Pour une réforme majeure de l’Office québécois de la langue française

3 mars 2013

Avant-propos : On trouvera à la fin du texte, un rappel historique du contexte qui a amené le Québec à se doter d’une politique linguistique.

Mission de l’Office

Sous sa forme actuelle, l’Office québécois de la langue française est né avec la Charte de la langue française (communément appelée la Loi 101). Cet organisme gouvernemental est chargé d’assurer le respect de la Loi 101 et de surveiller l’évolution de la situation linguistique au Québec.

Essentiellement, la mission de l’Office est de faire en sorte que les Québécois francophones soient chez eux au Québec. Il en découle :
• qu’ils puissent y travailler dans leur langue,
• qu’ils y reçoivent tout naturellement des services en français sans avoir à l’exiger et
• que le Québec demeure peuplé majoritairement de Francophones.

Les services en français

Depuis une dizaine de jours, les médias se sont lancés dans une critique virulente — et justifiée — des inspections de l’Office. Précisons de cet organisme n’a que cinq inspecteurs à temps plein.

L’affaire débute avec un reportage de Radio-Canada concernant le Buonanotte. À la suite d’une inspection, ce restaurant s’est vu sommé de traduire plusieurs mots italiens (dont Pasta) sur son menu français.

Le deuxième cas concerne la Brasserie Holder. Dans son article, le journaliste Yves Boivert (un des meilleurs de La Presse) y décrit une inspectrice tatillonne qui s’attarde aux mots anglais sur les touches des téléphones, mais qui semble avoir perdue de vue l’essentiel de son mandat.

Le troisième exemple est relatif au Restaurant Joe Beef. Là encore, l’inspection semble avoir portée sur des détails insignifiants de la décoration de ce restaurant.

Mais Le Devoir de samedi dernier apporte des précisions sur le premier de ces cas, à l’origine du « Pastagate » qui a embrasé les médias sociaux. Le restaurant Buonanotte possède deux menus bilingues : l’un italo-français, l’autre italo-anglais.

Il y a quelques mois, un client s’est fait présenter le menu italien-anglais. Outré de n’y voir pas un seul mot de français, ce client a porté plainte à l’Office. Clairement, la plainte portait sur la présence de l’anglais sur un menu, pas de l’italien.

Après avoir pris rendez-vous, l’inspecteur de l’Office se présente à ce restaurant et demande à voir le menu : on lui montre l’autre menu, celui italo-français, sur lequel prédomine l’italien. Et c’est cette prédominance qui a attiré (à tort) l’attention de l’inspecteur de l’Office.

Pour prévenir ce genre d’incident, la solution est très simple : il suffit que la défense du français au Québec soit remise entre les mains du peuple. Plus précisément, je suggère que les clients francophones servis en anglais aient le droit de porter plainte devant la Cours des petites créances et que l’amende imposée par le tribunal soit versée au plaignant.

Finie l’époque où la promotion du français était laissée au pouvoir discrétionnaire d’un gouvernement mollement convaincu de l’opportunité de la défendre, comme ce fut le cas sous le gouvernement libéral de Jean Charest. Donnons à la population québécoise le pouvoir de défendre elle-même le français en lui confiant des pouvoirs dissuasifs. Imaginez ce que serait la défense du français si au lieu d’avoir cinq inspecteurs au Québec, il y en avait des millions…

Précisons que ce transfert de pouvoir ne concernerait pas les infractions relative aux raisons sociales, mais exclusivement quant à la langue utilisée lors de la dispensation des services. Cette limite vise à éviter la multiplication inutile des recours judiciaires concernant une seule et même offense.

La langue de travail

Ce n’est pas en surprenant quelques mots échangés entre des employés qu’un client peut juger de la langue de travail au sein d’une entreprise. De plus, peu de citoyens risqueront de perdre leur travail en portant plainte devant les tribunaux contre leur employeur.

Donc l’Office devra conserver intact son rôle dans l’application des dispositions de la Loi 101 qui vise à défendre le droit des Francophones de travailler en français au Québec.

La surveillance de l’évolution linguistique

Toutes les études commandées par l’Office auprès de chercheurs, sont principalement des analyses des données obtenues lors des recensements effectués par Statistiques Canada.

Après avoir lu la principale de ces études, soit l’étude Paillé, je ne comprenais toujours pas la dichotomie entre les résultats des recensements et ce que j’entends concrètement dans les rues de Montréal.

Je terminais mon texte à ce sujet en me proposant de lire les quatre autres études disponibles sur le site de l’Office afin d’essayer de comprendre pourquoi.

Ce que je ne vous ai pas dit, c’est que je me suis tapé depuis les 132 pages de l’étude de Robert Bourbeau, Norbert Robitaille et Marilyn Amorevieta-Gentil. J’en n’ai jamais rédigé de compte-rendu tout simplement parce qu’après l’avoir lue, je n’étais pas plus avancé.

J’en arrivais toujours à la même conclusion : ça ne se peut pas. En d’autres mots, si les recensements de Statistique Canada sont à l’effet que seulement le quart (ou même le tiers) des Montréalais parlent anglais, ce n’est pas ce que j’entends lorsque je promène dans la métropole canadienne. Donc, ou bien j’hallucine ou bien il y a quelque chose qui cloche dans ces données.

