Attentats et glorification posthume

Le 28 juillet 2016

À la suite de l’attaque terroriste à l’école Polytechnique de Montréal — qui a fait 14 victimes en 1989 — certains parents avaient demandé aux journalistes de taire le nom de l’auteur de cette tuerie afin de ne pas contribuer à sa renommée.

Dans le film Polytechnique, le tueur est montré inexpressif, comme habité par une haine qui l’a vidé de son humanité. En dépit de la finesse de ses traits, il n’est pas aimable (c’est-à-dire de nature à être aimé).

Ces jours-ci, une controverse secoue le milieu journalistique français relativement à l’éthique dont devraient faire preuve les médias lorsqu’ils traitent d’attentats terroristes. Plus précisément, la question est de savoir s’il est approprié de nommer et/ou de montrer la photo des terroristes.

Tous s’entendent pour dire qu’une telle publication est nécessaire lorsqu’il s’agit de suspects qui ont survécu à leur méfait et qui sont recherchés par la police. Mais dans le cas de ceux qui périssent en commettant leur crime, ne procède-t-on pas à leur glorification posthume en les montrant et en les nommant ?

Il n’y a aucun doute que cela contribue à leur renommée : mais est-ce que cela contribue à leur gloire ?

En théorie, la gloire est inhérente à l’acte. Chez les personnes favorables à la cause d’un terroriste, la réussite de celui-ci et l’ampleur de son méfait devraient être, de loin, les principaux critères qui contribuent à sa gloire.

Dans les faits, il en est autrement. Si on prend l’exemple du révolutionnaire Che Chevara, serait-il aussi connu s’il avait à son crédit les mêmes faits d’armes mais s’il avait l’air d’un pou ?

De plus, il est raisonnable de penser qu’un geste d’éclat particulièrement meurtrier pourrait susciter le désir d’émulation chez des êtres asociaux à la recherche du sens à donner à leur vie, chez ceux qui confondent réussite et gloire, ou chez des personnes influençables.

Les études concernant le suicide ont démontré l’effet Werther. Mis en évidence en 1982, le suicide mimétique est le phénomène de la hausse du nombre de suicides suivant la parution dans les médias d’un cas de suicide. Ce sont des personnes qui y pensaient sans doute déjà mais qui ont passé à l’acte par mimétisme.

Mais là encore, les déprimés passent à l’acte sous l’influence de la nouvelle et non par l’apparence physique ou le nom de celui qui s’est suicidé. Tous les journaux pourraient se tromper quant à l’identité du suicidé et cela ne changerait rien au mimétisme suscité par ce suicide.

Dans le cas de ce blogue, si je n’ai jamais mentionné le nom du terroriste du Métropolis — dont on ne voit le nom que dans mes références — c’est davantage par mépris que par principe déontologique.

Personnellement, qu’on montre la photo d’un terroriste vociférant ses menaces (comme celui du Métropolis), cela ne me dérange pas. Ce qui me dérange, c’est lorsqu’on montre un terroriste souriant et sympathique; cela est un manque de tact pour les parents des victimes qui y voient là un exercice de séduction du média au profit du terroriste.

Funérailles de Denis Blanchette

Lors de l’attentat terroriste au Métropolis en 2012, Denis Blanchette perdait la vie en tentant d’empêcher un homme armé qui voulait pénétrer dans cette salle de spectacle.

Une recherche effectuée aujourd’hui à l’aide d’un moteur de recherche très connu donne 20 200 liens relatifs à ‘Denis Blanchette Métropolis’ et 247 000 liens lorsqu’on remplace le nom de ce héros par celui de son assassin.

C’est donc à dire que pour chaque article qui mentionne le nom de Denis Blanchette, il y en a 120 qui mentionnent celui qui l’a tué.

Depuis des siècles, dans l’espace public occidental, on glorifie non seulement des héros victorieux qui ont contribué à la gloire de la Nation, mais également des martyrs.

Rappeler la mémoire de ces derniers sert non seulement à souligner le courage de ces suppliciés, mais également la futilité de la barbarie exercée contre eux. En somme, dans les deux cas, cette commémoration est un acte de propagande : susciter l’admiration du héros ou la compassion à l’égard de la victime.

Denis Blanchette a été tué à deux pas de l’intersection des rues Boisbriand et Saint-Dominique.

La première de ces rues a été donnée en l’honneur de Pierre Dugué de Boisbriand, cousin d’Iberville, né à Ville-Marie en 1675, devenu gouverneur intérimaire de La Nouvelle-Orléans en 1724, et mort en France en 1736.

L’attribution de Saint-Dominique à l’autre rue ne correspond pas à des faits reliés à notre histoire.

Il me semble important de perpétuer la mémoire de Denis Blanchette.

Il s’agit d’un héros ‘ordinaire’. Non pas un militaire exceptionnel, non pas un grand serviteur de l’État, mais un héros comme chacun d’entre nous pourrait le devenir si nous avions le courage de faire comme lui dans un moment où notre bravoure pourrait faire basculer le cours de l’Histoire.

Bref, je crois qu’il serait bon que la rue Saint-Dominique soit renommée en son honneur.

Références :
Attentats terroristes: le dilemme des médias
Effet Werther
La responsabilité de l’attentat terroriste au Métropolis
Médias : faut-il divulguer l’identité et la photo des terroristes ?
Terrorisme – La France flirte avec la censure

Détails techniques de la photo : Olympus OM-D e-m5, objectif M.Zuiko 40-150mm R — 1/320 sec. — F/5,6 — ISO 200 — 108 mm

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