire à une règle applicable à tous les autres francophones du Québec.

Dans un pays étranger, les envahisseurs se donnent tous les droits. Mais pas à leur retour dans leur pays d’origine.

Le principe fondamental de la Loi 101, c’est que seule l’école publique française est gratuite. Comme l’école publique italienne est la seule gratuite en Italie. Ou l’école publique allemande en Allemagne. Font exception à cette règle, les angloQuébécois qui ont le droit acquis et constitutionnel d’accéder à l’école publique anglaise.

Tous les autres parents — qu’ils soient francophones ou allophones — peuvent, s’ils le désirent, faire instruire leurs enfants en anglais à la condition que ce soit à leurs frais, c’est-à-dire en les envoyant à l’école privée anglaise. Mais il n’ont pas droit à l’école publique anglaise, réservée aux seuls angloQuébécois.

Le principe est simple; le peuple francoQuébécois refuse de financer sa propre extinction en payant l’école publique anglaise aux enfants des néoQuébécois.

Toutefois, en 1982, les provinces anglophones ont adopté la Canadian Constitution à l’issue d’une ultime séance de négociation à laquelle le Québec n’a pas été invité.

Depuis ce temps, tous les moyens sont bons pour tenter d’invalider des pans entiers de la Loi 101. Multiplier les cas d’exception — comme c’est le cas au sujet de ces militaires francophones — ne fait que donner des arguments à ceux qui soutiennent que la Loi 101 est une législation discriminatoire et injuste.

Le désir de M. Lisée de supprimer les irritants qui divisent les Québécois est légitime surtout, dit-il, lorsque cela ne concerne que très peu de personnes. C’est là une attitude pragmatique.

Toutefois, on doit réaliser qu’il existe une distinction fondamentale entre favoriser l’apprentissage d’une langue seconde par les étudiants francophones et autoriser la transformation d’un jeune québécois en citoyen anglophone. Je ne vois aucune raison de faciliter la tâche aux familles francophones qui veulent s’assimiler à l’anglais.

Qu’il s’agisse de trois enfants ou d’un demi-million de personnes, le PQ ne peut favoriser l’anglicisation du Québec. Cela est une hérésie idéologique.

Afin de favoriser l’élection du PQ, on peut transformer la Loi 101 en fromage gruyère parce que les sondages montrent que beaucoup de Québécois le souhaitent. C’est la stratégie adoptée lors de cette élection basée sur la Charte de la laïcité. Avec le résultat qu’on sait.

Une règle d’or en politique est de ne jamais saper sa base électorale. Or celle du PQ est composée de farouches défenseurs de la Loi 101. Il est donc préférable, même si le temps presse, d’entreprendre une campagne qui vise à transformer l’opinion publique en espérant recueillir les fruits de ce labeur aux prochaines élections.

Défendre ou promouvoir le français ?

Aux prochaines élections, les Québécois qui voudront chasser le Parti libéral du pouvoir auront le choix entre la CAQ et le PQ. Pour simplifier ce choix, le PQ devra se distinguer de cette formation politique.

Or la CAQ a pris un virage qui se veut nationaliste, dans le but évident de gruger la clientèle des Indépendantistes ‘mous’, tout en butinant les fédéralistes déçus du PLQ. Cette stratégie est brillante et sera gagnante si le PQ tarde à se décaquiser.

Le PQ a accompli un pas important dans cette voie en abandonnant sa charte de la laïcité.

Sur le plan linguistique, les mesures préconisées par la CAQ reposent sur la promotion de français sans l’assortir de mesures coercitives.

Nos amis angloCanadiens n’ont pas eu la naïveté de miser sur la séduction irrésistible de la langue de Shakespeare. L’anglais a été imposé aux Métis et aux minorités francophones du Canada par l’abolition des écoles françaises et la punition des écoliers qui parlaient français entre eux dans les cours de récréation. Quant aux peuples qui parlaient une langue autochtone, c’est le kidnappage de leurs enfants dans des pensionnats anglophones qui les a anglicisés.

