Le burkini et l’intolérance religieuse

Le 8 septembre 2016

Introduction

Imaginez qu’un grand couturier italien ait inventé une tenue de plage enveloppante, destinée à protéger les femmes du danger des rayons solaires ou à cacher les taches cutanées d’un mélanome.

Certains auraient réagi en affirmant qu’il serait plus simple pour ces femmes de demeurer chez elles. Mais d’autres auraient applaudi à cette occasion de profiter des joies de la baignade en évitant certains des dangers qui leur sont associés.

Dans tous les cas, ce nouveau vêtement — comme toute nouveauté vestimentaire féminine — aurait fait jaser. Mais pas au point de susciter les passions comme l’a fait le burkini cet été.

Historique

Le burkini n’est pas nouveau. C’est en 2003 que la styliste australienne Aheda Zanetti créa ce maillot de bain dans le but de libérer les femmes.

L’origine de ce vêtement remonte à un conflit.

La nièce de la styliste voulait jouer au ballon-panier. Mais aucune équipe féminine ne voulait l’admettre parce qu’elle portait un hijab et refusait de l’enlever (note : il s’agit de ce long vêtement qui ne laisse que le visage à découvert).

Lorsqu’une équipe l’a finalement admise, son hijab est rapidement apparu totalement inapproprié à la pratique du sport.

D’où l’idée de créer une tenue sportive moins encombrante tout en respectant les préceptes de modestie de la religion musulmane.

Mme Zanetti raconte sa propre expérience : « Je me souviens de la première fois que j’ai essayé le burkini (…) C’était la première fois de ma vie que je nageais en public. Et c’était absolument merveilleux. Je me souviens parfaitement de la sensation. Je me suis sentie libre, je me suis sentie émancipée, je sentais que la piscine m’appartenait. J’ai marché jusqu’au bout de la piscine avec les épaules bien droites.»

Ici même au Québec, depuis quelques années, trois commissions scolaires montréalaises permettent à des élèves musulmanes de porter le burkini aux cours de natation.

Passée inaperçue jusqu’ici, cette situation a été rattrapée par la controverse actuelle relative à ce vêtement.

Plusieurs arguments ont été invoqués pour s’opposer au port du burkini. Voyons-en quelques-uns.

Le burkini serait une régression

Si les femmes qui portent aujourd’hui le burkini revêtaient autrefois un autre type de maillot pour se baigner publiquement, il est difficile de voir en quoi le burkini serait une libération, comme le prétend sa créatrice australienne.

Mais si, au contraire, les femmes qui le portent étaient autrefois des femmes toutes vêtues qui demeuraient assises sur des chaises longues ou qui auraient aimé aller à la mer mais qui demeuraient chez elles, il faudrait conclure, en effet, que ce vêtement leur donne accès aux joies de la baignade.

A-t-on vérifié à quelle catégorie appartiennent les femmes qui portent ce maillot de bain ? À ma connaissance, il n’existe pas de données scientifiques à ce sujet.

Conséquemment, présumer que l’observabilité croissante du burkini soit un indice de la diffusion sournoise de l’extrémisme religieux dans nos sociétés est de l’ordre de la spéculation.

Le burkini est un affront aux valeurs républicaines

De quelle république s’agit-il ?

S’il s’agit d’un État dont la devise est Nudité, Égalité, Fraternité, il est évident que la modestie est un affront à ses valeurs profondes.

Mais si le premier mot de cette devise est plutôt ‘Liberté’, ne devrait-on pas laisser les femmes libres de décider par elles-mêmes de leur tenue vestimentaire.

De nos jours, chez les hommes, le port de la barbe et de la moustache redevient à la mode. Les choses étant ce qu’elles sont, ce n’est qu’une question de temps pour que la modestie féminine ostentatoire devienne ‘tendance’ et relègue la controverse du burkini aux oubliettes.

Ces femmes doivent être délivrées des mentalités qu’on leur a inculquées

Que sait-on des mentalités inculquées aux Musulmanes ?

Au point de vue culturel, chacun d’entre nous est une éponge. Sans le savoir, nous influençons et sommes influencés. Conséquemment, il est certain que les femmes portant le burkini sont ‘sous influence’, tout comme celles qui s’habillent autrement.

