L’achat illégal de mises à niveau de logiciels par l’État québécois

Le 17 novembre 2011


 
Le Centre de services partagés (CSP) est un magasin virtuel gouvernemental. Il a pour mission de fournir ou de rendre accessibles les biens et les services administratifs dont les organismes publics ont besoin dans l’exercice de leurs fonctions.

Plus tôt ce mois-ci, le Conseil des ministres du Québec adoptait un décret demeuré secret autorisant le CSP à acheter illégalement — c’est-à-dire sans appel d’offre — des mises à jour de logiciels connus (essentiellement, des mises à niveau de Windows, de la suite bureautique de Microsoft, des anti-virus et des pare-feu). Cela représente une somme estimée à 800 millions de dollars sur sept ans (Note : voir le commentaire ci-dessous).

Ne cherchez pas le texte de ce décret sur l’internet : il a été adopté en catimini et a circulé confidentiellement dans le cercle des fournisseurs informatiques du gouvernement. Toutefois, le quotidien Le Devoir en a eu vent, ce qui nous permet d’en parler.

L’an dernier, plus précisément le 3 juin 2010, la Cour supérieure du Québec condamnait la Régie des rentes du Québec pour avoir fait l’acquisition en 2008 de logiciels de Microsoft sans procéder à des appels d’offre.

Devant le tribunal, le fournisseur de la Régie, le fameux CSP, s’était défendu en invoquant qu’il ne s’agissait-là que de mises à niveau et non d’achats de versions complètes.

Cet argument n’avait pas impressionné le Tribunal : celui-ci avait estimé que la Régie aurait dû publier les critères recherchés et permettre aux fournisseurs de logiciels libres (comme Open Office) de soumettre des devis.

Par ce nouveau décret, le gouvernement invite le CSP à commettre des gestes déjà reconnus illégaux par les tribunaux du pays.

À mon avis, le gouvernement a tort. Mais j’avoue que les logiciels sont une marchandise très spéciale.

Lorsqu’une entreprise décide de changer de logiciel, le coût de la formation de la main-d’œuvre est considérablement plus élevé que le prix d’acquisition des mises à niveau de logiciels commerciaux comme Windows, Word ou Excel.

De plus, la perte temporaire d’efficacité du personnel — habitué à ses touches de raccourcis, ses macros et les dizaines de trucs appris au fil des années d’utilisation de logiciels archi-connus — doit également être prise en considération.

D’autre part, les logiciels d’une suite bureautique comme Open Office, ne sont pas très différents de la suite bureautique de Microsoft. Pour la très grande majorité du personnel — c’est-à-dire pour tous ceux qui utilisent moins de 10% des capacités d’un logiciel comme Word — le passage à un traitement de texte puissant et gratuit se fait sans trop de douleur.

Mais pour les responsables de la comptabilité ou de la tenue de livre qui sont également de véritables petits sorciers d’Excel, le passage à un chiffrier gratuit peut être vécu comme une catastrophe et effectivement s’accompagner d’une importante perte de productivité s’étendant sur plusieurs mois.

De plus, les logiciels d’appoint, faits sur mesure par des firmes informatiques spécialisées, payés à prix d’or et qui servent à automatiser des tâches complexes sous Windows — par exemple produire un rapport mensuel en appuyant sur une touche — ne sont généralement pas transposables à d’autres suites bureautiques puisque leur prise en charge automatique par programmation, est extrêmement rudimentaire.

Un pays comme l’Allemagne a décidé voilà quelques années de passer aux logiciels sous Unix, à la fois pour des raisons sécuritaires et budgétaires. En effet, les bogues et les failles de sécurité sous Windows sont innombrables et constituent une plaie depuis presque vingt ans. L’Allemagne a décidé que c’en était assez. Mais son exemple a été peu suivi.

En adoptant son décret, le Conseil des ministres réduit de beaucoup le pouvoir de marchandage de ses acheteurs auprès de Microsoft puisque cette compagnie connaît déjà les réticences du gouvernement à acheter la suite rivale gratuite.