Ceux qui veulent qu’on entreprenne une campagne de promotion du français oublient que des milliers de scénaristes, de cinéastes, de dramaturges, de comédiens, de paroliers, de chanteurs, de romanciers et de poètes s’affairent déjà depuis plus d’un siècle à faire aimer notre langue.

Si on tient compte des émissions de télévision et de radio, des films, des pièces de théâtre, des chansons, des romans, des bandes dessinées et des livres de poésie, le cout des moyens utilisés pour rendre notre langue attrayante peut être évalué à plusieurs centaines de millions de dollars annuellement.

Peut-on faire mieux ? Il serait tentant de répondre cette lapalissade selon laquelle on peut toujours faire mieux. Mais en réalité, nos créateurs sont déjà acclamés partout à travers le monde. Il nous faut donc reconnaitre qu’on pourrait difficilement faire mieux.

Pour une nation de huit-millions de personnes, cet effort promotionnel en faveur du français est herculéen.

Et pourtant, de 2006 à 2011 (date du dernier recensement publié), la proportion de Francophones a reculé de 1% sur l’ile de Montréal et presque autant dans ses banlieues.

Une telle diminution, en aussi peu de temps, est extrêmement préoccupante.

On juge un arbre à ses fruits. Le laisser-faire libéral mène directement à l’extinction du peuple francoQuébécois. Et les moyens incitatifs de la CAQ aboutiront au même résultat.

C’est cela qu’il faut démontrer aux Québécois et non occulter les menaces qui planent sur notre avenir par un discours jovialiste et faussement rassembleur.

Conclusion

À l’exception de l’anglicisation des enfants des militaires canadiens (un détail auquel je suis farouchement opposé), je partage les principales mesures proposées par la nouvelle direction du PQ.

Plus précisément, l’assujettissement de toutes les entreprises de 25 employés ou plus à la Loi 101 et l’adoption de la solution britannique en matière d’immigration sont deux mesures d’une redoutable efficacité pour stopper l’anglicisation de Montréal.

Justement pour cette raison, le PQ ne pourra pas échapper à la controverse. Toutefois, plus la CAQ criera au scandale, plus elle révèlera la superficialité de son virage nationaliste. Quant au PQ, il lui sera facile de rallier une bonne partie des Québécois francophones (notamment dans la région de Montréal) à l’importance de défendre le français.

Compte tenu du morcèlement des allégeances politiques, de nos jours, il n’en faut pas plus pour prendre le pouvoir.

Ceci étant dit, on doit se rappeler qu’une politique de francisation des immigrants n’est pas destinée à couvrir tous les aspects d’une politique linguistique.

La langue de travail, la langue de service et l’affichage commercial sont d’autres volets d’une telle politique. Or ils ne sont pas abordés ici ou ils le sont indirectement.

Si on passe sous silence certaines propositions extramigratoires controversées, la nouvelle politique de francisation des immigrants est la plus sérieuse et la plus efficace jamais proposée au sein de cette formation politique.

Références :
Cap sur la « francisation 100% » pour le Parti québécois
Données linguistiques de Montréal selon le recensement de 2011
Franciser sans diviser
Immigrants’ spouses must speak English before entering UK
La CAQ veut rendre la francisation obligatoire pour les immigrants
La Charte de la laïcité : un mauvais départ
L’augmentation des frais de scolarité
Le français en péril — Deuxième de trois volets
Le souvenir de Sandra

Parus depuis :
Laval s’anglicise (2018-01-16)
Un immigrant belge dénonce le recrutement à l’étranger du Nouveau-Brunswick (2018-04-25)
Quand il faut parler anglais pour travailler à Montréal (2021-03-10)
Augmentation des résidents non permanents dans les écoles anglaises (2021-03-19)
Une vision pour demain (2021-03-20)
La maîtrise du français, nouvel enjeu de management (2021-10-25)
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La francisation des immigrants suffit-elle pour assurer la pérennité du français au Québec ? (2022-03-01)
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Pour consulter tous les textes de ce blogue consacrés à l’anglicisation du Québec, veuillez cliquer sur ceci

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