Vaincre les tabous et ses inhibitions est une forme d’affranchissement. Mais dans le cas précis de la modestie, est-ce que la combattre correspond à un avancement civilisationnel tel qu’il justifie que l’État s’en mêle ?

Le burkini, symbole de l’aliénation féminine

Le fond du problème, c’est que pour certains, l’Islam est une religion misogyne. Conséquemment, à leurs yeux, tout ce qui lui est associé est un symbole de l’exploitation des femmes.

Impuissants à combattre l’aliénation féminine, ils se donnent bonne conscience en s’attaquant futilement à ce qui, dans leur esprit, en fait figure de symbole.

Malheureusement, il est impossible de distinguer la persécution religieuse de la lutte contre ses symboles. Parce que tout dans une religion est de l’ordre du symbole et de son impact sur l’inconscient.

En réalité, les trois grandes religions monothéistes sont misogynes à des degrés divers, reflétant les mentalités de l’époque où elles sont nées.

Mais les religions pratiquées en Occident ont traversé diverses révolutions, dont la révolution féministe du XXe siècle.

Contrairement au Christianisme et au Judaïsme, dont l’épicentre est situé en Occident, l’Islam tel que pratiqué chez nous est déchiré entre son enracinement séculaire dans nos sociétés et son enseignement dogmatique financé par des pays qui ont échappé à cette révolution féministe et qui s’entêtent à promouvoir une pureté originelle fantasmée d’un dogme remontant au début du Moyen-Âge.

Et puisque le renversement de la dictature saoudienne n’est pas à l’ordre du jour, cela nous amène à nous poser cette question fondamentale : depuis quand l’émancipation de la femme se mesure en cm² de surface corporelle exposée à la lumière du jour ? A-t-on démontré que les femmes sont beaucoup plus libres dans les sociétés où tout le monde est nu ?

Le burkini trouble l’ordre public

Aux yeux de certains, le burkini est une provocation qui justifie leur animosité personnelle. Si bien que des stations balnéaires ont voulu l’interdire sous le prétexte qu’il troublait l’ordre public.

En 1668, Jean de La Fontaine publie la fable Le Loup et l’agneau. Il y écrit :


Un Agneau se désaltérait
Dans le courant d’une onde pure.
Un Loup survient à jeun qui cherchait aventure,
Et que la faim en ces lieux attirait.
Qui te rend si hardi de troubler mon breuvage ?
Dit cet animal plein de rage :
Tu seras châtié de ta témérité.

Dois-je en dire plus ?

La laïcité républicaine est sans issue

Sur ce blogue, j’ai eu l’occasion d’exprimer à plusieurs reprises mon opposition à la laïcité de type républicain.

Celle-ci est comme la chicane; on sait quand elle commence mais on ne sait pas quand elle finit.

Elle commence par une interdiction faite aux employés de l’État de porter des signes religieux dits ‘ostentatoires’ (ce qui autorise les signes chrétiens, généralement plus discrets).

Mais une fois que le public a bien compris que les valeurs républicaines exigent qu’on évite de porter des signes ostentatoires d’appartenance religieuse, pourquoi devait-on les tolérer au sein des entreprises privées ? Est-on justifié de piétiner les valeurs nationales lorsqu’on ne travaille pas pour l’État ?

Alors les employés qui portent de tels signes sont ostracisés.

Après avoir ignoré les regards désapprobateurs et les insinuations malveillantes, les personnes ‘déviantes des valeurs nationales’ doivent ensuite faire face aux affrontements et aux insultes de collègues zélés.

Suivent ensuite les tentatives d’exclusion de l’espace public, comme en témoigne l’interdiction du burkini.

Et peu à peu on finit par comprendre que les arguments invoqués contre les Musulmanes pour les contraindre aux dictats de la Droite française ne constituent qu’un paravent à l’intolérance religieuse. Puisqu’en fin de compte, il ne s’agit que de cela.