Ce qu’on ignore, c’est si ce décret est valable seulement pour les achats effectués directement auprès des compagnies comme Microsoft ou s’il permet aussi les achats auprès des distributeurs nationaux ou régionaux de ces compagnies.

L’État ne peut pas obtenir de meilleurs prix qu’en négociant directement avec Microsoft. Toutefois, si le décret permet l’achat sans appel d’offre auprès d’intermédiaires, cela est complètement illogique. On pourrait alors penser que le Conseil des ministres veut simplement les transformer en contributeurs à la caisse électorale du Parti libéral, après les entrepreneurs en construction, les firmes d’ingénieurs-conseils, les propriétaires de garderies, les avocats candidats à la magistrature, etc. Bref, ce serait alors une autre occasion de s’en mettre plein les poches, à nos frais.

À mon avis, le gouvernement aurait été mieux avisé d’encourager ses différents ministères à recourir aux logiciels gratuits chaque fois que leur adoption ne cause pas trop de problème, de faire l’inventaire des besoins résiduels en logiciels brevetés et d’amender la loi pour permettre l’achat de logiciels commerciaux dont les noms se trouveraient sur une courte liste pré-établie.

Si, au Conseil des ministres, le ministre de la Justice était autre chose qu’un pantin, il aurait défendu le respect de la loi. Soit qu’il ne l’a pas fait ou qu’il n’a pas été écouté. Dans un cas comme dans l’autre, c’est dommage.

Références :
Informatique – Québec choisit les logiciels sous licence, sans appel d’offres
Le logiciel libre remporte une victoire en cour
Québec blâmé d’avoir fait affaire avec Microsoft sans appel d’offres

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8 commentaires à L’achat illégal de mises à niveau de logiciels par l’État québécois

  1. André dit :

    SVP cessez de véhiculer le chiffre de 800 M$ c’est de la pure fantaisie ! 800 M$ c’est 400 000 postes de travail x l’estimé de 2000 $ de Gartner pour la migration à Windows 7…. mais aussi pour la migration à Linux ou autre…

    Tous les gens qui colportent ce chiffre font la même erreur et encouragent l’échauffement planétaire des esprits !

    • Merci pour cette correction. Effectivement, après réflexion, cette somme m’apparaît exagérée. Toutefois cela ne change pas le fond du problème.

      • André dit :

        Le fond du problème (je parle en connaissance de cause; je suis en plein dans ce problème), c’est l’incapacité des organisations gouvernementales à bouger après avoir envoyé leurs meilleurs à la retraite, avoir limité le remplacement des employés temps complet à une entrée sur deux départs.

        Donc il reste de moins en moins de gens pour prendre des décisions éclairées et réaliser le travail.

        Que reste-t-il ? Des firmes à trois lettres et autres qui prennent le controle par la suite. Vont-elles recommander des actions faciles pour baisser les coûts ?… Bien non, il faut qu’elles vivent…

        C’est une forme de parasitisme qui entraine le 1.5 milliards de dépenses que coute aujourd’hui les technologies de l’information au gouvernement.

        Malheureusement…il n’y a pas de solution simple 🙁

      • À la lecture de votre réponse, je présume que vous aimerez mon billet du 3 août dernier, intitulé « Fonction publique : coupe-t-on encore dans le gras ? ».

  2. André dit :

    Un autre commentaire sur la question… si le logiciel libre est si bon que ca, pourquoi ne voit-on pas les entreprises privées l’utiliser ? Pourquoi le gouvernement devrait être le laboratoire du libre… si Desjardins, Bell ou SNC Lavalin ne l’utilisent pas chaque jour.

    Allez vous promener dans un Bureau en Gros ou Future Shop et regardez ce que les gens achètent et pourquoi… ca n’intéresse personne que de jouer avec Linux le soir a la maison. Faut que ca marche en appuyant sur le bouton point a la ligne.

    Si le libre est si bon, j’aimerais que tous les députés a l’Assemblée Nationale donnent l’exemple et refusent le Blackberry corportaif pour le remplacer par un Android, refusent le portable corporatif pour le remplacer par un bidule qui roule Linux etc….