Je ne veux pas laisser entendre que les recensements de Statistique Canada soient mal faits. Bien au contraire, je suis absolument convaincu du caractère irréprochable de leur méthodologie et de l’intégrité de ceux qui les font.

Toutefois, ce ne sont que des sondages. Or voyez les résultats de la dernière élection en Italie. Les partisans de Silvio Berlusconi avaient apparemment honte de révéler leur préférence aux sondeurs : mais une fois dans l’isoloir, ce fut différent.

Dans une certaine mesure, on peut également dire que plus grand monde n’osait se vanter d’être un partisan du Parti libéral du Québec au cours de la dernière campagne électorale. Or pourtant, ce parti a presque été reporté au pouvoir.

Peut-on imaginer qu’en remplissant les questionnaires de Statistique Canada, les néoQuébécois puissent être sujets à la rectitude politique et répondre ce qu’ils imaginent être ce qu’on attend d’eux ?

Or la lecture de cette deuxième étude ne fut pas vaine puisque j’ai découvert que le Québec possède les moyens de valider, du moins en partie, les recensements canadiens.

À la page 26 de cette étude, on y apprend qu’il existe un « Bulletin des naissantes vivantes ». En réalité, il s’agit d’un registre dans lequel sont colligées des données relatives à tous les bébés qui naissent de mères résidentes au Québec, que cette naissance ait lieu ici, dans n’importe quelle autre province canadienne, ou même aux États-Unis.

De plus, à la page suivante de la même étude, on apprend qu’il existe un « Fichier des décès ». Encore là, il s’agit d’un registre produit lui aussi par le ministère de la Santé et des Services sociaux.

En exigeant que toute demande de carte d’assurance maladie soit faite par le requérant lui-même (ou à défaut par un mandataire qui devra justifier son intervention), le Québec pourrait se doter d’outils qui lui permettrait de savoir précisément la langue parlée et comprise par l’ensemble de la population québécoise.

Mais pour cela, les préposés gouvernementaux devront être parfaitement bilingues, afin de s’assurer que les requérants choisissent la langue dans laquelle ils sont les plus confortables.

Si la langue autrefois parlée par un décédé n’a pas d’importance, la fusion de ces trois registres en vue de la création d’un Registre national de la population québécoise donnerait à l’État un outil lui permettant de connaitre en tout temps la démographie linguistique du Québec.

De plus, les politiques destinées à assurer la survie du français au Québec cesseraient de dépendre totalement de données canadiennes colligées périodiquement par un autre gouvernement.

Références :
Buonanotte: la plainte originale ne portait pas sur l’italien
Du steak aux W.-C.
La situation du français au Québec : l’étude Paillé
Le doux sommeil de l’Office de la langue française
L’émigration de Québécois aux États-Unis de 1840 à 1930
Les composantes de la dynamique démolinguistique régionale au Québec (1996-2006)
Office québécois de la langue française
Pour en finir avec le pastagate
Pour la francisation de toutes les entreprises québécoises de plus de cinq employés
Un autre restaurant dénonce le zèle de l’Office de la langue française
Un « excès de zèle » met l’OQLF dans l’embarras


Post-scriptum : Rappel historique

Le Québec est un îlot français dans une mer anglo-saxonne. Les États-Unis sont le pays le plus puissant et le plus riche au monde.

Ce pays est le plus inventif et le plus créatif, tant au point de vue technologique que culturel. Même en excluant sa population hispanique, la population anglophone des ÉU est 40 fois plus nombreuse que la population francophone du Québec.

De 1840 à 1930, fuyant la misère, plus d’un million de Québécois ont immigré en Nouvelle-Angleterre afin d’y travailler dans des usines de coton. Parmi leurs descendants, presque plus personne ne parle français.

Au Canada, le français a survécu grâce à l’isolement des Francophones, regroupés dans des villages et petites villes peu exposés à l’anglais. Au XIXe siècle, Montréal — une ville majoritairement anglophone à l’époque — est devenue francophone grâce à l’arrivée massive de paysans chassés par la misère mais s’entassant plutôt dans les logements surpeuplés et insalubres de l’est de la métropole.

Dans les années 1920, alors que la prohibition américaine incite de nombreux millionnaires à venir faire la fête dans les clubs de jazz de Montréal, cette ville comptait le taux le plus élevé de tuberculose et un des taux les plus élevés de mortalité enfantine en Amérique du Nord.

Tout au cours du XXe siècle, les Francophones du Québec se sont heurtés à des politiques discriminatoires d’embauche.

En 1944, au moment de son étatisation, la Montreal Light, Heat and Power compte une majorité d’employés unilingues anglais. Parmi son personnel technique, on ne compte aucun ingénieur francophone.

Au début des années 1960, la Trans-Canada Airlines (devenue Air Canada en 1964) préfère embaucher des Anglophones unilingues à des Francophones bilingues.

Pour mettre fin à cette discrimination et à la frustration des Montréalais, incapables d’être servis en français dans certains grands magasins du centre-ville de Montréal, le Québec adopte la Loi 101 en 1977.

Afin de se soustraire à cette loi, lorsque la société de fiducie Sun Life déménage son siège social du Québec l’année suivante, 85% de ses employés montréalais sont toujours unilingues anglais.

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Écrit par Jean-Pierre Martel