Références :
Burkini — Viser l’inclusion
J’ai créé le burkini pour libérer les femmes, pas pour enlever leur liberté
La Charte de la laïcité : un mauvais départ
La paille et la poutre
Le projet de loi libéral au sujet de la neutralité de l’État (2e partie : laïcité vs neutralité religieuse)
Le prosélytisme de l’Arabie saoudite
Les arrêtés anti-burkini pris en France favorisent la « stigmatisation » des musulmans, selon l’ONU
Une lecture féministe arrogante et cavalière

Paru depuis :
Musulmans de France: plus d’un quart de rigoristes, une majorité de laïcs (2016-09-19)

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2 commentaires à Le burkini et l’intolérance religieuse

  1. alain Barré dit :

    Pour mieux comprendre ce phénomène, on peut se rappeler comment s’est passée “la révolution des pantalons” dans nos campagnes pendant les années 1950-60. Ma mère habitait dans un petit village de Vendée (France). Un jour elle nous annonça que les femmes avaient le droit de sortir en pantalon dans la rue comme les hommes et qu’elle était bien décidée à le faire. L’idée nous paraissait extraordinairement osée mais enthousiasmante et nous avons suivi l’affaire avec un grand intérêt. elle confectionna d’abord un pantalon puis…rien ! Elle reculait, elle différait devant l’énormité du projet…. Enfin, un jour, elle nous déclara : “je vais faire les courses au magasin, en pantalon !” L’instant était solennel et nous en sentions tous l’importance. Elle enfila son pantalon et marcha d’un pas pressé, courant presque, jusqu’au magasin situé à quelques centaines de mètres. Elle avait l’impression que tous les yeux du quartier étaient braqués sur elle…. Elle fit ses courses le coeur battant et, vite, elle rentra à la maison, émue et fière d’elle. Nous aussi nous étions très fiers ! Puis elle quitta le pantalon et n’osa le reprendre que bien des mois après. Mais une étape psychologique avait été franchie !…
    C’était en France, il y a une soixantaine d’années et beaucoup d’autres femmes de cette époque ont eu l’audace de braver l’opinion publique, de se défaire de la pression sociale et psychologique. Les femmes musulmanes qui se voilent aujourd’hui ne sont pas plus libres de leurs choix que l’étaient nos mères ou nos grands mères, mais elles ne sont pas plus bêtes non plus et sont aussi courageuses. Un jour, quelque héroïne anonyme, osera surmonter sa peur et jettera ses symboles de soumission à la poubelle et dira “les femmes comme les hommes ont le droit de sortir le visage découvert et tête nue dans la rue quand elles le veulent ! ” …

    Pour compléter la réflexion que vous publiez sur votre blog , je vous suggère le petit livre de la sociologue iranienne Chahdortt Djavann “Bas les voiles !”

  2. Marie France dit :

    il faut differencier le voile du Nikab. Selon moi porter le voile est un choix respectable alors que porter le nikab est une atteinte à son integrité morale et ce même si on est consentant. Dans un pays démocratique occidentale , authorisait le nikab revient, selon moi, à tolérer des atteintes aux droits de l’homme sur son propre territoire. Dans un pays de liberté L’etat est le seul apte à definir la frontière, certe flou, entre ce qui reléve des libertés fondamentales et ce qui serait suceptible de menacer l’ordre publiques malgré la complaisance des principaux interressés.(Le meilleur exemple est le travail “au black”: ca arrange pas mal de personnes de travailler sans contrat mais ca peut vite se retourner contre l’une des parties). Revenons à nos burbini, comme vous l’avez tres bien dit “le burkini a été créé pour remplacer le hijab dans une situation ou il etait peu pratique” or dans son intention quand au contexte, le burkini est analogue nikab: Il couvre le corps de la femme en entier dans une situation où la majorité des personnes serait plus apte à se devetir. Ce qui a pour effet d’entraver doublement la femme: tant dans sa potentielle volonté d’emancipation que dans sa volonté de socialisation par l’isolement que le burkini induirait (vous n’irez pas me faire croire que les laisser porter des burkinis à la piscines va leur permettre de se rapprocher des autre baigneuses plus denudées). Voilà pourquoi l’Etat Francais s’interroge sur l’attitude à adopter et je pense qu’il est en droit de la faire.

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