Mon vol à l’étalage (suite et fin)

1 septembre 2015

Des trois familles invitées à voir la vidéo, la première délégation à accepter mon offre fut composée d’un père et de son fils de huit ou neuf ans. Ce dernier était un des plus jeunes du groupe et n’avait été que complice du vol.

Aux tempes grisonnantes, au visage allongé et aux traits nobles, le père refusa dès le départ de voir la vidéo, présumant que je lui disais la vérité.

— Mets-toi à genoux !

— Non, répondit net le fils.

— J’ai dit mets-toi à genoux, répéta le père entre les dents tout en pressant fermement avec les ongles de son pouce et de son index le lobe de l’oreille de son fils, qu’il tira vers le bas.

La vue de cet enfant qui s’agenouillait en suppliant me mit dans un profond inconfort.

Fut-il obligé de demander pardon, de s’excuser ou de promettre de ne plus recommencer, je n’ai pas porté attention.

À voir sa tête inclinée de côté, le visage grimaçant de douleur, ma seule pensée était de faire cesser son supplice et, dans une moindre mesure, le mien.

— OK OK ça va, dis-je, sans savoir exactement ce à quoi j’acquiesçais.

Puis le père offrit de payer la boite de condoms, ce que je refusai en raison du fait que son fils avait joué un rôle mineur dans cette histoire.

Le cas de cette famille s’est terminé par deux poignées de mains, échangées d’abord avec père puis, après une légère hésitation, avec le fils essuyant une larme.

La deuxième famille à prendre rendez-vous était représentée par la mère, la sœur ainée, le voleur, et son frère cadet qui agissait ici comme témoin.

Comme un professeur de chimie, je m’étais soigneusement préparé. J’avais regardé la vidéo à plusieurs reprises, notant précisément sur un bout de papier le début et la fin de l’incident, de même que l’instant précis du vol.

Mais tous les professeurs de chimie savent que les choses ne se déroulent pas toujours comme prévu. Dès le début du visionnement de la vidéo, je fus demandé au comptoir et je dus laisser la famille la regarder seule dans l’entrepôt.

Et pendant que je servais le client qui avait perturbé mes plans, j’entendais le vacarme des cris indignés de la mère et de la sœur, de même que le claquement des gifles infligées au voleur.

Avant même que j’aie eu le temps de terminer avec ce client, la famille sortit de l’entrepôt.

Malgré les demandes insistantes de la mère et de la sœur, et en dépit des taloches infligées à la vue de tous derrière la tête du voleur, celui-ci refusa fièrement de se dire désolé sans doute pour de ne pas perdre la face devant son frère cadet qui lui tournait autour en se moquant de lui.

La mère demanda à payer la somme due, ce que j’acceptai.

Au moment de franchir la porte de l’établissement, le voleur se retourna vers moi et m’adressa un sourire insolent. Dès cet instant, je sus que tout cela n’avait rien donné pour lui.

Dans le troisième cas, il s’agissait d’une famille monoparentale dirigée par la mère.

Par téléphone, celle-ci m’avait demandé de choisir comme punition, une corvée à effectuer dans le commerce sous ma responsabilité.

Embêté, j’avais choisi de lui faire laver le plancher. Il s’agissait d’une tâche inutile puisqu’un service d’entretien accomplissait déjà cela deux fois par semaine.

À la fermeture de l’établissement à 20h30, la mère était arrivée en sueurs de son travail, accompagnée son fils, un grand garçon à l’air doux et sympathique.

Après l’accomplissement de sa punition et au moment de nous quitter, je lui ai dit que j’aimerais lui raconter une petite histoire :

« Lorsque j’avais à peu près ton âge, j’ai commis un vol insignifiant dans un magasin du centre-ville. Mais torturé par ma conscience, j’ai fini par retourner au magasin le lendemain afin de payer l’objet volé. »

J’ajoutai que pendant toutes ces années, ce petit objet — je l’avais apporté de chez moi ce soir-là pour lui montrer — me rappelait, chaque fois que je le regardais, l’importance d’être honnête.

« Aujourd’hui, je suis un adulte respectable et admiré qui jouit tellement de la confiance de ses patrons, qu’ils confient à moi seul, les clefs de leur établissement. Ce qui me permet d’en prolonger l’ouverture ce soir, sans même avoir à demander leur permission. Or ils n’auraient pas cette confiance envers moi s’ils nourrissaient le moindre doute quant à mon honnêteté. »

« Et cet objet, qui m’ai aidé pendant des années à demeurer honnête, j’aimerais te le donner, dans l’espoir qu’il te porte bonheur à toi aussi. »

Très lentement, comme dans un film au ralenti, je lui ai tendu cet objet qu’il a accepté silencieusement, les yeux rivés sur lui.

Quelques mois plus tard, j’ai accepté une offre de travailler ailleurs. Je n’ai donc jamais su ce que ces trois jeunes étaient devenus. Si je ne fais pas d’illusion quant au second, je me plais à penser — peut-être naïvement — qu’ils sont fondamentalement bons et que cette bonté innée a probablement prévalu sur les tendances au mal qu’ils ont en eux comme c’est le cas pour chacun d’entre nous.

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Écrit par Jean-Pierre Martel