    Posons nous la question, qui veux actuellement du libre et pour quelle raison….

    • Il faut se rappeler qu’Open Office est distribué gratuitement par téléchargement et qu’il existe une version pour Windows.

      Au travail, personne parmi mes trois employeurs n’a installé la suite de Microsoft sur les ordinateurs de leur entreprise. Toutefois, je soupçonne que tous mes patrons l’ont à la maison.

      À ceux qui ont été tentés d’installer illégalement leur copie personnelle sur les ordinateurs de leur commerce, je leur ai déconseillé de le faire en leur disant qu’il suffit d’une dénonciation de la part d’un employé congédié pour que la police saisisse tous les ordinateurs de leur entreprise ou en efface les disques durs.

      Conséquemment, mes trois employeurs se servent d’Open Office.

      À votre question de savoir qui souhaite que l’État se serve d’avantage des logiciels libres, je réponds : les payeurs de taxe, évidemment !

      • André dit :

        J’aimerais vous faire visiter un centre de traitement ou l’on gère 5000 ou 10000 postes de travail et vous demander de faire une proposition pour introduire du logiciel libre dans le cycle de montage d’un PC corporatif…. et d’aller la présenter aux responsables qui gèrent le parc.

        Architecture logicielle, matérielle, processus de montage, de troussage, d’affection de logiciels par rôle, politiques de gestion, maillage avec le répertoire d’entreprise etc etc etc.. Je vous parie ma paie du mois qu’après une visite de deux heures vous seriez le premier à dire que le logiciel libre n’a pas sa place dans un centre informatique gouvernemental…

        Encore une fois… c’est le rêve mouillé des contribuables de penser que le libre baisserait les coûts au gouvernement alors qu’au contraire; les coûts monteraient ! Dixit votre post sur coupe-t’on encore dans le gras

  3. Bruneux dit :

    L’économie engendrée par une migration massive mais structurée, progressive et bien documentée du parc informatique (para-) gouvernemental vers des logiciels libres serait importante et indéniable.

    Mais il y a un coût à cette économie : c’est le temps. Très peu de gestionnaires ou de haut-fonctionnaires seraient prêts à payer plus cher pendant cinq ans, même si on leur disait qu’ils économiseraient pour les siècles à venir.

    Mais cet intérêt d’économie ne vient qu’à la deuxième ou troisième position quant aux avantages qu’on aurait à opter pour cette façon de faire de l’informatique.

    Les standards ouverts et logiciels libres sont très liés car les concepteurs de logiciels propriétaires ne sont pas intéressés à avoir de la concurrence. Donc ils créent leurs propres formats de fichiers ou de protocoles de communication fermés : on parle alors d’enfermement technologie ou de menotte numérique.

    Utiliser des standards ouverts et logiciels libres permettrait :
     • d’avoir le choix des outils et des technologies que l’on voudrait;
     • d’avoir le plein contrôle des outils et technologies que l’on utiliserait;
     • de choisir les fournisseurs de services (installation, formation, maintenance, personnalisation, etc.) que l’on voudrait;
     • de créer une puissante économie locale créatrice d’emplois de hautes qualités;
     • de s’assurer de la pérennité des technologies et des documents (on parle souvent de patrimoine numérique).

    Il y a suffisamment de cas (des centaines) partout dans le monde, de petites et de grandes migrations aux logiciels libres qui ont réussi dans des entreprises et des gouvernements. Par exemple, il y a 500 000 postes dans les services publics français qui ont migrés ou migreront à court terme vers les logiciels libres.

    Qu’on ne vienne pas me parler du cas de Munich ou d’autres pseudos échecs. C’est toujours la même histoire : soit ils ont procédés par des façons de faire qui n’ont rien à voir avec les règles de l’art dans ce domaine; soit un lobby puissant et organisé a eu raison d’un preneur de décision qui est soit corrompu ou soit trop faible pour leur tenir tête.

    Les logiciels libres ne sont pas la panacée à tous les problèmes du gouvernement, mais une chose est certaine, on aurait beaucoup à gagner en économie locale et en indépendance technologique.

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